Et si on repensait le tourisme ?
La situation sanitaire que connait le Maroc à l’heure actuelle ne laisse pas présager un rapide retour à la normale, alors que la saison estivale touche déjà à sa fin. C’est vrai que la signature récente du contrat programme pour la relance du tourisme est censée apporter une bouffée d’oxygène aux entreprises touristiques, mais tôt ou tard, il va falloir revoir le modèle touristique marocain pour s’adapter aux nouveaux paramètres qui vont conditionner l’industrie touristique durant les prochaines années.
Tanger, Marrakech, Fès et récemment Casablanca, ces zones à fort potentiel touristique ont connu récemment une recrudescence cas positifs au coronavirus, sans précédent. Le bilan des contaminations annoncé ces dernières semaines n’augure rien de bon quant à la maitrise de la pandémie, encore moins par rapport aux répercussions sur l’industrie du tourisme en particulier.
La saison estivale, le grand raté
Dans la ville ocre, les signaux de la crise se font notables. Cette ville, qui vit aux battements du tourisme national, mais surtout international, se trouve aujourd’hui désertée. Une scène qui attriste les Marrakchis, habitués à une certaine « way of life » assez festive. « Sans les restaurants, sans les spectacles, sans les fantasias, sans les shows… les nuits de Marrakech n’intéressent personne », atteste Rita Touzani, la directrice générale d’une agence de voyages. Pour elle, « on ne peut dissocier Marrakech de sa vie nocturne, ses restaurants, ses comptoirs, le Jad Mahal, le darsoukar et de ses festivals », dit-elle.
La capitale touristique du Royaume, qui relève de la zone rouge, serait la ville la plus sinistrée. Charmeurs de serpents, calèches, guides touristiques et d’autres petits métiers qui découlent du tourisme sont à l’agonie. Ces derniers n’ont pas travaillé depuis le mois de mars. Une situation dramatique qui fait que tous les maillons de la chaîne touristiques sont aujourd’hui impactés de plein fouet.
Cette saison estivale est totalement ratée. L’hôtellerie est au point mort. Selon le vice-président de la Confédération du tourisme (CNT), Fouzi Zemrani, sur 450 unités, uniquement 39 hôtels ont pu prendre le risque d’ouvrir, avec des taux d’occupation qui ne dépassent pas les 15%. Quant aux maisons d’hôtes, elles sont presque toutes fermées.
« Ce qui rend la situation difficile c’est le changement continu de la situation. Un coup tout va bien, un coup tout va mal. On vit dans l’incertitude la plus totale, alors qu’il y a déjà une perte de 10 mois d’exploitation sur 2020 et aucune prévision sur 2021 » nous confie la co-organisatrice du salon Ceremony, décrivant la situation comme l’effet d’une « douche écossaise ».
Cette incertitude dans laquelle sombrent ces professionnels du tourisme découle, entre autres, du cafouillage qu’il y a eu le 26 juillet, en raison de la décision annonçant le jour même à 19h la fermeture effective de 8 villes à minuit. Les touristes nationaux ont dû quitter les établissements en un temps record, réclamant le remboursement du séjour. Une décision, qui bien qu’elle soit raisonnable, a engendré beaucoup de pertes financières et d’annulations de réservations d’hôtels.
C’est le cas dans les autres villes concernées par les restrictions de déplacement, notamment, à Tanger où le taux de remplissage des hôtels ne dépasse pas les 6%. Les plus grandes enseignes sont fermées, à l’exception du Hilton qui a réussi à s’en tirer avec un taux d’occupation entre 50 et 60%, selon nos confrères de « Tourismapost ».
Pour le cas à Casablanca aussi où les hôtels sont vides puisque la métropole enregistre des taux inquiétants de cas positifs ces derniers jours.
À ce stade, l’ensemble de l’écosystème touristique est menacé : les salariés de l’hôtellerie et de la restauration, mais aussi les agences de voyages, les fournisseurs, les transporteurs ou encore les artisans.
Chiffres à l’appui. « L’impact estimé de la crise relève d’une baisse de 69% pour les arrivées touristiques, de 60% pour les recettes en devises et d’environ 50% de perte d’emplois », c’est ce qui ressort de la note de conjoncture de la Direction des études et des prévisions financières (DEPF).
Quant au nombre des arrivées touristiques, il s’est replié de 63% à fin juin 2020 et celui des nuitées réalisées dans les établissements d’hébergement classés de 59%. Pour le mois de juin, le nombre des nuitées réalisées s’est établi à 68.199, en retrait de 97% en une année.
