Les conséquences économiques de la crise sanitaire
Par Michel Ruimy
Jamais nous n’avions connu une crise comme celle de la Covid-19. Ni en 1929 ni en 2008. La crise actuelle est unique ! Elle est sans équivalent, car contrairement aux autres crises, elle ne vient ni de l’économie réelle ni de la sphère financière. Les dernières grandes crises venaient de chocs endogènes (éclatement de bulles spéculatives boursière et immobilière), la crise du coronavirus vient d’un choc totalement exogène (sanitaire). Le choc économique provoqué par la pandémie transite par trois différents canaux. Le canal de l’offre, par le biais des fermetures d’usines et d’une pénurie de travailleurs qui ne se rendent plus sur leur lieu de travail. Le canal de la demande à cause des mesures de confinement prises dans les différents pays et la fermeture de nombreux commerces contraignant mécaniquement la consommation des ménages. Le canal de l’incertitude, enfin, qui concerne en particulier l’efficacité des politiques de soutien à l’activité.
Il était difficile d’imaginer qu’une crise de cette nature puisse avoir un impact sans précédent sur l’économie réelle. Même en temps de guerre, nous n’avons jamais connu une crise où nous avons été obligés de fermer l’économie, dans quasiment tous les pays en même temps, en quelques semaines. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 4 milliards de personnes, soit plus de la moitié de la population mondiale, ont été confinées au même moment. L’impact économique de cette crise sanitaire est donc sans précédent. Aucun pays n’échappe à une chute spectaculaire de son activité. En France, par exemple, la perte d’activité économique a été évaluée à plus d’un tiers du produit intérieur brut (PIB) et près de 12,5 millions de travailleurs ont été placés en chômage partiel. Aux États-Unis, ce sont près de 17 millions de personnes qui ont perdu leur emploi en trois semaines (près de 10% de la population active). Là encore, du jamais vu ! À titre de comparaison, durant la récession qui a suivi la crise des subprimes les disparitions nettes d’emplois s’étaient élevées à environ 9 millions et le taux de chômage avait atteint un pic de 10%. Il est encore trop tôt pour évaluer précisément l’ampleur de la récession mondiale puisque nous ne connaissons pas encore le temps que prendra le déconfinement progressif global. Mais, à ce jour, alors que les assureurs pressentent aussi une élévation du nombre des faillites, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une contraction du PIB mondial de 5% en 2020. Des États-Unis (-8%) à la zone euro (-10,2%) en passant par le Royaume-Uni (-10,2%), ces chiffres traduisent la pire récession mondiale depuis la grande dépression de 1929. L’institution évalue à plus de 12.000 milliards de dollars la perte cumulée pour l’économie mondiale pour 2020 et 2021 ! Sans compter que la crise économique risque de frapper plus durement les pays en développement, dont l’économie est fragile : des millions de personnes pourraient perdre leurs moyens de subsistance, y compris ceux qui travaillent dans l’économie informelle. Et si les conséquences sanitaires de la crise économique étaient pires que celles du coronavirus ?
Ce qui caractérise également cette crise, ce sont la rapidité et l’ampleur des mesures prises par les banques centrales pour atténuer les effets économiques de ce drame sanitaire. Les États peuvent, en effet, compter sur le soutien quasiment inconditionnel des banques centrales. Tirant les leçons des crises précédentes, en particulier celle de 2008, la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne (BCE) en tête ont été plus réactives que jamais. Cette fois, quinze jours auront suffi — du 3 au 18 mars — pour ramener l’ensemble des taux d’intérêt mondiaux à zéro et relancer les outils « non-conventionnels » déployés à la faveur des dernières crises, quitte à s’affranchir de certaines règles qu’elles s’étaient toujours fixées. Désormais, la BCE s’est donné la possibilité d’intervenir quasiment sans limites pour soutenir un État en difficulté. Du côté de la Federal Reserve, la révolution concerne plutôt le soutien aux dettes d’entreprises. La banque centrale américaine n’a pas hésité à contourner la loi pour apporter son aide aux entreprises. Près de 2.300 milliards de dollars de nouveaux prêts qui seront ainsi accordés aux entreprises, mais aussi aux collectivités locales et aux ménages.
Quelle évolution économique ?
Face à ce choc massif, les autorités publiques ont emprunté les mêmes procédures partant de l’observation, des diagnostics, de la prise en charge des cas les plus graves, du confinement… À l’arrivée, les différentiels de bilan sanitaire, économique et social tiennent principalement à l’état de préparation et d’équipement, à l’organisation et surtout à la réaction des populations au niveau individuel. Afin d’assurer au mieux le redémarrage économique, les autorités publiques ont su réagir. Leurs réponses budgétaires sont tout aussi uniques et impressionnantes (dispositif de chômage partiel, garanties de prêts de trésorerie pour les entreprises…). Les solutions apportées sont encourageantes par leur ampleur, leur rapidité et leur coordination mondiale. D’énormes progrès ont été faits depuis 1929, époque où il n’y avait alors aucune coopération internationale, ni de politique monétaire comparable à celles d’aujourd’hui, pas de structure de refinancement international, ni d’organisme de restructuration de dette. L’évolution à court terme de l’activité dépendra entièrement de la durée et de la sévérité du confinement des populations, une fois qu’il sera levé, la reprise sera probablement progressive et inégale. L’action des pouvoirs publics devra évoluer, les mesures d’aide face à la pandémie cédant la place aux mesures de relance de la croissance, avec des finances publiques encore mises à l’épreuve. Dans les pays où l’épidémie est désormais sous contrôle, la surveillance de l’évolution, la prévention d’une deuxième vague et la sortie de la crise économique et sociale dépendront essentiellement des comportements individuels des populations.
Le coronavirus n’est évidemment pas à l’origine de la crise mondiale. Cette pandémie n’est pas la plus grave de l’Histoire, mais elle est un fait révélateur de dysfonctionnements qui existaient auparavant. Ou bien les populations en ont conscience et elles pourront entreprendre un changement de comportement, ou bien elles s’y refusent et vont au-devant de difficultés autrement plus graves que l’épidémie elle-même. Certains économistes voient, dans cette crise, des opportunités de faire évoluer nos modèles de croissance et nos modes de consommation. N’oublions pas qu’après le « traumatisme » des deux guerres mondiales et de la crise des années 1930, un nouveau système économique s’était mis en place. Cette crise peut être ainsi le point de départ de deux évolutions opposées. L’une, la dérive : on continue comme avant avec tout ce que cela entraîne sur la durée de risques croissants financiers, sociaux, et donc politiques. L’autre, le sursaut : national par excellence, associant État et forces vives, résolument solidaires, qui implique aussi des choix énergiques, donc des priorités. L’enjeu est donc particulièrement sérieux. Il faut y penser dès maintenant.