Anouar Benazzouz : « La recapitalisation d’ADM n’est pas prévue aujourd’hui, mais elle reste une option pour le futur si cela s’impose »
Déficitaire structurellement par rapport à la nature de son activité de constructeur de grosses infrastructures, Autoroutes du Maroc (ADM) a subi de plein fouet la crise sanitaire actuelle. Au point de pousser l’entreprise publique à alerter sur son résultat et prévoir une cure d’austérité afin de pouvoir s’en sortir. Chantiers prioritaires, endettement, recapitalisation, contrat-programme…, pour faire le point sur ces thématiques, MAROC DIPLOMATIQUE a rencontré Anouar Benazzouz, Directeur général d’ADM qui a accepté de répondre à nos questions.
MAROC DIPLOMATIQUE : ADM vient de communiquer sur ses indicateurs du premier semestre 2020 qui font ressortir une baisse du chiffre d’affaires de 437 millions de dirhams, ce qui vous a poussé à tirer la sonnette d’alarme. Comment prévoyez-vous la sortie de cette crise ?
Anouar Benazzouz : Compte tenu des variables et des inconnues de cette crise sanitaire et de son caractère inédit, le Comité de Direction que je préside s’est organisé en comité de crise et s’est attelé à mettre en place une stratégie basée sur 4 leviers importants d’optimisation et de rationalisation des dépenses :
- Réduction des charges courantes principalement liées à notre activité d’exploitation et rationalisation des dépenses, l’ensemble en phase avec la baisse du trafic (ex. limitation au strict nécessaire de l’activité d’entretien courant, etc.)
- Reprogrammation du budget d’investissement lié à la construction de certains chantiers d’infrastructure (ex. élargissement de certaines gares de péage et construction et modernisation des aires de service).
- Reprogrammation de certains chantiers relatifs aux charges d’entretien périodique de la chaussée (Grosses Réparations) en ne maintenant que ceux en cours d’exécution, le reste a été reporté tout en s’assurant du respect des normes de sécurité pour l’usager.
- Réduction des Charges de personnel (voyage & déplacement)
Quant à la sortie de crise, au jour d’aujourd’hui personne ne peut prétendre ou pronostiquer sur un délai, en revanche ADM s’est mobilisée pour limiter son impact en rationalisant et optimisant ses ressources pour maintenir la continuité du service public, préserver son écosystème et maintenir les chantiers importants d’infrastructure pour soutenir le secteur des BTP dans notre pays.
Sur le plan international, ADM est en contact permanent avec les organisations professionnelles comme l’association européenne des concessionnaires d’autoroutes et ouvrages à péage (ASECAP) et la fédération routière internationale (IRF) pour s’enquérir de l’évolution mondiale de cette crise auprès des concessionnaires autoroutiers. Nous avons échangé mensuellement nos meilleures pratiques en cette période et nous continuons pour assurer notre mission le mieux possible. Il est à souligner également qu’ADM s’est inscrite dans une dynamique de changement et d’adaptation qui s’imposent et s’imposeraient à elle dans le futur.
Le résultat net d’ADM passe aussi dans le rouge avec près d’un milliard de dirhams de déficit. Pouvez-vous nous détailler votre plan pour provisionner cette perte ?
A.B : Le résultat net d’ADM sur les premiers six mois de l’année 2020 est une perte de 518 millions de dirhams, selon les normes comptables marocaines (comptes sociaux). Ce résultat net passe à une perte de (982) millions de dirhams en normes comptables internationales (IFRS). L’écart entre les deux vient essentiellement du traitement comptable de la soulte financière payée pour l’opération de reprofilage obligataire de 2 milliards de dirhams réalisée en février 2020. L’impact de cette soulte est neutralisé par une provision déjà établie dans les comptes sociaux, alors que dans les normes IFRS, l’impact passe directement en charge.
Vous annoncez dans votre communiqué une reprogrammation des chantiers de construction. Quels sont les chantiers qui seront reportés ?
A.B : Le montant global du budget annuel des investissements reprogrammés et de celui de la rationalisation du budget de fonctionnement s’élève à 942 millions de dirhams, cet effort permettra d’anticiper l’impact de la crise sanitaire sur le reste de l’année 2020 à 2021. Certains chantiers concernés par ce report sont ceux relatifs aux élargissements des gares, aux aménagements des aires de service ou encore aux travaux des grosses réparations.
Et quels sont les chantiers prioritaires qui seront maintenus malgré la crise ?
