Les États-Unis, la Chine et la Covid-19
Par Ahmed Faouzi
Les États-Unis et la Chine livrent, ces dernières années, un duel qui risque d’être tragique pour la paix dans le monde.
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les alliés et les pays vainqueurs, dont l’Union Soviétique (URSS), ont bâti un ordre mondial basé d’abord sur les institutions des Nations unies, pour, d’une part, gérer les crises politiques, et ensuite sur celles de Bretton Woods pour réguler l’économie mondiale. Ce monde que l’on croyait durable commence à s’essouffler pour laisser la place à une nouvelle ère dont les contours commencent à peine à se dessiner.
Depuis cette date, le monde a trouvé un modus-vivendi établissant un équilibre entre l’Occident d’une part et les pays socialistes du bloc de l’Est de l’autre. L’effondrement du mur de Berlin en 1989, et la réunification de l’Allemagne ont mis fin à la guerre froide entre les deux blocs, et annoncé l’avènement d’un néolibéralisme qui, à son tour, s’essoufflera à partir de 2008 avec la crise financière. Entre temps, alors que l’Occident faisait face aux effets pervers de la mondialisation (conflits, guerres, migration, terrorisme…), la Chine traçait son chemin pour devenir la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis.
Le protectionnisme comme doctrine
L’élection de Donald Trump, chantre du libéralisme, a soudainement érigé le protectionnisme comme doctrine pénalisant aussi bien ses alliés européens que la Chine devenue, à ses yeux, un réel et dangereux concurrent. En adoptant le slogan « America First », le Président américain a traduit dans les faits et à sa manière, la perte de confiance dans le libéralisme instauré à l’évidence par son propre pays à l’échelle de la planète. Ces déclarations d’intention se sont traduites, en outre, par les dénonciations successives des accords commerciaux avec l’Europe, de l’accord nucléaire avec l’Iran, et de l’accord de Paris sur le climat, pour ne citer que ceux là.
C’est durant cette période de grands bouleversements qu’apparut la pandémie Covid-19 d’abord en Chine puis, par la suite, sur l’étendue de la planète, paralysant ainsi le commerce international et les relations entre les Etats. Cette crise a mis face à face, et comme jamais auparavant, les États-Unis et la Chine, deux superpuissances que tout sépare.
Cette dernière, longtemps humiliée par l’Occident jusqu’au déclenchement de la révolution communiste menée de main de fer par Mao Tse Toung, a pris sa revanche en rénovant son système éducatif et son appareil productif devenant ainsi la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis. Contrairement à ces derniers, impliqués dans plusieurs conflits à travers le monde, la Chine avance ses pions et concentre tous ses efforts pour acquérir des parts de marché à l’international aux désavantages des Américains.
Le déclenchement de la pandémie Covid-19 est venu mettre en doute la capacité de la Chine à venir à bout de cette maladie malgré les mesures drastiques pour en contenir la progression. En dépit de ces efforts, les conséquences sur l’économie du pays sont déjà visibles : fermeture d’usines, augmentation du chômage, baisse de la consommation et des exportations. Durant les trois premiers mois de 2020, la croissance chinoise a baissé de -6,8 % par rapport à la même période de 2019. Les partenaires de la Chine, pour leur part, commencent à envisager de rapatrier une partie de leurs investissements en dehors de l’Empire du Milieu pour mieux sécuriser leurs approvisionnements notamment au niveau des industries liées à la santé.
Au niveau de sa gestion diplomatique et communicationnelle de la crise Covid-19, la Chine n’a pas enregistré pour ainsi dire une totale réussite. Longtemps accusée d’avoir caché l’étendue de la pandémie, Pékin n’a trouvé d’appui pour la soutenir que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la personne de son Directeur Général, l’Ethiopien Tedros Adhanom après avoir remplacé la Chinoise Margaret Chan qui a dirigé l’Organisation durant une dizaine d’années.
L’actuel directeur général de l’OMS a occupé, chez lui en Ethiopie, les postes de ministre de la santé puis ministre des Affaires Étrangères, postes durant lesquels il a su tisser des relations étroites avec les responsables chinois. C’est en raison de ces liens qu’il a été accusé de connivence avec Pékin et d’être le porte-parole de la Chine au sein de l’OMS. Ce n’est un secret pour personne le soutien actif apporté par la Chine à sa nomination à la tête de l’une des plus importantes organisations des Nations-unies. Lors du lancement de sa candidature, le 24 mai 2016, en marge de la 69ème Assemblée de l’OMS, l’Éthiopie et la Chine ont fait cause commune pour promouvoir sa candidature, à côté d’autres pays comme l’Afrique du Sud, Kenya, et l’Algérie, dont le ministre de la santé était présent à l’Assemblée.
