La commission de Chakib Benmoussa en mode « écoute active »
Par Hassan Alaoui
Démarche unique et pionnière, l’initiative d’écoute profonde, à différents niveaux est originale. Dix mois durant, la Commission a effectué lors du processus de consultations et d’écoute mis en place, 70 auditions et séances d’écoute, 113 ateliers de travail, 35 séances d’écoute citoyenne organisées dans différentes villes du Royaume et s’est déplacée sur 30 sites au Maroc, qui ont permis de rencontrer plus de 10 000 personnes.
La richesse de la « moisson » des auditions des consultations des contributions, qui ont mis en avant l’ampleur des défaillances et dysfonctionnements montrent que les attentes sont très fortes quant au rapport final sur le modèle de développement que prépare la Commission spéciale. Un modèle qui comme l’avait indiqué le souverain dans son discours doit avoir « une triple mission de « réajustement », d’ « anticipation » et de « prospective » qui pourrait « permettre à notre pays d’aborder l’avenir avec sérénité et assurance ».
Le citoyen au centre de la réflexion
Pour cela la commission a choisi d’identifier les questions légitimes qui, si elles ne déclenchent pas de consensus sont reconnues par tous les citoyens qui sont écoutés consultés et deviennent ainsi des acteurs.. Fort de son expérience acquise au CESE, Chakib Benmoussa a mis en avant la participation citoyenne pour mieux appréhender la réalité . « Nous écouterons les citoyens et c’est avec eux que nous trouverons les solutions pour co-construire et générer de l’adhésion autour d’un modèle souhaité par tous » avait il déclaré lors de sa première conférence de presse. Des citoyens qui participent aux différentes étapes du projet du modèle tant au niveau de la concertation de l’expérimentation des nouvelles idées que demain du déploiement du projet lui-même.
Plus de 10 mois durant, un investissement massif est porté à la connaissance de la réalité tout d’abord à travers des débats des ateliers et des consultations avec les partis politiques, les opérateurs économiques, syndicats, différentes composantes de la société civile, l’administration publique, les universités et les organismes internationaux spécialisés. Autre points forts, la visite de nombreuses régions et villes comme Benguerrir, Larache, Al Hoceima, Assjen Bab Berred, Ouazzane, Ifrane, El Jadida, Mekhnès, Jerrada, Laayoune , petites ou villes moyennes frappées par le chômage des jeune, le manque d’infrastructures, la pauvreté et le mal logement marquées aussi par les peurs des drames ,des dérives des jeunes et du déclassement social comme à Jerrada où les mineurs font état de leur désespérance sociale depuis la fermeture il y a deux décennies des mines.. Visite également à Laayoune ,province du sud qui avait déjà fait l’objet en 2013 dans le cadre du CESE présidé par Chakib Benmoussa d’un nouveau modèle de développement des provinces du sud véritable contribution de la société civile au grand projet de régionalisation avancée …
L’approche territoriale on le voit, a été largement mis en avant dans les travaux de la commission comme l’a souligné le communique qui cite « intérêt particulier accordé aux régions, la création de valeur sur les territoires étant un axe majeur de la réflexion engagée par la CSMD. Dans cette logique, un cycle de rencontres régionales a été mené avec des représentants des 12 régions du Royaume, afin d’identifier les leviers pour créer des pôles de croissance régionaux et les dispositifs – institutionnels, économiques et financiers- pour les animer ». Un processus qui n’a pas été interrompu par la crise du Covid-19 mais qui a renforcé l’utilisation des vidéos et d’internet.
Une écoute fondée sur un climat de respect et de liberté
Une écoute active du Maroc dans toutes ses dimensions fondée sur le respect la confiance et la liberté a permis de prendre le poul d’une société mal en point et fracturée comme en témoignent ces cris de cœur des femmes de coopératives ou ces jeunes angoissés par l’avenir .Des dialogues fructueux sur tous les sujets ont été mis sur table sans tabous avec les populations mais également entre les membres de la commission ont permis d’ établir un premier diagnostic au plus prés des réalités et des attentes.
Mais se demanderont certains au vu des quantités de rapports et de diagnostics existants, on pense ici au travail de Meziane Belfiqh sur le cinquantenaire, existants pourquoi privilégier l’écoute ?
