Peine de mort au Maroc : 27 ans après, le débat continue de diviser !
72 est le nombre des détenus dans les couloirs de la mort de nos prisons au titre de l’année 2019, selon les derniers chiffres de l’Observatoire marocain des prisons. La dernière exécution effective, rappelons-le, remonte à 1993, au Maroc. Pourquoi le Maroc, abolitionniste de facto, ne le devient-il pas de juré ? Le débat, porté par la société civile et certains politiques, a-t-il des chances d’aboutir ? Quels sont les arguments des pros et des opposants ? Faut-il céder à la vindicte populaire ?
Le viol et le meurtre atroce du petit Adnane, retrouvé le vendredi 11 septembre au soir, ont secoué les Marocains et les Tangérois en particulier. L’indignation était à son comble. Face à la barbarie de ce double crime odieux, le tribunal virtuel des réseaux sociaux est partagé entre ceux qui demandent l’ «exécution rapide en place publique» et les militants des droits de l’Homme opposés à «un châtiment cruel, inhumain et dégradant aussi barbare que les crimes jugés». La question de l’application ou l’abolition de la peine de mort retrouve de nouveau sa place dans le débat sociétal et continue de diviser la société civile et les politiques.
Maintenant, le bourreau du petit Adnane aura droit à un procès, comme l’exige la loi et il sera défendu par un avocat, qui devra essayer de convaincre les juges sur les mobiles qui ont poussé son client à commettre ce crime abject. La justice sera intraitable, tel qu’il est stipulé dans l’article 474 du Code pénal marocain que « l’enlèvement est puni de mort s’il a été suivi de la mort du mineur. »
Si jamais la peine de mort est prononcée contre le coupable présumé, celle-ci ne sera certainement pas suivie d’effet, vu qu’aucune condamnation à mort n’a été exécutée depuis août 1993, date à laquelle l’ancien commissaire de police, Mustapha Mohamed Tabit, reconnu coupable de nombreux viols, a été fusillé par un peloton d’exécution. Et cette peine capitale sera commuée en détention à perpétuité ou à terme et au fil des années, les réductions de peine auxquelles a droit tout condamné.
Ni abolie ni appliquée
Mais alors, quelles sont les raisons derrière la non-application de la peine capitale depuis l’affaire du commissaire Tabit ? Il s’agit d’un «abolitionnisme de fait», selon Maître Omar Bendjelloun, avocat international expert en droits de l’Homme, qui s’inscrit dans le cadre de l’évolution du Maroc vers le paradigme des droits humains, dès la fin des années 90. Contrairement à «l’abolitionnisme de droit», qui lui, consiste à ne pas appliquer la peine de mort malgré son existence dans le droit, et son abolition totale du Code pénal. « Les deux notions sont reconnues par les organisations internationales », explique ce docteur en droit international.
Dans le cadre de l’évolution du Maroc vers le paradigme des droits humains dès la fin des années 90, il s’est inscrit dans ce qu’on appelle un «abolitionnisme de fait». Les deux notions sont reconnues par les organisations internationales.
En revanche, la sentence de la mort finit par prendre une tournure symbolique et devient une réclusion à perpétuité. Chose que Rachid Achachi, docteur en sciences économiques de l’Université Ibn Tofail de Kénitra, qualifie de « vide juridique » puisqu’il n’y a pas réellement de moratoire, qui est un décret légal.
