Élections 2021 : Le Coronavirus gâchera-t-il la fête démocratique ?
La pandémie de Covid-19 n’a pas épargné la vie politique de ses répercussions. Le caractère imprévisible de la situation épidémiologique et l’absence de la visibilité quant aux conditions de la tenue du scrutin menacent de changer les échéances électorales prévues pour 2021. Mais, si les élections sont maintenues, comment trouver un équilibre entre la gestion du virus et le déploiement des ressources et du matériel nécessaires pour mener des élections crédibles ?
2021 sera normalement l’année des élections législatives, communales et régionales. Les partis politiques, pour leur part, réclament pour la plupart le maintien du calendrier électoral et leurs dirigeants excluent de moins en moins un report.
Le Maroc n’est pas le seul pays qui se trouve face à cette situation aujourd’hui, c’est le cas également pour d’autres qui ont des échéances électorales entre 2020 et 2021. D’ailleurs, l’Organisation International IDEA précise, à ce propos, qu’au moins 70 pays et territoires à travers le monde ont décidé de reporter les élections nationales ou infranationales entre le 21 février et le 31 août 2020. Maintenant, la question qui se pose est de savoir si le Maroc sera prêt avec toutes les difficultés qu’on connaît aujourd’hui. Et puis, si la pandémie persiste jusqu’à 2021, ce qui est fort probable, puisque l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) espère que la crise du Coronavirus pourra être vaincue en moins de deux ans, quels sont les scénarios qui pourraient être envisagés ?
Le ministère de l’Intérieur a, pour sa part, entamé un processus de consultations avec les partis politiques concernant les différentes lois électorales. Le département de Laftit s’active déjà pour préparer les textes de loi et les présenter devant le parlement lors de la prochaine session législative. Plusieurs partis de la majorité comme de l’opposition ont publié des mémorandums sur les réformes politiques et électorales et ont appelé à revoir la loi sur les partis politiques.
Une fois les concertations terminées, un avant-projet, comportant les propositions d’amendements des lois électorales, le mode du scrutin et la loi sur les partis politiques, sera élaboré. Le projet sera ensuite présenté aux partis pour l’étudier et faire des observations avant le consensus sur la version finale, qui devra être approuvée au Conseil de gouvernement et au Parlement.
Notons que l’ouverture de la nouvelle législature a lieu le 8 octobre 2021. Les législatives devront donc être tenues au plus tard le 1er octobre pour laisser le temps au dépouillement et à la proclamation des résultats. Quant aux communales-régionales, elles pourront avoir lieu le même jour ou à une date antérieure.
Cependant, dans les circonstances actuelles, comment pourrait-on organiser les élections ? Nabil Adel, directeur du Groupe de recherche en géopolitique et géoéconomie de ESCA-École de Management, préconise d’établir une certaine flexibilité, par exemple, au lieu que les électeurs se déplacent aux bureaux de vote, ils pourraient, en l’occurrence, voter par internet ou par correspondance. Dans ce sens, il propose que les élections soient étalées sur 4 ou 5 jours, au lieu d’une seule journée, afin de permettre à tout le monde d’aller aux urnes, en respectant les consignes de sécurité sanitaire. « Cette configuration n’est pas difficile, dans la mesure où si on met en place suffisamment de bureaux de vote et qu’on étale les élections sur plusieurs jours, on peut gérer les flux dans le respect des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale », indique notre interlocuteur. D’un point de vue purement logistique, le problème ne se pose donc pas vraiment. On pourrait augmenter le nombre des bureaux de vote, rallonger la durée du scrutin, voter par correspondance, voter sur internet, mais l’idée de reporter les élections devrait être la dernière option. Sachant que même en temps normal, on n’a pas des files d’attente devant les bureaux de vote. Mais, Covid oblige, la question est inévitable, face à la persistance de l’épidémie, le report des élections pourrait-il être envisagé ?
Report ou pas ?
