Relance, les banques se mettent en ordre de bataille
Par Omar El Yazidi
Mis en devant de la scène depuis l’annonce du programme Intelaka, le secteur bancaire s’est retrouvé par la force des choses en ligne de front afin de sauver le soldat «entreprise». Une mission qui s’annonce périlleuse en l’absence de visibilité sur la situation pandémique, mais surtout en l’absence de plans sectoriels clairs pour tirer la machine économique.
Fin 2019. Les bureaux capitonnés des sièges des établissements bancaires connaissent un affairement de ruche. C’est que le discours royal prononcé à l’occasion de l’ouverture de la première session de la 4e année législative est sans équivoque : le secteur bancaire est exhorté à une implication plus vigoureuse dans la dynamique de développement. Cet effort doit porter spécifiquement sur le financement de l’investissement, l’appui aux activités productives, pourvoyeuses d’emplois et génératrices de revenus. Taxées depuis plusieurs années de ne pas soutenir suffisamment les entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, les banques sont appelées à innover. Le gouvernement et Bank Al-Maghrib, en coordination avec le groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) planchent alors à la mise au point d’un programme spécial d’appui aux jeunes diplômés, de financement des projets d’auto-emploi, afin de changer la perception de certaines catégories de la population, qui considèrent le secteur bancaire comme un organisme ne recherchant qu’un profit immédiat et sans risque. Les réunions s’enchainent afin de sortir avec un dispositif qui répond aux objectifs fixés par le Roi.
Intelaka, un vrai effort consenti par les banques
C’est ainsi que «Intelaka» voit le jour. L’annonce est faite en grande pompe, à la hauteur de l’ambition du programme et les mesures sont légions : mise en place d’un fonds de 6 milliards de dirhams à parts égales entre l’État et les banques étalés sur trois ans pour soutenir l’entrepreneuriat, déblocage d’une enveloppe d’aide de 2 milliards de dirhams de la part du Fonds Hassan II accordée sous forme de crédits gratuits, relèvement du taux de la garantie du CCG à 80% ou encore mise en place d’un mécanisme de refinancement illimité de la part de la Banque centrale au taux préférentiel de 1,25%… tout a été fait pour donner un vrai coup de boost à l’entrepreneuriat. Mais c’est surtout les mesures prises par les banques qui suscitent l’admiration. Pour la première fois, le taux du crédit est plafonné à 2% et atteint même le seuil record de 1,75% pour le monde rural, dont les projets comportent pourtant le plus de risques. Tout de suite après l’annonce, c’est la déferlante. Des milliers de dossiers de demandes de financement de projets ont été traités et obtiennent même l’avis favorable des banques. Ainsi, à fin février 2020, ce sont plus de 143 millions de dirhams de crédits qui ont été octroyés à 1.090 bénéficiaires.
Sauf que quelques jours plus tard, l’annonce du premier cas confirmé au Covid-19 viendra stopper cet engouement. Fermeture des frontières, état d’urgence sanitaire et confinement auront raison une bonne fois pour toutes de cette nouvelle dynamique. La machine économique est touchée de plein fouet et le spectre du chômage plane mettant en situation de précarité des millions de ménages marocains. Mais là encore, c’est le secteur bancaire qui est appelé à la rescousse. Passé les premières mesures d’urgence du Comité de veille économique (CVE) dont notamment la mise en place du Fonds de solidarité Covid-19 et la distribution des indemnités aux personnes les plus touchées, ont fait appel encore une fois aux établissements bancaires afin d’injecter de la liquidité. La CCG est également de la partie et assume une grande part (jusqu’à 95%) de la garantie de nouveaux produits de prêts mis en place. Que ce soit «Damane Oxygène», «Damane Relance» et «Relance TPE», les banques font encore un nouvel effort afin de mobiliser des ressources de financement en faveur des entreprises dont la trésorerie s’est dégradée à cause de la baisse de leur activité. Il est même question d’un crédit à taux zéro pour les autoentrepreneurs, impactés par la crise du Covid-19, pouvant atteindre un montant de 15.000 dirhams. Ce crédit est remboursable sur une période pouvant aller jusqu’à 3 ans avec un délai de grâce d’un an.
Vers une année blanche ?
Mais tous ces dispositifs, et aussi alléchants qu’ils puissent être, ne représentent pas l’ensemble de la solution. Tout le monde attendait en effet avec impatience le projet de loi de finances rectificatives et les mesures qu’elle allait comporter pour contrer les effets de la crise. Que l’approche se fasse pour relancer la demande à travers l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages ou en favorisant l’offre en optant pour des allégements fiscaux à même de redynamiser le secteur privé. Au final l’exécutif évitera de s’attaquer frontalement au problème et manquera d’audace en concoctant un texte de loi sous le signe de l’austérité. En effet, l’investissement global du secteur public a baissé à 182 milliards de dirhams, contre 198 milliards initialement prévus dans la loi de Finances 2020. 16 milliards de dirhams en moins alors que les opérateurs s’attendaient à plus. Le secteur privé restera également sur sa faim, lui qui espérait des crédits gratuits et des annulations (et non pas le report) des charges sociales. À peine aura-t-il la maigre pitance du report de l’augmentation du SMIG et d’une permission officieuse d’opérer des plans sociaux à hauteur de 20% du personnel. Du côté de gouvernement, ce manque de courage s’explique par l’absence de visibilité sur l’avenir de la situation épidémique au royaume. Le nombre de nouveaux cas confirmés qui explose fait en effet planer le risque d’un reconfinement avec ce que cela suppose d’effort budgétaire pour maintenir les aides et les indemnités. Les vraies mesures seront donc préservées pour la prochaine loi de finances qui commence déjà à être discutée. Une position compréhensible sauf qu’en l’absence de plans sectoriels clairs concernant des segments durement impactés (tourisme, automobile, aéronautique, BTP…), les entreprises se retrouvent devant la seule option du crédit. Une situation qui risque de créer une crise de surendettement qui finira par impacter durement ce même secteur bancaire, seul soldat au front. Déjà, les créances en souffrance ont connu une hausse soutenue depuis le début de l’année pour atteindre 5,8%. Ainsi, leur montant croit plus vite que le montant des crédits octroyés aux entreprises selon le dernier rapport de la supervision bancaire de BAM.
De nouvelles solutions devront alors être trouvées, à l’instar de nouveaux moyens de financements hybrides, permis notamment par la nouvelle réforme annoncée de la CCG afin de desserrer l’étau. Surtout que l’année prochaine est une année électorale et qu’il est à parier que les partis politiques réserveront leurs meilleures mesures pour faire compagne. De quoi faire endurer au pays une nouvelle année sans réel changement. Le Maroc le supportera-t-il ?