A plusieurs reprises, on a reproché au directeur général de l’OMS sa gestion de la crise et le retard pris pour déclarer la pandémie ainsi que sa connivence avec les autorités chinoises pour minimiser la responsabilité de ces dernières sur l’étendue de la contamination. Tout en niant cette proximité avec la Chine, le Directeur général ne s’est pas empêché, lors de sa visite à Pékin les 26 et 27 janvier 2020, de féliciter le Président chinois Xi Jiping pour « sa transparence et son sens politique », rien que ça. De retour à Genève, il est interrogé par la presse sur son soutien aveugle à la Chine alors que la pandémie progresse, il persiste en réitérant « qu’il louerait encore et encore (les Chinois) car les actions de la Chine ont vraiment aidé à réduire la propagation de l’épidémie à d’autres pays ». Ce qui s’est avéré faux par la suite.
Du côté chinois, on ne cache pas la satisfaction des autorités de ce pays quant à la gestion de cette crise par le directeur général de l’OMS. Le ministre chinois des Affaires Etrangères Zhao Lijian n’hésite pas à déclarer, le 9 avril 2020, que Tedros « a activement rempli ses tâches et imposé une méthode impartiale scientifique et objective» pour gérer cette crise. On ne peut pas être plus claire.
En dehors de l’OMS, la diplomatie chinoise a eu beaucoup de mal à mener une politique cohérente. Lors du sommet sur la Covid, tenu à Bruxelles le 4 mai 2020 -réunion qui a rassemblé 50 chefs d’État et ministres- la Chine s’est fait représenter à un faible niveau à travers son ambassadeur auprès de l’UE. Celui-ci a annoncé que son pays allait allouer une somme de 260 millions d’euros au Fonds d’aide à la recherche contre la Covid-19 et une donation à l’OMS de 50 millions $, au moment où des pays comme l’Allemagne qui a octroyé une enveloppe de 525 millions $, ou la France qui a annoncé 500 millions $ sans compter le 1,2 milliard d’euros versés à l’Agence française de développement (AFD) pour lutter contre la pandémie à l’échelle internationale.
Dualité Chine /États-Unis et déglobalisation
Face à ce qui précède, quelles sont les conclusions qu’on peut tirer de l’irruption de cette pandémie et les perspectives d’avenir sur les relations internationales ? :
1/ Tout d’abord, la Covid-19 est venue rappeler à l’humanité la fragilité du système économique néolibéral instauré depuis la chute du mur de Berlin et le besoin vital et urgent à inventer un nouveau multilatéralisme à visage humain inclusif et solidaire.
2/ Paradoxalement, cette pandémie a rétabli le rôle régalien des Etats comme premier rempart à la globalisation sauvage qui creuse les disparités entre les pays et les nations. Ceci a été constaté au sein de l’Union européenne qui a rétabli les frontières pour protéger ses populations.
3/ L’effet induit de ces réactions a été l’exacerbation des nationalismes et l’adoption d’un protectionnisme à outrance. Des prémices de ces tendances sont apparues bien avant la pandémie en Europe et aux États-Unis où les idées d’extrême droite ont prévalu dans les campagnes électorales. Ces tendances peuvent constituer de nouvelles sources d’instabilité pour la communauté internationale.
4/ La Chine est venue confirmer sa place dans l’échiquier international comme acteur important et incontournable des relations internationales. Les États-Unis, qui s’enferment de plus en plus sur eux-mêmes, n’ont plus le choix que de négocier pour instaurer une nouvelle ère de prospérité et de paix pour l’humanité. La Chine n’est certes pas encore le centre de gravité du monde mais elle est en passe de le devenir.
5/ La dualité États-Unis / Chine risque d’être paralysante bien au-delà de ces deux puissances si un modus vivendi n’est pas trouvé au risque de voir hypothéqué la paix entre les nations, et seul un multilatéralisme multipolaire peut apporter les réponses auxquelles l’humanité aspire. De même, la facture à payer pour les pays en développement doit être âprement négociée pour que les grandes puissances économiques prennent leur responsabilité afin de réduire les inégalités accrues suite à cette pandémie entre le Nord et le Sud.
6/ Enfin la déglobalisation, telle que prônée par certains, ne peut être une option viable en raison de l’imbrication de l’économie mondiale car jamais l’humanité n’a été si connectée, humainement et économiquement qu’aujourd’hui. Face aux menaces globales, seule une coopération internationale basée sur les principes, toujours d’actualité, de la Charte des Nations-unies est à même d’apporter la paix et la prospérité à tous les peuples.