Dr. Tayeb HAMDI : « Le principe d’Hippocrate est toujours la règle : d’abord ne pas nuire, ensuite soigner »
Entretien réalisé par Souad MEKKAOUI
« La deuxième vague de la Covid-19 est brutale, ravageuse et prendra beaucoup plus de temps que la première. Le taux de décès flambera et comme la capacité litière, de réanimation et de personnels de santé est loin de suivre le développement incontrôlable de la maladie, on risque d’assister à un effondrement du système sanitaire ». Pour Dr. Tayeb HAMDI, médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé, Président du Syndicat National de Médecine Général SNMG et Vice-président de la Fédération nationale de la santé FNS, tous les indicateurs sont au rouge au point qu’il prévoit 8000 décès pour le mois de janvier 2021. Les vrais chiffres seraient, malheureusement, sûrement plus élevés si on ne change pas de comportement et si on ne prend pas de mesures drastiques. C’est ainsi que nous parle Dr. Tayeb HAMDI qui ne cesse de tirer la sonnette d’alarme et de répéter que le pire est devant nous si les choses ne changent pas.
MAROC DIPLOMATIQUE : Docteur, il est évident que la situation n’est pas rassurante quant à l’évolution de la situation épidémiologique. Quelle est votre évaluation de l’état des lieux au Maroc ?
Dr. Tayeb HAMDI : Effectivement, la situation épidémiologique par rapport à la propagation du virus de la COVID-19 n’est pas du tout rassurante. Elle ne l’est plus depuis plusieurs semaines déjà. Mais avec cette deuxième vague, les choses se précipitent. Tous les indicateurs sont au rouge : taux d’incidence cumulée qui, pour la première fois depuis le début de l’épidémie, a dépassé la moyenne mondiale ces derniers jours, le taux d’incidence hebdomadaire est en augmentation continue et accélérée, le nombre de cas actifs, le taux de positivité qui tend vers les 30%. Et surtout le nombre de cas en réanimation et le nombre de décès qui ne cesse d’augmenter. Ces indicateurs sont d’autant plus inquiétants si on les met à côté d’une capacité hospitalière de plus en plus sous pression et ne peut être extensible à l’infini. À un moment, si des mesures drastiques ne sont pas prises et que les chiffres continuent d’augmenter, le système de santé va crouler sous cette pression. Et c’est là le grand danger. On ne peut accepter ni même imaginer que demain on ait des citoyens par centaines, quotidiennement, malades, en détresse qui ont besoin d’une place à l’hôpital ou à la réanimation pour être sauvés et ils n’en trouvent aucune ! Dans ce cas de figure, le taux de létalité sera multiplié par deux, trois ou quatre fois. En fait, on ne peut laisser évoluer la situation vers ce scenarii sans prendre les mesures qui s’imposent. La vie des citoyens, la stabilité du pays en dépendent.
MD : Dans un article, vous avez fait des projections alarmantes et vous avez tiré la sonnette d’alarme en révélant un nombre effrayant de morts du Covid-19 dans les mois à venir. Le moins que l’on puisse dire est que vos chiffres donnent des sueurs froides dans le dos. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dr. T.H : Depuis le début de la pandémie on demandait à la population de respecter les mesures barrières et au système de santé d’adapter sa stratégie pour cerner l’épidémie, pour éviter une situation critique. Au début du mois d’octobre et comme d’après mes estimations que j’avais publiées bien avant, le Maroc était à la porte de la deuxième vague fin octobre début novembre. J’ai pensé qu’il serait plus sensibilisant d’inverser l’équation : au lieu de dire faisons ceci pour ne pas arriver à telle situation, j’ai décidé de dire à mes concitoyens et aux responsables voilà ce qui va arriver dans un mois, deux mois et trois mois, prenez donc vos dispositions dès aujourd’hui. Et je pense qu’en publiant les chiffres des projections de décès on a pu tirer la sonnette d’alarme. Est-ce que cela a influé sur le comportement des gens ? C’est difficile à dire, mais sur le plan médiatique et de visibilité de la population, tout le monde a pu avoir une approche plus concrète de ce qui va se passer dans les mois à venir.
