Le Maroc, un exemple pour sa gestion du Covid-19 ? (Sciences et Avenir)
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Le Maroc a créé ses propres kits de tests et imaginé un respirateur adapté pour un usage à domicile. Bilan sur sa gestion de crise face à l’épidémie de Covid-19.
Alors que la première vague de contaminations de SARS-CoV-2 est passée, l’heure du bilan a sonné. Les regards se tournent vers les pays ayant le mieux réussi à gérer la crise du Covid-19, à l’instar de la Corée du Sud et de l’Allemagne. Ou encore du Maroc. Le pays aux 35 millions d’habitants a été relativement épargné par le nouveau coronavirus, avec 8.921 cas de contamination et 212 décès officiellement recensés. Un bilan bien meilleur que son voisin espagnol, par exemple, qui avec 45 millions d’habitants, déplore 25.136 décès et 243.605 cas recensés. Plusieurs pistes permettent d’expliquer la situation dans le royaume.
Le Maroc a instauré le 20 mars 2020 un état d’urgence sanitaire musclé avec confinement obligatoire, déplacement soumis à permis spécial et port du masque, sous le contrôle étroit des forces de l’ordre massivement déployées sur le terrain. « Les mesures de confinement ont été prises très précocement comparé à l’Europe. Cette anticipation est liée au fait que l’offre hospitalière est moins dense qu’en Europe. Les places en réanimation dans les hôpitaux étaient insuffisantes, d’autant plus que le pays était déjà confronté à un pic d’épidémie de gastro-entérite et de bronchiolite, ce qui occupe des places à l’hôpital », explique le Dr Mohamed-Rida Benissa, pneumologue et pédiatre franco-marocain, docteur au Global health institute de la Swiss School of public health. « Pour limiter l’ampleur de la crise, le pays a non seulement confiné la population très tôt mais cela a été accompagné d’une large campagne d’information au public. Enfants, femmes, hommes, personnes âgées, la prévention a été ciblée selon les groupes de population et diffusée en arabe mais aussi en berbère pour toucher tout le monde. » Des spots de prévention réalisés par des professionnels de santé, et non des politiques. « Cela a permis d’expliquer pourquoi le confinement est très strict mais aussi pourquoi il faut maintenir des gestes barrière.«
En parallèle, les infrastructures du pays ont été totalement remodelées. « Avec l’arrêt du tourisme, de nombreux hôtels ont été transformés en lieux de quarantaine pour les malades mais également en logements pour le personnel de santé qui travaillant avec les personnes atteintes du Covid-19. Une façon d’éviter qu’il ne ramènent la maladie à la maison et la transmette à leur entouage » reprend le Dr Benissa. Les hôpitaux privés ont également été réquisitionnés pour augmenter la capacité de prise en charge du pays. Les patients y ont été soignés dans les même conditions que dans le secteur public. « Notre politique de prise en charge impliquait de ne renvoyer aucun patient à domicile. Chaque malade diagnostiqué avec le Covid-19 a été isolé à l’hôpital, pendant que son entourage se faisait également dépister. Une façon de réduire drastiquement la contagiosité de la maladie dès le départ« , explique Chafik Kettani, professeur à la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca et spécialisé en réanimation et médecine d’urgence. En tout, plus de 340.000 tests de PCR ont été réalisés. « La plupart des cas graves – et donc des décès – sont survenus le premier mois de l’épidémie, entre la mi-mars et la mi-avril.«
Un kit de diagnostic 100% marocain
Se posait en même temps la question de l’approvisionnement en matériels de base. Pour faire face à la pénurie mondiale de masques, une trentaine d’entreprises textile ont été reconverties. « Tout de suite, le pays a voulu produire ses propres masques, voyant que la production internationale serait réquisitionnée par les grandes puissances« , explique le Dr. Mohamed-Rida Benissa. La fabrication est montée jusqu’à 10 millions de masques par jour, selon les chiffres du ministère de l’Industrie. Avec un prix de vente à 80 centimes l’unité (environ 7 centimes d’euro), cette opération a été permise grâce aux subventions du fonds spécial d’urgence abondé par l’Etat et par des donations. Les prisonniers ont aussi été mis à contribution. Une centaine d’entre eux, dans une vingtaine d’établissements pénitentiaires, ont participé à hauteur de 20.000 pièces par jour.