A.B : Parmi les grands chantiers prioritaires, le grand projet d’élargissement à 2×3 voies de l’autoroute Casablanca – Berrechid et de l’autoroute de contournement de Casablanca, qui a démarré en 2016, mobilisé un budget d’environ 400 millions de dirhams, financé par ADM et réalisé entièrement par des entreprises marocaines. Les travaux de la deuxième phase de ce grand projet ont été lancés en mois de juin dernier durant le confinement. Ce projet concerne des sections autoroutières à fort trafic desservant des infrastructures vitales a été scindé en 4 lots dont deux ont été attribués à de grandes entreprises BTP marocaines.
Lot 1 : de la bifurcation d’Ain Harrouda à l’échangeur de Tit Mellil (12.8 km).
Lot 2 : de l’échangeur de Tit Mellil à la bifurcation de Lissasfa (18.2 km).
Lot 3 : de l’échangeur de Sidi Maarouf à la gare de péage de Bouskoura (15,3 km).
Lot 4 : de la gare de péage de Bouskoura au nœud autoroutier de Berrechid (10,7 km).
Pour les lots 1 et 4, les travaux sont en cours d’exécution et les lots 2 et 3, ces derniers sont en cours de lancement (AO en phase finale d’adjudication).
Pour certains secteurs, la crise a été l’occasion d’opérer des changements et d’accélérer des projets. C’est le cas pour vous également ?
A.B : En effet. Je peux citer à titre d’exemple la dématérialisation des procédures de passation des marchés d’ADM à travers un portail des marchés déployé depuis le 29 avril 2020 ainsi que le déploiement actuellement en cours d’un portail électronique de dépôt des factures fournisseurs.
Durant la crise sanitaire, ADM a également entrepris des actions fortes afin d’épauler au mieux le tissu économique qui gravite autour de son activité, notamment l’application systématique de la clause de préférence nationale, sauf dans le cas d’une dérogation imposée par les bailleurs de fonds ainsi que l’assouplissement des modalités de règlement des fournisseurs et la réduction des délais de règlement. Pour éviter à ces derniers de se déplacer, la voie électronique a été privilégiée dans les contacts avec les fournisseurs afin de tenir compte des contraintes sanitaires et de mobilité. Enfin, la passation des marchés d’ADM a été maintenue et les chantiers en cours d’exécution n’ont pas été suspendus.
Où en êtes-vous dans la récupération du crédit TVA de l’État qui pourrait vous être d’une précieuse aide aujourd’hui ?
A.B : Le crédit TVA est en baisse année en année par une réduction moyenne annuelle de 350 millions de dirhams. ADM est toujours en discussion avec l’État pour la récupération du crédit net, qui est de 3,76 milliards de dirhams à fin juin 2020.
Prévoyez-vous une recapitalisation ?
A.B : À l’instant où je vous parle, non ce n’est pas prévu. Mais cela reste une option pour le futur si elle s’impose.
Quid d’un contrat-programme ?
A.B : ADM travaille en étroite collaboration avec les deux ministères de tutelle, le ministère de de l’Équipement, du Transport de la Logistique et de l’Eau et le ministère de l’Économie et des Finances et de la Réforme de l’Administration sur le projet d’un contrat programme tenant compte de son impact futur.
Déjà avant la crise, le volume du trafic autoroutier était insuffisant pour couvrir les charges d’intérêts, avec une absence de visibilité sur la reprise du déplacement inter-villes, ADM risque-t-elle de devenir insolvable ?
A.B : Permettez-moi de préciser que le volume du trafic autoroutier était insuffisant pour couvrir le principal, quant au service de la dette il était largement couvert.
Que représente aujourd’hui le service Jawaz en termes d’abonnés et de pourcentage de la recette globale ?
A.B : Nous sommes heureux de vous informer que nous avons dépassé le 1 million d’utilisateurs du Pass Jawaz, à fin septembre nous étions à 1.100.000 pass vendus avec un taux de recette télépéage aux alentours de 50%. C’est une belle performance commerciale, mais surtout une belle transformation dans les habitudes de nos citoyens qui nous ont fait confiance et ont osé le changement particulièrement de l’espèce vers le télépéage plus sécurisé, plus fluide et sans surcoût vs l’espèce. Cela inscrit notre société nationale sur le chemin du progrès et à grands pas dans la digitalisation de nos services à l’usager confirmant ainsi le succès de notre stratégie de transformation profonde de notre entreprise, mais également de nos métiers d’autoroutiers, transformation entamée depuis 4 ans pour être en phase avec cette mutation mondiale vers des services plus connectés et digitalisés.