De la gouvernance de la pandémie à la gouvernance de l’État
Dans tous les pays du monde, la pandémie a mis en relief la gravité de la situation face à la faiblesse du système de santé et les moyens à mettre en œuvre pour l’optimisation des services et l’accessibilité des impactés par le virus aux soins.
Au Maroc, les répercussions, à court et à long termes, de la gestion de la crise sanitaire se manifestant par la propagation de la Covid-19 sont multiples et complexes. Dans notre pays, il est une occasion d’apprentissage collectif des mesures et des modalités opérationnelles et pratiques pour sauver la vie des citoyens et des étrangers. Mais en même temps, une opportunité précieuse de repenser le projet de société, l’industrialisation du pays et le modèle de développement à adopter dans le futur.
Avant la crise du Coronavirus, le discours dominant était celui de la défiance par rapport aux entreprises, aux partis politiques et aux institutions, exprimant un ras-le-bol de la mal gouvernance du pays. Une telle tendance se trouvera inversée avec la prudence, la pédagogie, l’intelligence, la fermeté et les mesures diverses, inédites, prises par l’État, dans la gestion de la pandémie pour préparer l’avenir et sortir de la crise. Parmi les leçons les plus significatives du Coronavirus, on peut retenir notamment la conscience de la population des contraintes de la sous – estimation de soi et son impact dans l’élaboration d’un agenda de progrès ou des pistes d’action pour l’avancement marocain.
Dix commandements sur la crise sanitaire et ses répercussions sur la réforme de l’État
Ces dix commandements seront retenus dans une vision proactive du développement du Maroc, dans le processus de la consolidation de l’État protecteur, interventionniste et stratège pour gagner la guerre contre le Coronavirus et survivre aux crises.1
- Nécessité de dépassement des paradoxes de la gouvernance de l’État2 (économie de la rente, économie du bien commun, New deal industriel, priorité du développement, compétence, évaluation continue des risques, transparence, environnement)3. La promotion du débat sur les fondements d’une nouvelle stratégie de développement à l’antipode de celle qui a prévalu avant l’épidémie ; en termes d’innovation, de solidarité, de priorisation des secteurs clefs de développement (RD, éducation, santé). Et l’appel à l’affirmation de la société par l’éducation (réforme scolaire, réhabilitation de l’enseignant), la santé (revalorisation des salaires des médecins et du corps paramédical) et la recherche scientifique (création, innovation et lutte contre la médiocratie dans tous ses états4.)
- Placer le citoyen au cœur de la stratégie du développement en tant qu’acteur principal du progrès économique et social du pays, tout en tenant compte de la fragilité de l’économie et de l’entreprise (économie informelle). Un fonds spécial pour la gestion de la pandémie a pu collecter, jusqu’au 4 avril, plus de 33,7 milliards de dhs. L’État protecteur a pris conscience de la priorité de l’enseignement et de la santé dans la société. Descartes indiquait que «La santé est le principal de tous les biens et le fondement de tous les autres. C’est-à-dire le plus précieux; et que sans la santé aucun bien ne peut être envisagé». C’est pour cette raison que l’État, au Maroc, a placé la santé avant l’économie, tout en supportant les coûts et les charges afférents à ce choix délibéré.
- Le rejet des mentalités de subordination et de soumission à l’étranger5 et de toutes attitudes négatives, empêchant la création et l’innovation et de puiser dans le potentiel local, de travailler dur et de collaborer au service de l’intérêt général, collectif et mutuel (reconversion de l’industrie de textile et production de 5 millions de masques par jour, pour couvrir les besoins du royaume et permettre une exportation à de multiples pays étrangers (USA, Europe, Afrique), la fabrication de pas moins de 500 respirateurs artificiels, 100 % Made in Morocco ). Ainsi un programme de soutien financier a été établi, en faveur des TPME investissant dans la fabrication de produits et équipements nécessaires pour faire face à la pandémie.
- L’adoption par les pouvoirs publics d’une communication institutionnelle stratégique de mobilisation, à tous les échelons de la société, a permis de promouvoir une image équilibrée, réelle et positive sur le projet de protection de la population, au détriment du coût économique assumé par l’État (constitution d’un fonds spécial de solidarité, fermeture des établissements scolaires, le 20 mars, institution de la formation à distance, fermeture des frontières au temps opportun, formation d’une Comité de veille économique CVE, confinement, adaptation de l’industrie à la production des masques et appareils respirateurs).
- L’exploration de la prééminence de l’état d’esprit positif chez l’opinion publique marqué, durant la crise, par une conscience émotionnelle de soi, de confiance, de solidarité patriotique, de responsabilité sociétale et d’optimisme (respect des consignes données, confinement, port de masques, résilience).
- L’amélioration de l’image sociale et l’exaltation du corps médical, des enseignants, des chercheurs et des agents de la sécurité (perception positive collective et légitime de l’action des agents de la police).
- L’apprentissage collectif des TIC et de l’e.Gouvernance, dans la gestion de la crise (télétravail, enseignement à distance, dématérialisation des pièces administratives, consultation médicale, déclaration sur l’honneur, etc).
- La promotion de la bonne gouvernance de l’État (décisions juridique, sécuritaire, financière et budgétaire, l’amélioration de l’efficacité de la gestion économique, la modernisation de l’administration, le renforcement de la transparence, la revendication de plus de justice salariale, la révision des privilèges, rente, corruption, fuite des capitaux, déplacements coûteux à l’étranger, parc automobile, etc).
- Devoir de la consolidation et de l’écoute à la diaspora (intégration des savants et des compétences résidant à l’étranger, dans le projet sociétal de développement).
- Promotion d’une initiative africaine marocaine dans le cadre de la diplomatie coronavirus (soutien des dirigeants dans la gestion de la pandémie, envoi de médicaments et de matériels médicaux, aide aux pays de l’Europe, mobilisation et réforme des ambassades et des consulats du Maroc à l’étranger.6 F
- J.Attali, Survivre aux crises, Fayard, 2009.
- Mohamed Harakat, Les Paradoxes de la gouvernance de l’État dans les pays arabes, L’Harmattan, Paris, 2015
- Plus particulièrement la thèse d’économie du bien commun développée par Jean Tirole (Prix Nobel d’économie en 2014) est plus que jamais d’actualité et révélatrice de vision et de nouvelles idées sur la gouvernance économique affectant notre quotidien, en période de crise.
- A.Deneault, La Médiocratie, Lux Éditeur, 2016.
- Bruno T.Mukendi, Sous-estimation de soi et contraintes au succès, L’Harmattan, Paris, 2017.
- Mohamed Harakat, La Nouvelle diplomatie économique en Afrique, L’Harmattan, Paris, 2020 (à paraître).
Par Mohamed HARAKAT : Professeur à l’Université Mohammed V Rabat. Directeur de la structure doctorale «Gouvernance de l’Afrique et du Moyen-Orient».