Réforme constitutionnelle algérienne : l’Esprit suivra-t-il la lettre ?
Par Adil Zaari Jabiri. (Agence MAP)
Le projet constitutionnel de «la nouvelle Algérie » annonce beaucoup de choses, notamment sur l’organisation des pouvoirs dans un pays où l’armée règne sans partage. Mais au delà de savoir si ce projet répondra-t-il ou non aux aspirations réelles du peuple algérien, beaucoup de zones d’ombre persistent sur sa véritable portée quand on apprend qu’il va surtout sanctuariser le statut du président de la république en tant que «chef de guerre» puisque il peut décider de l’envoi de troupes à l’étranger.
Certains analystes se sont intéressés à cette nouvelle lubie du régime, la qualifiant de «changement de doctrine militaire» de l’Algérie, alors que d’autres s’interrogent sur son timing et son opportunité, sachant que le pays traverse une crise économique et sociale sans précédent, accentuée par une contestation de la rue qui n’a toujours pas senti les signes d’une véritable rupture, pourtant annoncée en grande pompe, avec la vieille garde du régime.
Pour le constitutionnaliste à l’université Paris II – Panthéon Assas, Massensen Cherbi, cette réforme non seulement conforte la sacralisation du pouvoir militaire, mais ne saurait réussir avec les mêmes acteurs; ceux là même «qui ont fait subir au peuple algérien les pires humiliations».
Massensen Cherbi pointe aussi du doigt le contexte de cette réforme marqué par la propagation de la pandémie de la Covid-19 et la «répression féroce des opposants et des journalistes». Il n’est pas non plus tendre avec les architectes «triés sur le volet» de cette réforme concoctée derrière le dos des Algériens et parle dès lors d’un processus biaisé. Et ce n’est pas un hasard si Fatsah Ouguergouz, docteur en droit et ancien juge à la Cour africaine des droits de l’homme, avait démissionné du groupe d’experts chargé de l’élaboration de cette Constitution, regrettant qu’elle s’inscrit «dans la continuité de la Constitution actuelle» et déplorant « un certain conservatisme » dans l’examen des questions liées à la refondation de l’Etat.
Quant à l’opposition, elle y voit tout simplement «un ravalement de façade sans une rupture effective avec le système politique en place».
S’agissant de la «constitutionnalisation» de la participation de l’armée algérienne à des opérations à l’étranger, que le régime vante comme une première mondiale alors que l’Algérie avait déjà contribué à des opérations en dehors de ses frontières, notamment en 1989 en Angola, en 1992 au Cambodge, en 1995 en Haïti et en 1999 au Congo, elle se résume pour beaucoup à un coup de com.
Pour le journaliste Akram Kharief, il s’agit juste d’enlever «un certain flou artistique sur une supposée doctrine non interventionniste de l’armée algérienne».
Ce spécialiste des questions de défense rappelle que l’armée algérienne est intervenue dans de nombreux conflits, sous différentes formes soit pour faire la guerre ou aider des gouvernements en place.
Il en veut pour preuve, notamment l’engagement de son pays dans le conflit armé contre le Maroc dès 1963 avec la Guerre des Sables et en 1975-1976 avec les batailles d’Amgala 1 et Amgala 2.
Ajoutons à cela l’armement, le financement et l’entrainement des milices du polisario pour entretenir un climat d’instabilité dans la région avec un lourd tribu humanitaire sur les populations séquestrées dans les camps de Tindouf, en territoire algérien.
Outre la facture sécuritaire, il résulte de cette stratégie de tension menée par l’Algérie contre le Maroc, le coût du non Maghreb qui fait perdre aux cinq pays de la région une valeur ajoutée annuelle de plusieurs dizaines de milliards de dollars.
Une autre question qui interpelle dans cette constitutionnalisation soudaine de ce «nouveau rôle de l’armée » est celle du budget qui y est consacré et que l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) évaluait en 2018 à 9,6 milliards de dollars, soit 5,3% du PIB du pays.
Le groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) basé à Bruxelles s’est intéressé de près à cette frénésie d’achats d’armements et l’a inscrit dans une logique de rivalité régionale et de stratégie de tension que l’Algérie entretient dans sa relation avec son voisin, le Maroc.
Si pour ce think tank européen, cette situation est fort préjudiciable à la stabilité interne extrêmement fragile de l’Algérie, elle ne manque pas de constituer une menace sécuritaire majeure pour la région et son voisinage euro méditerranéen.
L’armée algérienne sera-t-elle donc capable d’abandonner ses velléités belliqueuses contre le Maroc « pour servir la paix internationale » comme le prétend l’avant projet de la « nouvelle » constitution ?