Pour Abdelhafid Adminou, chef du département juridique à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat-Souissi, il existe deux cas de figure : le premier suppose que le Maroc va réussir à endiguer la pandémie, dans ce cas, les élections se tiendront dans les délais précédemment fixés, et le deuxième scénario suppose que la situation épidémiologique pourrait empirer, dans ce cas, il va falloir que le Comité technique et scientifique se prononce sur ce sujet, mais le dernier mot reviendra au ministère de l’Intérieur, en coordination avec le ministère de la Santé.
D’un point de vue constitutionnel, le report n’est pas envisageable, puisque la périodicité des législatives est fixée par la Constitution, sauf en cas d’État de siège ou d’État d’exception. Mais rien dans la Constitution ne prévoit le report des élections en raison de crises de ce genre. Toutefois, le royaume a eu déjà recours au report dans son Histoire, la dernière fois date de 30 ans déjà, sachant qu’en somme, le scrutin législatif a été reporté à trois reprises, à savoir, en 1972, en 1982 et en 1990.
Par ailleurs, plusieurs voix se sont élevées pour le report, en raison des risques sanitaires qu’engageraient le déplacement aux bureaux de vote et les coûts de la tenue des élections, alors que le pays traverse une crise socio-économique qui n’augure rien de bon pour la prochaine phase. L’éventualité du report, en plus d’être anticonstitutionnelle, aurait des conséquences inédites au niveau politique.
Interrogé sur cette option, Nabil Adel, enseignant-chercheur spécialiste en géopolitique et géoéconomie, a rappelé qu’on est en face d’un phénomène dont on ne connaît pas l’échéance, donc, « si on reporte à cause de la pandémie alors qu’on ne sait pas combien de temps elle va encore durer, est-ce qu’on va reporter à chaque fois ? Et si ça dure pendant les prochaines 5 années ? », des questions légitimes puisque la situation est totalement imprévisible.
Déjà les institutions politiques du pays n’auront pas de légitimité démocratique et dans cette configuration, « on ne peut hypothéquer toutes les institutions du pays face à une variable exogène dont on n’a aucune maîtrise », nous dit-il. D’ailleurs, la Constitution de 2011 a conféré aux élections une position importante dans la construction institutionnelle du royaume, qu’elle les définit comme le fondement de la légitimité de la représentation démocratique (article 11). Le texte a également établi un lien étroit entre les résultats électoraux et la formation du gouvernement (article 47).
En revanche, il propose un report de 6 mois, « Si on a besoin de temps pour préparer entièrement des élections, tenant compte de cette situation de pandémie, mais à reporter ad vitam aeternam sans avoir de perspective, on risque d’avoir un gouvernement considérablement affaibli et un parlement paralysé, parce que les représentants de la nation n’auront pas la légitimité populaire, donc, c’est une construction politique qui risque de souffrir de beaucoup de lacunes ».
Même son de cloche du côté de Zakaria El Garti, membre du mouvement Maan. « Il n’y a pas de parlement sans élections », selon lui « dans la mesure où les élections libres constituent le fondement de la légitimité de la représentation démocratique et que les membres de la Chambre des représentants sont élus pour 5 ans au suffrage universel donc leur mandat se termine en octobre 2021 ». El Garti rappelle que la Constitution n’est pas uniquement un document juridique qui organise la structure de l’État, mais surtout le contrat politique qui lie les gouvernants à leurs administrés et les relations entre les différents acteurs politiques.
Un autre scénario existerait, par ailleurs, celui d’un « consensus national ». Dans ce cas, « il n’y aurait pas de vote, on pourra opter pour la coalition politique actuelle puisqu’elle embrasse un large spectre de partis politiques, ou bien on peut, sans faire des élections, élargir la représentation des partis dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale, dans le sens où tous les partis représentés dans le Parlement participeront à ce gouvernement, ne serait-ce que symboliquement », explique Nabil Adel, qui précise que la tenue des élections demeure un acte hautement important dans la vie institutionnelle d’un pays.