« Tester, tester, tester » : le Maroc a pris au mot l’injonction de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour répondre à la crise du coronavirus. Le nombre de tests de dépistage au Maroc a dépassé les 17.500 par jour dans 24 laboratoires nationaux, a annoncé, dimanche 14 juin 2020, le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb. « Nous avons démarré avec 2.000 tests par jour dans trois laboratoires. Aujourd’hui, nous avons dépassé 17.500 tests par jour, puisqu’on est passé de 3 à 24 laboratoires nationaux« , se félicitait début juin le ministre de la Santé. 340.000 RT-PCR ont été réalisées au 7 juin.
« Nous sommes conscients que la capacité de tester est limitée, pour de nombreux pays, par les pénuries internationales de kits de diagnostic habituels« , expliquait au début de l’épidémie Maryam Bigdeli, la représentante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Maroc au journal Telquel. Là encore, pour ne plus dépendre à l’avenir de l’importation de kits de tests à l’étranger, le pays a conçu lui même un kit de diagnostic RT-PCR. Validé par l’Institut Pasteur, il permet d’établir un diagnostic entre 2 h et 2 heures et demie. Il coûte également moitié moins cher que les kits importés, selon Nawal Chraibi de la Fondation marocaine MAScIR. Ce dispositif possède également la particularité de pouvoir être utilisé avec toutes les machine d’extraction d’ARN, peu importe leur fabricant : n’importe quelle machine PCR standard peut analyser un échantillon d’ADN prélevé grâce à ce kit. La fondation MAScIR l’a développé avec la start-up Moldiag. La production n’a pas encore démarré, même si une commande publique de 10.000 premiers tests devrait être livrée d’ici à la fin juin.
SIRCOS, le respirateur artificiel intelligent
Des masques, des kits de diagnostic mais aussi des respirateurs. Le Maroc a mis au point SIRCOS, pour Système intelligent de respiration « Cosumar », un respirateur artificiel financé par le groupe sucrier marocain du même nom. Ce respirateur artificiel a été mis au point en collaboration avec un comité de médecins composé d’une équipe de l’Université Mohammed VI des sciences de la santé, du service de santé militaire des Forces Armées Royales et de l’entreprise Aviarail.
« Au départ, nous sommes spécialisés dans l’aéronautique mais avec la crise du Covid, nous avons voulu nous rendre utile et avons mis au point ce respirateur« , explique Saïd Benahajjou, le PDG d’Aviarail. Breveté, le respirateur intelligent dispose de plusieurs modes de ventilation. « Son usage s’adapte à tous types de patients.Certains, dans le coma, sont complètement dépendants de la machine. C’est le respirateur qui contrôle alors les cycles de respiration. Les patients réveillés, eux, inspirent quand ils ont besoin. La machine n’intervient pas. La troisième situation, la plus complexe, c’est lorsqu’une personne sort du coma et inspire spontanément de temps en temps. La machine doit la détecter et suivre son cycle« , explique Saïd Benahajjou. Des situations très différentes auxquelles le respirateur SIRCOS peut répondre. La fabrication des premiers modèles a démarré dès le 29 mars au Maroc et le modèle n’a cessé d’évoluer au fil des innovations. Aujourd’hui Avirarail peut produire de 50 à 100 respirateurs par jour et un nouveau modèle est en train d’être imaginé.