Toutefois, le fait de ne pas abolir la peine de mort, même si elle n’est pas appliquée, accorde à l’État marocain le droit et le pouvoir de l’appliquer quand il le souhaitera. « Pouvoir réactiver la peine capitale à n’importe quel moment relève de la souveraineté de l’État. Pour l’instant, elle demeure symbolique, mais tout est possible dans l’avenir. Mais tant qu’il n’y a pas eu de débat à l’échelle nationale et que le Parlement n’a pas accaparé la question, on restera dans ce flou juridique », nous dit Rachid Achachi. Est-ce encore pertinent dans ce contexte de prononcer des peines capitales dans les tribunaux marocains alors qu’il n’y a rien qui prouve que la peine de mort aurait un effet dissuasif sur le taux de criminalité? Les pays qui pratiquent la peine de mort et l’exécutent contre les ravisseurs et violeurs d’enfants n’ont pas vu la pédocriminalité baisser de manière drastique ou définitive. Pas plus que les chiffres relatifs à la criminalité n’ont augmenté dans les pays où la peine de mort est interdite. Dans certains cas, ils ont même baissé. Au Canada, le nombre d’homicides, en 2008, était inférieur de moitié à celui de 1976, lorsque la peine de mort y a été abolie. De ce fait, Nouzha Skalli considère que « cela ne relève pas du rôle de l’État d’ôter la vie à des personnes, mais au contraire de contribuer à la promotion de la culture du respect du droit à la vie. La justice doit pouvoir se prononcer en toute indépendance loin de toute pression de l’opinion publique », nous dit la porte-parole du réseau des parlementaires contre la peine de mort. Cette militante considère que la peine de mort fait appel à la vengeance et non aux principes de la justice. Alors que le but de la justice n’est pas seulement de sanctionner, mais aussi de réhabiliter et de permettre une réinsertion.
Une idée qui n’est pas tout à fait partagée par les pros de la peine de mort, dont fait partie le psycho-sociologue Mohcine Benzakour, qui estime que c’est une démarche intelligente, celle qu’a adoptée le législateur marocain dans ce cadre. « Une manière de se conformer aux conventions internationales dont le Maroc est signataire », nous confie-t-il.
Au niveau de l’échiquier politique, le débat ne fait pas l’unanimité, la majorité des partis politiques semblent être favorables à l’abolition, contrairement au PJD. En 2015, Mostapha Ramid, fervent opposant à l’abolition de la peine capitale, avait déclaré, lors d’un débat sur l’avant-projet du Code pénal: «Je ne suis pas seulement pour la peine de mort, je suis pour son exécution effective.»
Plus récemment, à la lumière de l’affaire du petit Adnane, le ministre d’État chargé des droits de l’Homme n’a pas manqué de renouveler sa position sur la question, en affirmant que le « droit à la vie est un droit humain suprême » comme stipulé dans les pactes et conventions internationales. Mais, il a souligné que son abolition au Maroc ne fait pas l’unanimité, sur la base de ce qui était évident dans les discussions du dialogue national sur la réforme de la justice.
Dans un post sur sa page officielle Facebook, le ministre pjdiste a passé en revue les dispositions stipulant le droit à la vie dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’Homme, puis a rappelé que la peine de mort n’était pas interdite dans les conventions fondamentales du droit international des droits de l’Homme, malgré l’accent mis sur la mise en place de conditions et de contrôles pour leur application.
De son côté, le parti de l’Istiqlal ne tranche pas non plus et reste sur sa réserve. Interrogé sur sa position, lors d’un passage radio, le secrétaire général du parti a affirmé qu’« il serait véritablement difficile de répondre à cette question de cette manière. Le débat sur cette notion de peine de mort traverse toute la société et notre parti aussi ». Et d’ajouter: « On ne peut pas être dans une logique de vengeance. Nous sommes un État de Droit et donc c’est la justice qui décide quel type de peine devrait s’appliquer à ce genre de cas et dans ce cas précis. Nous sommes aussi pour une approche globale, parce que ce n’est pas la justice qui va résoudre ce type de problème ».
Image à l’international vs vindicte populaire
Cependant, l’État marocain est tenu par deux impératifs : l’image à l’international et le fait d’être conforme à la société marocaine. On n’est pas sans savoir que la tendance internationale est aujourd’hui abolitionniste. Rachid Achachi explique : « Dans le rapport avec l’Union européenne et les partenaires occidentaux, il est bien vu d’être un pays qui tend vers l’abolition et plus globalement vers les droits de l’Homme, tels que compris par le monde occidental ».