Il y a des pays qui sont en guerre, mais qui n’ont pas reporté les élections. « On ne peut pas s’amuser à décaler le calendrier électoral au gré des éléments conjoncturels », commente la même source.
Pour sa part, Soraya Kettani, chercheur en philosophie politique et éthique appliquée, présidente de Fomagov déclare que « Cela fait déjà près de 6 mois que nous sommes en état d’urgence sanitaire, donc, le fonctionnement des mécanismes articulatoires de démocratie sont en panne et totalement freinées ». Cette spécialiste en communication politique et publique explique qu’on n’a fait que reporter toutes les décisions depuis le début de la pandémie, puisque la situation que nous vivons aujourd’hui est anormale, alors que là, on bascule de plus en plus vers une certaine normalité qu’il faut institutionnaliser.
Crise sanitaire ou politique ?
Ceci dit, le taux de participation, lui, risque de s’affaiblir davantage, ce qui pose plusieurs problèmes, notamment, en ce qui concerne la légitimité du gagnant. Certains craignent que le taux de participation soit le plus faible de l’Histoire.
D’ailleurs, le problème s’est posé en 2011, certains partis avaient remis en question la légitimité du PJD, élu vainqueur (107 sièges sur 395), avec 1.060.000 voix, un tel score l’a conduit à la direction du gouvernement. Pour autant, il se prévaut toujours du choix du peuple sauf que les bulletins qu’il avait obtenus représentent à peine 5% de l’ensemble du corps des citoyens en âge de voter, soit 21,6 millions de personnes. Et sur les inscrits, 13,6 millions d’électeurs, son parti n’a eu que 15% des 6,5 millions de suffrages exprimés.
Au niveau constitutionnel, la légitimité du gagnant est incontestable, mais, « si le taux de participation est extrêmement faible, ceci nuirait à tous les acteurs politiques et les institutions du pays, ce serait un échec de la démocratie représentative au Maroc qu’on va devoir tous assumer », affirme Zakaria El Garti.
Concrètement, ce n’est pas la pandémie qui va empêcher les gens d’aller voter, si le taux de participation baisse davantage, ce ne serait pas forcément lié à la pandémie. Pour Nabil Adel, « On risque de s’acheminer vers des élections catastrophiques, en matière de taux de participation, surtout qu’il n’y a pas une nouvelle génération de réformes constitutionnelles et un nouveau souffle démocratique ».
S’ajoute à cela, le contexte politique, qui fait que les Marocains ne croient plus en leurs politiques, surtout que cette crise sanitaire était révélatrice d’un énorme problème de communication de crise au sein de l’Exécutif. Personne n’a oublié les épisodes du cafouillage dont le gouvernement a fait montre, notamment, en décidant, via un communiqué conjoint des ministères de l’Intérieur et de la Santé d’interdire les déplacements entre les 8 principales villes du pays à quelques jours de l’Aïd El Adha. Une décision qui annonçait un dimanche à 19h la fermeture effective des villes à minuit. Du bafouillage qui a provoqué la colère des Marocains dans les quatre coins du Royaume sachant que des milliers de personnes étaient loin de chez elles.
Ce qui en ressort est une crise de confiance en politique. Chiffres à l’appui. 83% des Marocains ne font pas confiance aux partis politiques, contre 72% pour les syndicats et 65% pour le Parlement, selon le baromètre de la confiance réalisé récemment par Al Mountada, think tank marocain fondé par Ghassane Benchekroun et Ghali Fassi Fihri. Pire encore, 59% ne croient plus au gouvernement et 85% se désintéressent de la politique, avance la même source.
Quels sont donc les défis auxquels les politiques devront faire face ? « Tant qu’il n’y a pas de projets politiques portés par une élite éclairée, il n’y aura pas d’adhésion populaire, ni un produit politique derrière, ni la volonté de provoquer le changement. Donc, là on va tourner en rond et on va avoir des institutions politiques qui seront vides de contenus », rétorque Nabil Adel.