CHLOROQUINE. Dès la fin mars, le Maroc annonçait recourir à la chloroquine dans le traitement du Covid-19. « Le conseil scientifique marocain a décidé d’administrer de la chloroquine aux patients dans le cadre d’un protocole national de prise en charge. Il a considéré que ne pas en donner aux malades consistait en une perte de chances. Le protocole laissait aux services de réanimation le soin d’adapter la prise en charge selon l’évolution clinique des malades« , explique Chafik Kettani, professeur à la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca et spécialisé en réanimation et médecine d’urgence. « Le comité scientifique s’est réuni chaque semaine pour réévaluer ce protocole pas à pas, à la lumière des études scientifiques. La prise en charge comportait un premier volet avec de la chloroquine associée à l’azithromycine. Au cours de l’épidémie, nous avons décidé de demander un avis aux cardiologues pour toutes les personnes présentant des problèmes de coeur. »
Des dosages réguliers de potassium et de magnésium devaient également permettre d’évaluer la toxicité cardiaque de ces molécules. « Aujourd’hui, on ne peut pas lier les bons résultats du Maroc à l’utilisation de l’hydroxychloroquine. Pour l’instant, trop d’informations contradictoires circulent pour établir un lien de causalité. Mais en tout cas, c’est le choix que le Maroc a fait« , complète le Dr Mohamed-Rida Benissa. « Pour bon nombre de maladies, les protocoles thérapeutiques sont différents d’un pays à l’autre : ce n’est pas une situation inhabituelle. Le rôle de l’OMS est d’élaborer des guides et directives basés sur l’évidence scientifique disponible, et de mettre ces sources à la disposition de la communauté internationale, mais en aucun cas d’obliger les pays à les adopter. D’autres instances comme les sociétés savantes font de même. Les pays ont quant à eux des instances scientifiques et des organes de gouvernance qui prennent la décision d’adopter un protocole thérapeutique donné, de décider des modalités d’application de ce protocole, de son remboursement, etc. » justifie Myriam Bigdeli, la représentante de l’OMS au Maroc dans une interview à l’Economiste.
Soutenir le pays et ses voisins africains
Toutes ces innovations scientifiques et industrielles ont reçu l’appui de fonds de soutien mis en place par le roi Mohammed VI. Un fond spécial Covid-19, instauré à la mi-mars et doté de 33 milliards de dirhams (soit environ 3 milliards d’euros), a permis de limiter les conséquences économiques et sociales du coronavirus. Un fonds auquel l’Union européenne doit participer de 450 millions d’euros supplémentaires pour soutenir le pays. Le montant a permis de financer la suspension des charges sociales des entreprises et d’autre part, de leur accorder des crédits bancaires supplémentaires garantis par l’Etat. Désormais, le Maroc tend la main à ses voisins africains. Le pays a annoncé dimanche 14 juin l’envoi d’une aide médicale comprenant près de 8 millions de masques sanitaires à une quinzaine de pays du continent pour les aider à lutter contre l’épidémie de nouveau coronavirus. En plus des masques, 30.000 litres de gel hydroalcoolique et 75.000 boîtes de chloroquine seront envoyés au Burkina Faso, au Cameroun, au Congo, en Mauritanie, au Niger, en République démocratique du Congo, au Sénégal ou encore au Tchad.
Masques, respirateurs, aides financières… la politique du Maroc a été saluée par Maryam Bigdeli, la représentante de l’OMS dans le pays, qui souligne « la solidarité et l’innovation », ayant permis de gérer « de manière efficace » la crise du Covid-19. Elle a particulièrement salué la réactivité du pays, qui a « adopté très rapidement des mesures très radicales comme la fermeture des frontières, l’interdiction des rassemblements et le confinement, tout en accompagnant ces actions de mesures permettant à la population de continuer à avoir accès aux services de base. Ces mesures sont ambitieuses et judicieuses. »
« On peut dire que le Maroc ne s’est pas contenté de faire un copier-coller des grandes puissances internationales. Les autorités ont réfléchi au cas particulier de ce pays avant de prendre des décisions« , estime le Dr. Mohamed-Rida Benissa. Il dit attendre les mois qui viennent pour tirer toutes les conclusions de cette première vague de contaminations. « C’est sûr que le confinement prolongé aura au final été très long : de fin mars à début juillet. Cela peut avoir un impact sur les troubles anxieux, aussi bien chez les adultes que chez les jeunes enfants, mais aussi sur la violence conjugale. » Pour le moment, le pays attend en effet la fin officielle du confinement. Initialement prévu le 10 juin, les autorités ont annoncé le jour-même qu’il serait maintenu encore un mois supplémentaire, jusqu’au 10 juillet.