Contrat-programme : le tourisme sous perfusion
Au milieu de tout ce chaos, une lueur d’espoir semble filtrer, suite à la signature du contrat-programme, le 6 août. Une bouffée d’oxygène pour les opérateurs et les salariés du secteur. Couvrant la période 2020-2022, le document comprend 21 mesures, qui permettront au secteur notamment de préserver le tissu économique.
Pour ce faire, une indemnité de 2.000 dirhams sera destinée aux salariés et stagiaires sous contrat insertion des établissements d’hébergement touristique classés, des agences de voyages, des transporteurs touristiques et les guides. Cependant, plusieurs professionnels pointent du doigt leur exclusion de ce contrat-programme, malgré leur contribution aux recettes du secteur et aux emplois et au drainage des investissements, comme ceux qui font de l’animation touristique, les restaurants classés, les bazars et les loueurs de voitures.
L’objectif escompté est de récupérer plus de 5 millions de touristes, 28 milliards de dirhams de recettes voyages en devises, et assurer le maintien d’au moins 80% des emplois stables sur la période 2020 – 2022.
Pour Fouzi Zemrani, « Le contrat-programme était prévu pour rendre un certain nombre de services au secteur du tourisme, maintenant, c’est sa mise en œuvre qui va être importante, il reste à savoir s’il va être mis en œuvre dans sa totalité et combien de temps cela va prendre », souligne-t-il.
Toutefois, ce contrat-programme n’est toujours pas exécuté et toutes les conventions et les avenants qui y sont prévus n’ont toujours pas été abordés au moment où nous mettions l’article sous presse.
En l’absence d’une visibilité quant à l’évolution de la situation épidémiologique, il est difficile d’avancer une date pour la relance du secteur. Mais au pire, que risque-t-on ? « Des pertes énormes d’abord en emploi, parce qu’on ne va pas continuer de payer les gens très longtemps s’il n’y a pas de rentrée d’argent. Certes, le contrat-programme va nous permettre d’avoir un accompagnement jusqu’au 31 décembre, mais au-delà de cette date, l’État n’a pas les moyens, d’ailleurs, ça a été dit de manière officielle », prévient le vice-président de la CNT.
La situation sanitaire actuelle ne laisse pas présager un rapide retour à la normale, alors que la date du 31 décembre 2020 annonce la fin de la trêve, dès lors les professionnels du tourisme vont devoir payer leurs salariés de leurs propres poches.
Tourisme marocain : un modèle qui s’écroule ?
Déjà le tourisme d’affaires tel que nous le connaissons, il ne va plus exister, selon Rita Touzani, « Même si on reprend le 1er janvier, ce ne sera plus du tout le même taux de remplissage. Nous avons besoin d’une cellule créative qui aura la charge de repenser, revoir et réinventer les modalités du nouveau tourisme présentiel ».
C’est ce que pense aussi Fouzi Zemrani, qui précise qu’il faut revoir complètement notre modèle de développement touristique et prendre en considération les nouveaux paramètres qui vont conditionner l’industrie touristique durant au moins les trois prochaines années. « Aujourd’hui, il va falloir l’oublier le tourisme de masse, maintenant qu’on est en période de distanciation, les gens doivent être séparés l’un de l’autre d’au moins un mètre », souligne-t-il. Et d’ajouter : « il y a une certaine méfiance qui va commencer à s’installer et il y aura de moins en moins des gens qui voudront voyager en groupe. Les gens vont privilégier d’aller dans des endroits aérés et spacieux, où ils peuvent circuler sans se bousculer les uns les autres. Un tourisme de qualité devrait être privilégié pour préserver la santé des vacanciers ».
Un avis que partage le Professeur Mustapha Chagdali, psychosociologue et enseignant-chercheur à l’institut supérieur international du tourisme de Tanger (ISITT). Celui-ci considère que « le tourisme c’est l’antidote du stress, mais, quand on instaure déjà des éléments de stress et qu’on commence déjà le voyage avec des tests médicaux et des restrictions un peu partout, on n’est plus dans le tourisme ».
En attendant la levée des mesures de restrictions de déplacement, il propose de « mettre le cap sur le tourisme de proximité, dans le sens où on peut circuler juste dans les villes touristiques de la région où on habite », c’est l’espoir qui reste pour redynamiser le tourisme pour le reste de l’année 2020. « Quoique, au bout d’un moment, il va falloir trouver une solution parce qu’il y a beaucoup de secteurs connexes au tourisme », souligne-t-il.