Toutefois, une réalité s’impose d’elle-même, celle de la société marocaine, qui est majoritairement pour la peine de mort, malgré l’absence des chiffres dans ce sens, mais il n’y a qu’à lire les commentaires qui ont suivi le meurtre du petit Adnane sur la toile, les appels à la peine capitale sont indénombrables. D’autres raisons seraient derrière ce choix sociétal, notamment, le référentiel religieux, la culture et la mentalité. « Ne pouvant être adéquat aux deux impératifs, l’État marocain a pu trouver un juste milieu », commente notre source. Concrètement, le Maroc maintient la prononciation de la peine de mort, ce qui permet de rassurer la population marocaine et de préserver la paix sociale, mais de l’autre côté, il ne l’applique pas. Ce qui rassure les partenaires occidentaux.
Ôter la vie au nom de la justice, le débat éternel
Le jour où le petit Adnane a été retrouvé mort, des dizaines de pétitions en ligne ont apparu, plaidant pour la loi du Talion. C’est devenu presque systématique, à chaque fois qu’un drame sociétal se produit, les appels à la peine capitale, au lynchage, à la castration, à l’empalement ou à la pendaison du présumé coupable, éclatent sur la toile dans une logique vindicative, traduisent la colère populaire, qui est tout à fait légitime, selon Mohcine Benzakour, mais, celle-ci ne peut se substituer à la justice, qui seule a le droit de condamner, au nom de la société dont elle émane.
Sentence de la mort pour rendre justice ? « Tuer un criminel au nom de la justice est un meurtre qui ne peut avoir pour vertu d’être la solution à un préjudice même s’il représente la vie d’un proche », tranche Me Bendjelloun, qui considère que la victime mérite réparation et doit s’inscrire dans une justice qui répond à plusieurs exigences, d’où le fait qu’elle n’est pas seule à vouloir accuser un criminel, il y a aussi la représentation de l’ordre public qui est partie prenante au procès. La vie ne peut être honorée ni remplacée par la mort.
«Réclamer la potence ou la guillotine ne réglera pas le problème pour autant et ne servira même pas de leçon aux futurs prédateurs en herbe. La lame du bourreau met certainement fin à la vie du criminel, mais pas au crime, qui lui, sera toujours là et sera perpétré une autre fois par un autre individu ou un groupe d’individus, psychologiquement dérangés », déclare Rachid Boufous.
Un avis partagé par le militant des droits de l’Homme Salah El Ouadie, qui a été condamné à 20 ans de prison et incarcéré 10 ans (1974-1984), pour appartenance à un groupe d’extrême gauche interdit (mouvement du 23 mars). « La prison est la pire des condamnations, on n’a pas besoin d’ôter la vie au coupable, le plus prêt de la justice c’est que le coupable subisse une peine lourde incompressible, qui peut durer jusqu’à 40 ans et plus, celui-ci ne pouvant jamais bénéficier d’aucune grâce », nous confie le président de l’association Damir, qui considère que « c’est une question de maturation de la société, le débat ne pourra pas être tranché rapidement dans l’espace d’une génération ».
Cet ex-membre de l’instance d’équité et de réconciliation (IER), rappelle que parmi les recommandations de cette instance, «abolir la peine de mort».
D’ailleurs, l’argument qui revient souvent dans ce débat pour les opposants à la sentence de la mort, l’État n’a le droit ni d’ôter la vie ni d’autoriser à quiconque de le faire, parce que toute vie est sacrée tel que spécifié dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Cependant, les pros peine de mort voient les choses autrement. « Puisque le Code pénal des pays les plus démocratiques (pays scandinaves…) et les plus conformes aux droits de l’Homme vous autorise dans le cas d’une légitime défense, à tuer votre agresseur si ce dernier intente à votre vie. Ce droit implique de fait une hiérarchisation des vies, puisque celle de la victime prévaut du point du droit sur celle de son bourreau éventuel », c’est ce que pense Rachid Achachi. Ainsi, du point de vue pénal, la préservation de votre vie en tant que victime, vous autorise si vous le pouvez à ôter celle de votre éventuel bourreau.