Parce qu’il n y a pas de stratégie sans connaissance du terrain qui évolue très rapidement selon les conjonctures, un terrain le plus large possible où tous les citoyens du monde rural, citoyens des villes et des périphéries ont pu témoigner, s’exprimer et apporter leur points de vue… dans une démarche de compréhension et d’échanges. Une Ecoute active des citoyens sachant que ces témoignages et idées émis dans un climat de liberté seront d’une manière ou d’une autre pris en compte et au cœur de la réflexion dans l’élaboration du rapport final très attendu.
Une démarche d’égalité d’intelligence
Autre pré- requis de l’écoute active telle que déployée par les membres de la commission : montrer que l’on prend la parole de chacun de nous a la même importance. Il n’y a pas d’experts ou de gens en position d’expert, pas de « sachants » ou de dirigeants, ou d’intellectuels qui du haut de leur tour instrumentalisent ou influencent ou expliquent les choses, mais il y a des cercles de gens qui se parlent, qui font l’effort de se comprendre, et il y a de l’égalité, ce que le sociologues appellent « l’égalité des intelligences »sans jugement aucun de l’autre.. Ce qui permet l’acceptation des dissensus ,les désaccords les différences… qui donnent son vrai sens a la démocratie.
Le philosophe Paul Ricœur a bien exprimé cette idée en déclarant « est démocratique une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression de ses contradictions, l’analyse de ses contradictions et la mise en délibération de ses contradictions en vue d’arriver à un arbitrage ». Paul Ricœur ajoutait qu’« une démocratie en bonne santé est une démocratie qui entretient des contrepouvoirs et plus généralement des corps intermédiaires, une société civile qui fait battre son cœur ».
Cette prise en compte de la dynamique de la société civile permet d’autre part de conduire avec efficacité des politiques publiques, économiques ou sociales car les citoyens s’approprient les décisions et orientations et peuvent devenir eux-mêmes des acteurs. La société civile constituée des corps intermédiaires, syndicats, entreprises ou associations permet de retrouver une efficacité plus importante dans l’action au niveau des territoires et du local. La crise de la Covid-19 a montré la richesse des initiatives menées au niveau local par les entreprises, les écoles et les associations, pour répondre à l’urgence sanitaire. Les défaillances évoquées dans les domaines de l’éducation, de la santé, des services publics, les demandes très fortes en terme de liberté de démocratie d’état de droit de reddition des comptes d’égalité des chances, de politique distributive pour chaque citoyen dessinent les contours de ce que devrait être ce modèle. La question est de savoir comment agir pour que la société civile continue à irriguer la vie politique et à revitaliser la démocratie dans un climat souvent fait de tension et de défiance.
Le numérique ouvre d’autres champs de participation
L’autre dispositif pour alimenter la réflexion des membres de la commission est le digital qui encourage la participation citoyenne tant au niveau des contributions que des débats et consultation. La plateforme numérique a permis d’associer des publics jusqu’ici éloignés de ce genre de démarches, comme les jeunes. Il reste que si le numérique contribue à faciliter et à élargir le champ de la participation, il a aussi ses limites comme la fracture numérique : certaines catégories de la population n’ont pas accès à internet et ne possède pas le bagage culturel nécessaire pour pouvoir effectivement contribuer en ligne. l’Autre difficulté est celle de l’exploitation des contributions qui doivent être analysées et décryptées pour être valorisés dans le rapport. Mais il s’agit là d’un autre débat… qui constitue une prochaine étape clefs dans la mission de la commission.
A l’écoute des doléances enregistrées ici et là qu’attendent les citoyens de ce modèle ?
- Un modèle qui se déploie dans le temps et l’espace sous forme d’ une feuille de route, d’une stratégie de changement et doit tenir compte des urgences sanitaires économiques et sociales actuelles très inquiétantes comme l’a révélé le wali de Bank el Maghreb récemment au parlement.
- Un modèle qui pense le long terme, et pense des enjeux de ruptures aussi fondamentaux que des crises sanitaires mondiales le réchauffement climatique ou les transformations technologiques et économiques.
- Un modèle qui offre les repères nécessaires pour un changement en profondeur politique, capable de promouvoir un progrès collectif qui assure un développement inclusif et une croissance qui bénéficierait a tous en tenant compte d’une approche territoriale dument réfléchie à l’aune de la mondialisation.
- Un modèle qui est aussi un projet de société qui met le focus sur les actions de transformations porteuses d’efficacité a fort impact d’équité entre catégorie sociales et entre les territoires.
- Un modèle avec une hiérarchie de priorités, un échéancier pour décider du rythme de la mise en œuvre et de l’ordonnancement des chantiers et des reformes à mettre en place.