Mohammed RAHJ : La loi de finances rectificative, une répartition budgétaire davantage technique que politique

Surpris par les nouvelles rectifications de la loi de finances 2020, les professionnels du secteur économique marocain se soulèvent contre la fragilité du nouveau projet de loi de finances rectificative. Certes, ce dernier a établi quelques mesures fiscales, mais, elles restent « insuffisantes » pour préserver les emplois et soutenir les entreprises en difficulté. De même pour les secteurs de la santé et de l’éducation qui se contentent d’un budget réduit, alors qu’ils attendaient à une consolidation de leurs investissements. Est-ce que ce nouveau PLFR permettra réellement d’accompagner le redémarrage progressif de l’activité des différents secteurs de l’économie nationale ?

 Le nouveau projet de loi de finances rectificative vient, comme son nom l’indique de rectifier, dans le court terme, la loi de finances initiale, suite aux transformations socio-économiques qui se sont produites au cours de cette période de crise. Cette rectification a fait monter la grogne chez les professionnels du secteur économique, qui attendaient à ce que le projet de loi apporte, d’une manière beaucoup plus poussée, de nouvelles mesures pour la relance. À l’heure de la Covid-19, la politique budgétaire au Maroc a semé une cacophonie. Ce nouveau budget rectifié a prévu un changement drastique au niveau du taux de croissance (5%) et du déficit budgétaire (7,5%). Ainsi, il a imposé une révision des priorités au niveau de l’affectation des dépenses, en tenant compte de l’actuelle conjoncture économique et sociale. Ces constats montrent la gravité et l’ampleur des déséquilibres budgétaires. En effet, la nouvelle loi de finances rectificative a prévu un budget davantage « technique » que « politique », alors qu’on définit généralement un budget comme un acte politique autorisé par le gouvernement effectuant une politique économique, financière, sociale, culturelle et sportive durant une année. Concrètement, avec les nouvelles rectifications, il n’y a pas l’aspect politique en tant qu’acte réel, pour appuyer la relance de l’économie nationale, a fait remarquer l’ancien Président de l’Université de Settat et le fiscaliste, Mohammed Rahj, dans une interview accordée à Maroc Diplomatique. Notons que le Haut-Commissariat au Plan, de son côté, a fait ressortir dans une publication sur le budget économique exploratoire 2021, un certain nombre de problèmes d’ordre budgétaire et financier. Les emprunts extérieurs supplémentaires du Maroc ont dépassé le plafond des financements extérieurs fixé par la loi des finances 2020 (31 milliards de dirhams). Cela résulte principalement des dépenses publiques élevées imposées par la pandémie, et du ralentissement des recettes de l’État. Dans ce sens, le projet de loi de finances rectificative vient, en principe, de modifier la répartition des ressources et des charges de l’État, visant à atténuer les répercussions négatives de la pandémie.

La Covid-19 met à rude épreuve le système budgétaire

Malheureusement, la nouvelle rectification ne fait pas que des heureux. Face aux conséquences économiques et sociales de la crise épidémiologique, cette nouvelle loi, selon Mohammed Rahj, a prévu des changements onéreux au niveau des agrégats et des hypothèses fixées par la loi de finances initiale, qui en sont devenues « caduques ». Il y avait également quelques aménagements au niveau des rubriques budgétaires, sous forme de réduction de dépenses, ce qui nous amène à constater que presque tous les départements ministériels ont enregistré « une baisse au niveau des dotations budgétaires qui s’agissent des dépenses de fonctionnement (personnel et matériel) et des investissements », a-t-il estimé. Concernant les investissements, le projet de loi de finances rectificative pour l’année 2020 a prévu au titre du budget d’investissement des départements ministériels et institutions, des baisses au niveau des crédits de paiement et des crédits d’engagement, de respectivement, 16,14% et 27,61%. Ces données exposées par le ministre des Finances lors d’un discours présenté devant le Parlement étaient « rhétoriques », selon le fiscaliste. Pourquoi avait-il annoncé la diminution de l’investissement public global par rapport au budget initial, alors que les institutions publiques avaient besoin de plus d’investissement pour relancer la machine à travers la commande publique ?? se demande-t-il. S’agissant des secteurs de l’éducation et de la santé, l’ancien président de l’Université de Settat a indiqué qu’il a été déçu par la vision de la nouvelle rectification, en raison de la baisse inattendue des investissements dans ce secteur. « Ce qui m’a étonné, c’est la baisse du budget destiné à l’enseignement, alors que ce secteur a rencontré plusieurs problèmes, surtout au niveau de l’enseignement à distance durant la crise. De même pour le secteur de la Santé qui n’a connu aucune mesure favorable ». Devant ce constat alarmant, le fiscaliste a proposé d’instaurer une dotation exceptionnelle, rien que pour les outils, les matériels et les plateformes pour pouvoir accompagner les deux secteurs et moteurs clefs de développement.

Soutien insuffisant aux entreprises en difficulté

Force est de rappeler les menaces que courent les entreprises en cette période de crise, le nouveau projet de loi a réservé une enveloppe de 5 milliards de dirhams à partir des disponibilités du «Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Covid-19», pour accompagner et soutenir les entreprises en difficulté. Une étape qui reste insuffisante nécessitant une série de programmes de « subventions directes » en faveur des petites entreprises qui sont à genoux à cause de la faillite. Ledit projet a proposé, dans ce sens, de favoriser la production locale en vue de réduire le déficit de la balance commerciale, en accompagnant les secteurs à forte valeur ajoutée locale et en augmentant les droits d’importation applicables à certains produits finis de consommation de 30% à 40%. En revanche, au niveau des impôts (IR/IS) et taxes (TVA), il n’y avait aucune mesure remarquable pour alléger la pression sur les entreprises et ses salariées. Il n’empêche que la mesure portant sur les droits de douane a été appréciée par certains producteurs et commerçants locaux, car elle vise à « dissuader » les importations de quelques produits extérieurs et encourager la production locale, visant à faire des économies de devises. En ces temps de crise, la production locale constitue le principal déterminant du profil du « PIB Régional », affirme un économiste. Les pouvoirs publics peuvent encourager les produits et les services locaux en facilitant l’accès au foncier et l’octroi du financement bancaire. Ce nouveau PLFR reste une solution prothétique et modifiable à tout moment, tant qu’on n’a pas encore une vision claire sur la fin de la pandémie qui perturbe le processus de la répartition équitable des richesses entre les Marocains. Ce qui suscite plusieurs interrogations, à savoir, ce nouveau projet est-il réellement à la hauteur des attentes des concitoyens qui ont besoin d’une lueur d’espoir face à l’ampleur de la crise économique ? Quid des rôles des partis politiques ? Ceux-ci gardent-ils leurs meilleures cartes pour la campagne électorale 2021 ?

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