Alors qu’on projetait d’atteindre les 3500 décès liés à la Covid-19 en mi-novembre, j’avais déclaré que ce chiffre serait atteint bien avant la fin d’octobre, et c’était malheureusement le cas. J’ai publié un papier sur le sujet avec des chiffres de décès de 1800, 4500 et 8000 décès respectivement pour les mois de novembre, décembre et janvier. J’ai bien précisé que les vrais chiffres seraient malheureusement sûrement plus élevés si on ne change pas de comportement et si on ne prend pas de mesures drastiques. Nous sommes à la mi- novembre et déjà nous avons enregistré environ 997 décès pour ces deux premières semaines. Les chiffres pour les trois mois continueront de grimper comme prévus et prédits sinon plus, malgré la possibilité de démarrer la vaccination incessamment. L’impact de cette opération ne peut se faire sentir pour ces premiers mois. Il n’y a que le respect des mesures barrières et les mesures restrictives auto respectées et décrétées qui peuvent infléchir la courbe
MD : Aujourd’hui, on ne le sait que trop bien : personne n’est à l’abri de ce virus imprévisible. Vous avez contracté la Covid-19 et Dieu merci vous vous en êtes bien sorti. Ma question est comment se comporter avec la maladie sachant que la peur commence à se faire générale ?
Dr. T.H : Distanciation, port de masque, hygiène des mains, aération des espaces clos … pourquoi autant de recommandations ? Parce qu’aucune n’assure la protection à 100% et c’est en combinant ces mesures, et bien d’autres, qu’on assure un maximum de sécurité mais pas totale. Le risque zéro face à un virus aussi contagieux et même asymptomatique n’existe pas. Quand on est à la première ligne on sait qu’on risque beaucoup. J’ai attrapé le virus de par mon exercice de ma profession, heureusement j’étais parmi les cas bénins et cela s’est passé et dénoué sans dégâts. Mais quand on fait la Covid on ne sait jamais si on est ou pas à l’abri d’un passage à la réanimation, une intubation et même le décès. On ne dispose d’aucun élément, aucune analyse, aucun indicateur qui nous permet de prévoir d’une manière certaine le décours de la maladie.
Dans 80% des cas, la maladie est asymptomatique ou bénigne, 15% des cas sont dans un état moyen à sévère, 5% est critique avec un passage à la réanimation, 1à 2% de décès.
Tous nos efforts doivent être concentrés pour prendre en charge ces cas critiques et les sauver. Mais comme on ne peut pas avoir des lits de réanimation et des réanimateurs en claquant des doigts, on devrait alors tout faire pour limiter en amont l’augmentation du nombre de nouveaux cas, c’est le seul moyen de ne pas faire effondrer le système de santé.
MD : L’annonce, il y a quelques jours, par le géant américain Pfizer et son partenaire allemand Biontech de la découverte d’un vaccin est un véritable électrochoc dans le monde entier. Un vaccin qui pourrait peut-être tout changer. Peut-on parler d’un vaccin-espoir pour l’humanité même si la phase III se poursuit encore ?
Dr.T.H : Dès qu’on s’était aperçu que le virus se transmettait aussi vite et même avant l’apparition des symptômes et qu’il y avait des formes asymptomatiques, il était clair que les mesures barrières ne pourraient que freiner la pandémie mais jamais l’éteindre comme c’était le cas pour le SRAS 2003 ou le MERS 2012, les deux autres coronavirus, ou pour d’autres épidémies comme l’Ebola. Donc c’était soit un traitement efficace, soit encore mieux un vaccin sûr et efficace. À ce jour, aucun médicament n’a fait ses preuves, le vaccin est donc salvateur. Le fait qu’on ait pu trouver un vaccin en moins d’une année est une révolution alors que la moyenne, à ce jour, était plus de dix ans. Il n’y a pas que Pfizer dans la course, deux cents vaccins sont en étude dont une cinquantaine sont en phase d’essais cliniques, une dizaine sont en phase 3. Les Chinois sont aussi en avance sur le dossier avec plusieurs vaccins en course dont celui de Sinopharm qui a mené ses essais cliniques au Maroc et qui nous fournira incessamment la première livraison.
