Livres: Pourvu qu’il soit de bonne humeur, le livre de Loubna Serraj qui signe son entrée dans le monde littéraire
Loubna Serraj inaugure son entrée en littérature par un livre au titre pour le moins insolite et intrigant : Pourvu qu’il soit de bonne humeur. Il déroule l’histoire de Maya à travers Lilya sa petite fille qui procède à une véritable filature. De quelle histoire sommes-nous issus ? Au-delà de la généalogie, au-delà de l’héritage familial, Lilya, en 2020, vit et ressent dans sa chair les traumatismes physiques de sa grand-mère maternelle qu’elle n’a jamais connue. À cette quête douloureuse d’un secret de famille à jamais enfoui, Lilya s’acharne à remonter le temps pour comprendre cette grand-mère qui s’évade dans les livres, convaincue qu’ils « nous renseignent sur la réalité, même incomplète, mais ne nous mentent pas ». Pourtant sa vie bascule dès lors qu’elle arrête ses études à quinze ans pour se marier.
Au centre du livre, quatre personnages Maya/Hicham et Lilya/Rhani vivent différemment leur relation de couple. Maya dont la voix surgit d’outre-tombe explique à Lilya qu’il s’agit de deux époques différentes, incomparables et qu’il faut tenir compte des évolutions et des mutations qui en découlent. En femme cultivée, du nom de la glorieuse déesse, Maya, une des sept pléiades connues pour leur grande beauté et leur sort tragique, Maya la mortelle, rebelle, participe secrètement au mouvement de résistance. La petite histoire croise la grande et la lutte pour la liberté de son pays symbolise sa liberté individuelle, alors même que celle-ci est exclue.
Curieuse, elle n’étanche sa soif du savoir qu’en compagnie de son frère Marwan avec qui elle a une grande complicité. Pour seule lumière, ses livres et son jardin dont elle revendique la possession et qui renferme ses secrets et ses rêves. Elle se plait à contempler ses lys qui lui renvoient inconsciemment sans doute son image : « […] je suis plus que séduite tant par la fragilité de cette fleur que par sa douceur forte et sa résistance aux autres végétaux. »
Loin d’en faire un portrait hagiographique, l’auteur révèle les faiblesses humaines de Maya, sorte de mère porteuse qui peine à aimer ses enfants : « Là où je devrais sauter de joie, être plein d’entrain à l’idée d’être mère, je sens que la porte de l’espoir se referme tout doucement devant moi. »
Si Hicham, son mari, dispose du corps de Maya comme bon lui semble, tout une part d’elle-même lui reste inaccessible. Une part d’ombre qu’il ne peut percer. Soumettre son âme, son être sont hors de portée ce qui le rend furieux et redouble sa violence : « Maya s’est toujours relevée, plus forte, plus libre en un sens que beaucoup de femmes que je connais. Son esprit l’était ; Hicham n’a jamais pu y accéder. Ҁa le rendait comme fou. » dira son médecin traitant. À la violence visible de Hicham, se heurte la violence invisible de Maya.
Pourvu qu’il soit de bonne humeur est d’autant plus réussi qu’il livre une réflexion sur le couple, la notion de victime-bourreau, le concept même de liberté : « Je prends ce soir conscience que là où Maya a construit sa bulle de liberté, au sein même de sa prison, j’ai fait le choix inverse en important une bulle de prison dans ma liberté», dira Lilya.
Bien que le thème choisi soit sombre, Loubna Serraj, avec finesse nous peint les ambiances et les atmosphères où évoluent ses personnages et avec subtilité leur psychologie. Pourvu qu’il soit de bonne humeur dépasse la fiction pour donner lieu à une enquête réelle sur les femmes victimes de violences. L’auteur a réussi son pari car après la lecture du livre, Maya, embusquée dans l’au-delà, continue de nous hanter.
Amina Achour
Professeure de Lettres