Un autre argument que défendent fervemment les opposants à la peine de mort, celui du droit à la vie comme étant un droit inaliénable et sacré. Rappelons que dans le paradigme des droits de l’Homme, tous les droits sont jugés comme inaliénables et sacrés, pas uniquement le droit à la vie. Ainsi, il en va de même pour le droit à la liberté (article 3), de la liberté de circulation (article 13), le droit de ne point être soumis à des peines ou à des traitements cruels (article 5), et le droit à une vie privée (article 12). « comme alternative à la peine de mort, vous préconisez la prison à vie, qui est une violation flagrante de tous les droits énumérés ci-dessus (article 3, 5, 12 et 13) », explique notre source. « Ainsi, y a-t-il finalement des droits aliénables et d’autres non ? Est-ce à géométrie variable ? », se demande-t-il.
Mais, ce n’est pas la solution ultime pour endiguer ce genre de crime de pédophilie ou de pédophilie avec meurtre. Il faut commencer par comprendre ce phénomène et créer des canaux de sensibilisation, des lignes d’écoute des systèmes d’alerte et de veille… « on ne va pas résoudre le problème par la peine de mort, elle est là pour marquer la ligne rouge que nous Marocains avons fixée », affirme Achachi.
Perte de confiance dans l’appareil judiciaire ?
Dans un autre registre, les partisans de la peine de mort avancent que les peines prononcées à l’égard des pédophiles au Maroc sont toujours faibles. Le problème n’est-il pas finalement une perte de confiance dans l’appareil judiciaire ?
Au niveau du Code pénal, le terme de « Viol » signifie selon l’article 486 du Code pénal marocain « l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci », la punition est la réclusion de cinq à dix ans selon ledit article.
L’article 484, modifié et complété par la loi n° 24.03, quant à lui évoque le cas de l’agression sexuelle signifiée par « l’attentat à la pudeur » consommé ou tenté sans violence sur l’un ou l’autre sexe en annonçant : « Est puni de l’emprisonnement de deux à cinq ans, tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence, sur la personne d’un mineur de moins de dix-huit ans, d’un incapable, d’un handicapé ou d’une personne connue pour ses capacités mentales faibles, de l’un ou de l’autre sexe. ».
Apparemment, le mot « viol » ne comprend pas les cas de viol à caractère homosexuel et sur enfant. Une partie du problème se trouve déjà au niveau du Code pénal, qui, selon Rachid Achachi, en totale déconnexion avec la réalité. « Il faut comprendre que les termes juridiques sont des briques avec lesquelles on bâtit un imaginaire, donc si les mots sont mal choisis l’imaginaire sera déformé », déclare-t-il.
S’ajoute à cela, la hiérarchie des viols dans le Code pénal, « le viol sur une femme vierge n’a pas la même dimension que le viol sur une femme qui n’est pas vierge. Tout cela me paraît relever d’une autre époque », commente notre source, appelant à l’actualisation du texte de loi pour le rendre adéquat aux problématiques concrètes.
Mais, loin des attentes instinctives de vengeance et de châtiment, la confiance en la justice doit être basée sur sa capacité d’assurer un procès juste et équitable et d’innover en matière de réduction des phénomènes criminels, d’après Me Bendjelloun. On en retient que la punition ou encore l’élimination ne représente pas forcément une solution pour endiguer le crime.
Enfin, ce débat est multidimensionnel et chaque partie prenante de ce débat perçoit les choses selon son référentiel, les conservateurs basent leurs arguments sur un référentiel religieux et les militants de droits de l’Homme sur un référentiel universel. Ce sujet va continuer à diviser ad vitam æternam et fera couler de l’encre chaque fois qu’un drame va secouer l’opinion publique. Toutefois, cette affaire du petit Adnane, aussi douloureuse soit-elle, constitue aujourd’hui un événement révélateur. Au-delà de la condamnation du crime, la priorité, rappelons-le, est pour la protection de cette frange vulnérable de la société que sont les enfants.