La présence importante des femmes sur le marché du travail impulsera la croissance économique
Propos recueillis par Nabila Zourara
L’augmentation de la participation des femmes à la force de travail donnera une impulsion importante à la croissance économique, a affirmé Pierre Richard Agénor, professeur à l’Université de Manchester et chercheur associé au Centre de recherche en politiques de l’Office chérifien des phosphates (OCP Policy center).
Dans une interview accordée à la MAP à l’occasion de la présentation d’une étude intitulée « Egalité de genre, politiques publiques et croissance économique au Maroc » dont il a supervisé la rédaction, M. Agénor a souligné que le rôle des femmes dans la croissance économique est important, faisant savoir que selon plusieurs études réalisées récemment, il existe « une corrélation positive entre le niveau de revenus par individu et la parité entre hommes et femmes notamment dans le domaine économique ».
Au cours des dernières années, le taux de participation des femmes à la force de travail a baissé d’une manière significative (25%), déplore l’économiste, notant que malgré les progrès remarquables réalisés au Maroc en termes d’égalité du genre dans l’accès à la santé et l’éducation, le Maroc enregistre encore une sous-représentativité des femmes dans les sphères économiques et politiques.
Ainsi, selon une enquête budgétaire menée entre 2005-2012, les femmes consacrent 7 fois plus de leur temps aux activités domestiques et seulement 10% de leur temps au travail, contre 40% pour les hommes.
M. Agénor a expliqué, par ailleurs, que cette étude permet d’analyser l’impact des politiques publiques sur la croissance économique, notamment celles qui visent à réduire les inégalités salariales en encourageant les entreprises à rétribuer les hommes et femmes d’une manière plus équitable.
Il a aussi noté que cette étude fait ressortir que ces politiques affectent également la situation de la femme au sein de la famille, et particulièrement son « pouvoir de négociation ».
En effet, lorsque les femmes produisent une partie plus importante des revenus de leur famille, leur pouvoir de négociation sur les dépenses courantes comme l’éducation ou la santé des enfants, aura tendance à se renforcer, explique-t-il.
Ces politiques permettront également d’augmenter le « pouvoir de négociation » des femmes en cas de divorce, rappelant que les dispositions du Code de la famille au Maroc ont permis de rééquilibrer les « pouvoirs de négociation » au sein des couples.
M. Agénor a également fait remarquer que la réforme du Code de la famille au Maroc est « une avancée considérable » qui a introduit un saut qualitatif sur le plan sociologique, mais qui n’a jamais été soumise à « une lecture économique ou macro-économique qui permet d’analyser son impact sur les politiques publiques, les ménages ou l’investissement », ajoutant que ce genre d’études pourrait infléchir les politiques publiques à prendre en compte la dimension économique dans le traitement des questions de l’égalité du genre et de la parité.
Il estime également qu’afin de promouvoir la participation féminine dans le secteur économique, il faut adopter deux types de mesures, à savoir des politiques « incitatives et coercitives ». Les politiques « coercitives » peuvent imposer aux entreprises et aux marchés en général un certain nombre de règles égalitaires, afin d’éviter la discrimination entre les sexes et éliminer les différentiels salariales.
Elles concernent des mesures contraignantes comme le fait d’imposer un système de quota aux entreprises pour renforcer la présence féminine ou obliger ces entreprises à publier leurs statistiques de salaires par genre, à l’image de certaines entreprises au Royaume Uni, a-t-il relevé.
Les mesures « incitatives » peuvent quant à elles consister à réduire le taux d’imposition sur le deuxième salaire, souvent réservé aux femmes dans le ménage, afin de les encourager à intégrer le marché du travail, suggère M. Agénor, évoquant l’exemple des Nations Unies qui ont mis en place un programme de promotion de l’égalité au sein des entreprises qui leur permet de s’engager explicitement à adopter des politiques visant à redresser les équilibres entre hommes et femmes.
Élaboré conjointement avec la Direction des études prévisionnelles et financières (DEPF) relevant du ministère de l’Economie et des finances, cette étude propose également une revue détaillée des caractéristiques des inégalités entre hommes et femmes, l’accès au marché de travail, au transport, logement et les différences de salaires, qui constituent des informations essentielles pour développer une analyse économique cohérente et service de base à des recommandations politiques et économiques.
L’idée de cette étude est d’analyser à partir des outils techniques qui ont été développés depuis les dix dernières années et de quantifier l’impact de ces politiques dans le renforcement de l’égalité homme-femme sur la croissance économique. L’étude part d’un constat structurel d’un certain nombre de caractéristiques qui captent bien la situation du pays, par exemple le différentiel des salaires entre femmes et hommes au niveau du marché du travail, conclut M. Agénor qui a supervisé la rédaction de cet ouvrage en coordination avec les chercheuses Rim Berahab et Zineb Bouba.
Auteur de plusieurs ouvrages en analyse économique, Pierre-Richard Agénor est un expert reconnu mondialement pour les questions relatives aux genre, infrastructures, investissement et systèmes financiers. Il a occupé le poste d’Économiste en chef et Directeur du Programme Macroeconomics and Policy Assessment Skills à la Banque mondiale et celui de Senior Economist du département recherche du Fonds monétaire international.