Faire arriver les vaccins du Covid-19 à bon port, un défi logistique
Comment transporter rapidement et en sécurité des milliards de doses de vaccins quand ceux-ci seront enfin prêts pour lutter contre le coronavirus? Les professionnels de la logistique se préparent, jonglant avec des équations à de multiples inconnues.
Entre 12 et 15 milliards de doses devraient être produites dans le monde, selon la Fédération internationale de l’industrie pharmaceutique (IFPMA).
« Les modèles actuels prédisent qu’il n’y aura pas assez de vaccins pour couvrir la population mondiale avant 2023 ou 2024 », estime la Duke University américaine qui surveille le marché émergent de quelque 200 candidats vaccins.
Les laboratoires préparent deux types de vaccins: certains –comme celui de Pfizer et BioNTech– exigeront des températures de conservation très basses, jusqu’à -80°C, tandis que d’autres seront conservés à des températures plus conventionnelles de +2 à +8°C.
Le premier type, particulièrement difficile à transporter, « va concerner jusqu’à 30% des doses qui seront distribuées dans le monde », estime Mathieu Friedberg, directeur général du logisticien Ceva (groupe CMA-CGM).
Pour les 70% du second type, « c’est des logistiques toujours spécifiques. Ca reste de la pharma et donc c’est sensible, mais c’est moins technique que le -80°C », dit-il.
Pour Mathieu Friedberg, la moitié des vaccins prendront la route entre le lieu de production –Pfizer et Moderna devraient par exemple sous-traiter une partie de leur fabrication en France– et des lieux de stockages puis des centres de vaccination.
L’autre moitié exigera selon lui une logistique combinant des moyens aériens et terrestres.
Tout dépendra donc des distances et de l’urgence à acheminer les produits.
« Il y aura besoin d’une sorte de pont aérien », avance Glyn Hughes, responsable du fret à l’Association internationale du transport aérien (Iata). Une seule dose à transporter pour chaque habitant de la planète remplirait l’équivalent de 8.000 gros-porteurs cargo, selon lui.
Pour donner une idée des volumes, les 99 avions passagers long-courrier d’Air France peuvent chacun transporter dans leur soute plus de 400.000 doses, et ses deux Boeing 777 cargo plus d’un million de doses.
« Les vols passagers avec une capacité en soute doivent être augmentés », plaide le directeur général de l’Iata, Alexandre de Juniac, pour qui « les frontières doivent être ouvertes pour permettre la distribution ».
La capacité actuelle de transport de fret par avion est insuffisante pour faire face à la demande. L’effondrement du trafic aérien international a limité l’offre, puisque 60% du fret aérien est transporté dans les soutes des avions de passagers.
A tous les niveaux, on a constitué des « task forces », des groupes de travail tant au niveau des Etats que de la profession et des entreprises.
Bolloré Logistics travaille ainsi « sur tous les segments », explique son directeur commercial Olivier Boccara: état du marché pour l’emballage, revue des ressources disponibles pour le transport –en particulier un recensement des transporteurs terrestres capables de relever le défi–, prise d’options avec les compagnies aériennes et maritimes avec des prévisions sur les flux, etc.
Particularité de la situation: ce sont les laboratoires eux-mêmes qui s’occupent de l’accréditation des transporteurs.
« Dans l’ordre, une institution ou une autorité sanitaire d’un pays travaille avec un labo, le labo certifie sa chaîne logistique, et c’est donc à lui de faire le travail avec ses sous-traitants pour que cette chaîne logistique respecte l’ensemble des critères », résume Mathieu Friedberg.
« A ce jour, il reste de nombreuses inconnues », explique-t-on chez le logisticien Geodis (groupe SNCF): les quantités à transporter, à quelles températures, selon quels calendriers, avec quels schémas de distribution, etc.
Mais les professionnels de la logistique interrogés par l’AFP sont unanimes: ils seront prêts.
La plupart du temps, les chaînes logistiques de l’industrie pharmaceutique passent inaperçues, pointe Mathieu Friedberg, qui note que le transport à -80°C existe déjà pour les transferts d’organes. « Ce qui change, c’est l’ampleur, sur un temps relativement court ».
Avec 150.000 camions frigorifiques, « la France dispose d’une des meilleures chaînes du froid du monde », selon la Chaîne logistique du froid. « La situation se complique » pour les produits à conserver à -20° et -80°C mais le défi n’est « pas impossible », selon son président Jean-Eudes Tesson.
« Les directives de ne sont pas encore totalement claires pour le transport. Il est donc extrêmement difficile de dire aux clients si les conteneurs réfrigérés sont le moyen le plus approprié pour distribuer le vaccin », témoigne ainsi Mike van Berkel, commercial chez le fabricant néerlandais de fabricant de conteneurs d’aviation VRR Aero.
( Avec AFP )