Grosse campagne d’emprunt national, oui, mais pour quoi faire ?
Tout le monde en parle, le Maroc s’apprête à une sortie sur le marché domestique afin de lever des fonds. Si aucune décision officielle n’a encore été prise en ce sens, l’amendement introduit vendredi dernier sur le PLF 2021, voté à l’unanimité à la première chambre, ne trompe personne.
Porté par le gouvernement à la dernière minute avant le vote du projet en première lecture, cet amendement supprime toute taxation sur les intérêts payés aux personnes physiques résidentes qui ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu selon le système de résultat net réel ou simplifié, sur les emprunts publics émis jusqu’en 2021 et dont les intérêts sont payés en 2021. Une incitation fiscale claire de par son objectif, mais surtout de par la cible à qui elle s’adresse.
En effet, le gouvernement semble intéressé directement par l’épargne des particuliers. Une manne assez importante quoiqu’on puisse dire et malgré l’effet de la crise sur la capacité de thésaurisation des ménages. Il n’y a qu’à voir les chiffres de Bank Al-Maghrib (BAM) pour s’en convaincre. Selon les statistiques monétaires du département de Jouahri, la circulation des billets de banque et pièces de monnaie à fin août 2020 est en hausse de 22,1% par rapport à fin 2019, soit un total de 305 milliards de dirhams dans les rues marocaines. Ce qui représente tout de même 55 milliards de dirhams de plus que le niveau de cash observé en début d’année. D’ailleurs, cette circulation de cash s’est également accompagnée d’une baisse de régime des dépôts bancaires. S’ils continuent à croitre, leur rythme s’est essoufflé, cause d’une importante perte de confiance des ménages surtout en 2019, avant les premières prémisses de la crise sanitaire. Toujours selon BAM, les dépôts bancaires des particuliers ont atteint 678 milliards de dirhams à fin 2019, dont plus de 61% sur formes de dépôts non rémunérés.
Pour pouvoir donc s’arroger cette tranche du gâteau qui échappe aux radars, le gouvernement a mis en place un cadre fiscal incitatif qui porte à croire qu’une grosse opération d’emprunt national sera lancée dès l’année prochaine. Toutefois, est-ce une raison suffisante se lancer dans une opération beaucoup plus couteuse que les instruments de marché auxquels l’État est déjà habitué ? Surtout qu’aucune opération du genre n’a été lancée depuis les années 1990. La récente dégradation de la note souveraine du Maroc par Fitch ratings, les injonctions des institutions financières internationales de baisser la dette extérieure et le fait d’avoir déjà tiré sur la ligne de précaution LPL du FMI pourraient être autant d’éléments qui justifient que Mohamed Benchaâboun soit prêt à payer plus (que ce soit en niche fiscale ou en campagne de communication qui devra nécessairement accompagner cette opération).
Quoiqu’il en soit, et, quel que soit le projet national qui sera présenté afin de faire adhérer le maximum de personnes à cet emprunt massif de l’État chez les citoyens, la vraie question se pose quant à l’efficacité et l’efficience des projets. Tout le monde sait que ce n’est pas tant un problème de manque de ressources que d’efficacité de l’investissement public dont il est question. Le Royaume est l’un des pays qui dépense le plus en investissements dans la région MENA sans que cela ne se répercute sur la croissance. Une étude du HCP est venue enfoncer le clou en 2016 en dénonçant un indice ICOR marocain de 7,2. Autrement dit, il faudrait 7,2 points de capital pour obtenir un point de croissance supplémentaire. Un chiffre qui plombera toujours les stratégies mises en place même si des fonds colossaux leur sont alloués.