MD : Un vaccin efficace à 90% c’est juste extraordinaire. Mais qu’est-ce qui permet de donner ces taux d’efficacité alors que cela reste toujours un résultat provisoire. A-t-on des détails expérimentaux ?
Dr. T.H : Effectivement, ce sont des chiffres provisoires qui restent à confirmer par l’évaluation globale des résultats des essais cliniques menés par ces laboratoires dans leur totalité. Mais c’est déjà un aperçu très encourageant. À titre de comparaison le vaccin anti grippal a une efficacité moyenne de 60%.
Pour Pfizer ce taux de 90%, annoncé le 9 novembre, a été déduit d’après une évaluation préliminaire le 8 novembre. Les 94 des cas confirmés répartis entre les participants vaccinés (9) et ceux ayant reçu le placebo (85) indiquent un taux d’efficacité vaccinale supérieur à 90%, à 7 jours après la deuxième dose. La protection est obtenue 28 jours après le début de la vaccination (1ère dose). À ce stade, aucun effet indésirable sévère n’a été constaté pour les vaccins en course.
Le vaccin de Sinopharm étudié au Maroc est un vaccin inactivé fabriqué donc selon une technique classique et qui a fait ses preuves. Aucun effet indésirable grave n’a été noté. Des centaines de milliers de personnes ont déjà reçu ce vaccin non seulement en tant que volontaires, mais en tant que vaccination.
MD : Il faut dire que c’est un immense espoir mais en même temps une grande appréhension chez nous comme dans le monde entier. Que dire à ces personnes qui craignent des effets secondaires ?
Dr. T.H : Il est tout à fait compréhensible qu’en temps de crises politiques, sociales ou sanitaires les craintes, la méfiance, la pensée complotiste même se développent. Pour la vaccination c’est encore plus. Quand on est malade, on a une douleur ou un problème, on prend sans aucune hésitation le traitement prescrit même s’il a beaucoup d’effets indésirables, on n’a pas d’autres choix. Pour la vaccination c’est une autre approche basée sur la notion du risque. On vaccine des personnes saines qui n’ont pas la maladie pour les protéger contre une possible maladie. Sur le plan réel, statistique, on sait combien de personnes vont faire cette maladie et combien de personnes on pourrait sauver avec le vaccin. Mais sur le plan individuel, les gens hésitent à injecter un vaccin dans leur corps sain pour une maladie qu’ils ne pensent pas attraper tellement ils pensent que ça n’arrive qu’aux autres. Mais plus la situation empire plus on devient convaincu que le risque de faire la maladie est réel et on finit par faire la queue pour le vaccin.
MD : Est-il légitime d’avoir peur qu’il n’y ait des effets secondaires à moyen et à long termes ?
Dr. T.H : Légitime oui, il n’y a pas plus légitime que cette peur. Et c’est justement cette peur qui cadre la recherche médicale et les essais cliniques pour ne mettre au marché que les thérapeutiques éprouvées. C’est la raison pour laquelle il y a des lois, des commissions scientifiques, des règles d’éthique nationales et internationales qui régissent la recherche médicale. Un médicament passe par des phases bien cadrées et réglementées : phases précliniques au laboratoire et sur les animaux, puis phases cliniques au nombre de trois, chacune avec ses règles avant la validation. Et même une quatrième phase après la mise sur le marché pour le suivi à très grande échelle. Si la première phase se passe sur une ou quelques dizaines de volontaires, la phase deux sur une centaine, la phase trois pour le vaccin anti Covid se déroule sur une moyenne de 30000 personnes, voire 50 et 60 mille pour certains vaccins avec une surveillance et un paramétrage des plus rigoureux pour justement déceler tout effet indésirable qui pourrait compromettre la validité. Avant l’efficacité, nous nous préoccupons d’abord de la sécurité. Le principe d’Hippocrate est toujours la règle : « Primum non nocere, deinde curare : d’abord ne pas nuire, ensuite soigner ».