Ainsi, les partis politiques vont devoir miser sur les programmes électoraux, les projections, des éléments de contenus autres que la force de frappe financière. De toute manière, la campagne électorale, avec les temps qui courent, sera très différente de ses précédentes. Avec la pandémie, l’accélération de la digitalisation de la communication politique s’est imposée de fait. Désormais, la totalité de la population marocaine serait équipée en téléphonie mobile et 22,5 millions d’individus possèdent aujourd’hui un smartphone, selon l’Agence nationale de réglementation des télécommunications au Maroc (ANRT) dans son enquête annuelle.
Covid oblige, avec l’interdiction des rassemblements, on suppose déjà qu’il n’y aura pas de meeting politique ni de festin pour les potentiels électeurs. Le digital sera, donc, inévitable à ce stade. « L’avantage c’est que les dépenses des partis politiques seront largement réduites, en revanche, d’autres coûts seront imposés aux partis, liés aux politiques de communication et les agences spécialisées dans ce domaine, etc. C’est le seul canal qui leur reste pour avoir de la visibilité dans la scène politique », explique Abdelhafid Adminou. La crise Covid permettra, dans ce sens, de démocratiser plus ou moins les élections. À noter qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, le ministère de l’Économie et des Finances a déjà prévu un budget incompressible de 1,5 milliard de dirhams pour la tenue des élections dans le cadre de la préparation du prochain projet de Loi de finances.
En revanche, il y aura beaucoup de live sur les réseaux sociaux, des débats qui vont se créer dans des commentaires, puisque les gens interagissent en ligne. Ce qui nécessitera un sacré travail de modération et des arguments solides pour retenir les électeurs. On n’est pas sans savoir qu’au Maroc, les gens ne votent pas en fonction des programmes électoraux, mais plutôt pour des personnes.
Soraya Kettani, pour sa part, pointe l’absence d’une culture de programmes politiques et évoque l’exemple de la Belgique, où « le programme électoral est un véritable pilier pour un parti politique qui engage son honnêteté intellectuelle à l’égard de ses électeurs ». Cette spécialiste en communication politique appelle également les médias, à mettre le focus sur les petits partis aussi pour qu’ils puissent mener leurs campagnes et être sur le même pied d’égalité que les grands partis, puisque les partis n’auront pas la charge financière de déplacement et d’organisation de meeting.
Reste à savoir qui va incarner le changement
Nos intervenants s’accordent tous à dire que le PJD est le parti qui se prépare le mieux pour ces élections. Celui-ci serait presque assuré de remporter ces élections de nouveau, selon Nabil Adel, « pas parce que c’est le meilleur, mais parce que c’est le moins mauvais, à moins qu’il y ait un séisme politique ». Certains partis seraient plongés dans un coma clinique, d’autres auraient des directions de partis qui ne changent pas, à l’instar du mouvement populaire, où Mohand Laenser siège depuis 35 ans !
Quant aux alliances possibles, « Je pense que la majorité actuelle va perpétuer son alliance pour les prochaines élections à quelques exceptions près. Je vois bien l’USFP recréer une aventure avec la gauche, à l’instar du PPS et la FGD. L’Istiqlal refaire alliance avec la majorité actuelle avec le PJD, le RNI et le Mouvement populaire. Ce sont des alliances qui me semblent les moins contre-nature que ce que nous avons aujourd’hui », conclut ce chercheur en géopolitique.
À entendre tout cela, on comprend que le ras-le-bol populaire n’est pas le fruit du hasard, à l’heure où le monde traverse une crise sans précédent qui marquera au fer rouge notre Histoire, les partis politiques devraient, par voie de conséquence, être conscients qu’ils ont une grande responsabilité, en vue de participer activement dans la construction de la démocratie et sauver l’économie de la crise.