Reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara et « normalisation » avec Israël : le temps du parler-vrai
Par Abdessamad MOUHIEDDINE
Journaliste et chercheur
Et voilà que l’on se mette à se jeter l’opprobre sur la figure à coups de « trahison » et autre « intelligence avec l’ennemi » !
Gardons raison et analysons froidement le double séisme diplomatique tel qu’il fut ressenti à Alger et tel qu’activé il y a quelques jours par le décret présidentiel américain et le communiqué du Cabinet royal marocain.
La corrélation entre la reconnaissance par les USA de la marocanité du Sahara dit occidental et la « normalisation » des relations israélo-marocaines se présente à l’entendement d’une portion de la société civile marocaine comme un « cadeau empoisonné ». Pour nombre de voix appartenant à la sphère militante de ladite société civile, la patte trumpienne y fût nettement apposée : « Tout a un prix ; je me range à tes côtés à mes conditions ». Il ne manquerait à cette version bien simpliste que l’authentification trumpienne au moyen d’un tweet !
Ne serait-ce qu’au registre de la forme, cette concomitance de ces deux actes diplomatiques majeurs est pour le moins troublante pour nombre de pourfendeurs de la « normalisation » israélo-marocaine. Mais comme c’est souvent le fond qui compte le plus en politique comme en droit, il est donc fondamentalement clair que les deux questions (reconnaissance de la marocanité du Sahara et « normalisation » avec Israël) relèvent de deux registres totalement distincts, comme nous le verrons plus loin.
Cela étant dit, regardons maintenant de plus près les deux volets contenus dans le modus vivendi triangulaire convenu entre les USA, le Royaume du Maroc et l’Etat d’Israël.
QUID DE LA « NORMALISATION » ISRAELO-MAROCAINE ?
Beaucoup évoquent la « normalisation » des rapports avec l’Etat d’Israël en l’identifiant aux récentes « normalisations » avec d’autres pays membres de l’agonisante Ligue des Etats arabes. Les mêmes et beaucoup d’autres l’évoquent comme un fait inédit, voire spectaculaire.
La vérité historique tangible ne se reconnaît point dans ces versions marquées pour le moins par une amnésie sélective. A cela deux raisons :
1) La « normalisation » à la façon golfienne n’a ni les motivations ni le background dont peut se prévaloir celle que le Maroc vient de sceller avec l’Etat d’Israël. En effet, les émirats golfiens y ont été acculés par la seule peur d’un Iran « sûr de lui-même et dominateur » qui a pénétré géostratégiquement et socio-doctrinalement pas moins de QUATRE ETATS de la région, sans compter Gaza. Par milices et partis interposés, l’Iran a, en effet, pénétré profondément l’Irak, la Syrie, le Yémen (Houtis) et le Liban (Hizbollah), en sus du Hamas qui a idéologiquement cadenassé Gaza depuis qu’Israël l’a évacuée. Le cas du Soudan est connu de tous. Désireux d’une prompte soustraction de la liste noire américaine des Etats soutenant le terrorisme et d’une levée rapide des sanctions qui lui furent infligées par les mêmes USA, le Soudan devra non seulement « normaliser » avec Israël, mais également payer 335 millions de dollars aux victimes américaines du terrorisme. Une somme que les Emirats golfiens « normalisateurs » se sont engagés à payer pour ce pays.
Or, il n’en est rien de tout cela dans le cas de la « normalisation » à la marocaine qui n’est, en réalité, qu’une « formalisation » de liens qui ont toujours existé depuis l’indépendance du Royaume. Ces liens sont divers et variés. Ils sont éminemment historiques, ethnoculturels – six siècles de judaïsme sépharade d’extraction andalouse se sont ajoutés à plus de 2.000 ans de judaïsme amazighe –, commerciaux (en Afrique, notamment pour la chimie, l’électronique, la mécanique industrielle, le Maroc arrive au second rang après l’Egypte) et même géostratégiques (exemples : la contribution technologique israélienne à la construction du Mur de défense saharien ou encore la fourniture de logiciels sécuritaires civils et militaires).
Ajoutons à cela le fait universellement connu de l’importance de la diaspora juive marocaine en Israël qui arrive en seconde position après celle de l’ex-URSS et dont le nombre lèche le million d’habitants.
Par ailleurs, la « normalisation » marocaine n’a rien d’inédit, puisque les bureaux de liaison, israélien à Rabat et marocain à Tel-Aviv, qu’on envisage de réactiver ont bel et bien existé par le passé. Ce fut Shimon Peres lui-même, alors ministre israélien des Affaires étrangères, qui inaugura le 1er septembre 1994 le Bureau de liaison israélien à Rabat. Les 25 fonctionnaires qui l’animaient étaient chapeautés par David Dadon, ex-directeur des relations avec les Etats arabes au ministère israélien des Affaires étrangères, un Marrakchi pure souche (du même quartier Arset Lamâach, non loin du Mallah, qu’Elisabeth Guigou, l’ex-ministre française de la justice).
Même si ce bureau de liaison a été fermé sur ordre royal en 2000, à la suite de l’interruption brutale et unilatérale du fameux « processus de paix », les liaisons diverses et multiples n’ont jamais été rompues entre Israël et le Maroc. Que de hauts responsables israéliens, de capitaines d’industrie, de poeple ou d’experts israéliens se sont déplacés au Maroc à la faveur de congrès, de séminaires, de colloques ou de rencontres de toutes sortes ! Ne parlons même de tourisme, notamment maraboutique ou familial, qui a drainé, bon an mal an et au vu de tout le monde, des centaines de milliers d’israéliens vers les différentes destinations marocaines, rurales et urbaines !
Dans le cas du Maroc, il ne s’agit donc nullement de « normalisation », mais tout juste d’une « formalisation » diplomatique de rapports qui ne se sont jamais interrompus. Peut-on dire autant de tout autre pays arabe, de l’Atlantique au Golfe ?
2) Les Palestiniens, les premiers, savent que le Maroc a longtemps, au moins depuis la rencontre du 29 juin 1970 entre le président du Congrès juif mondial Nahum Goldman et feu Hassan II, joué les between entre, d’une part, l’ensemble des pays arabes et Israël et, d’autre part, entre ce dernier et l’OLP. Il s’agit là d’une donnée historique cardinale que ni l’Autorité pilotée par Abbès ni le Hamas ne peuvent nier ou faire oublier. D’autant que Hassan II a longtemps joué au « collecteur en chef », notamment auprès des monarchies pétrolières, des fonds colossaux que détenait l’OLP de Yasser Arafat. D’ailleurs, le sauvetage même de Arafat et ses troupes assiégées au Liban durant l’été 1982 est dû, dans une large mesure, à Hassan II, comme l’ont certifié nombre de responsables occidentaux, notamment les Français Claude Cheysson et Roland Dumas.
Outre l’action sociale importante entreprise dans le cadre du Comité Al Qods, Dieu sait combien d’occurrences furent à la base de la reconnaissance de l’OLP par les Occidentaux puis par Israël grâce à l’entremise de feu Hassan II et ses nombreux envoyés, de Driss Slaoui à André Azoulay.
C’est dire l’intelligence du cœur dont le Maroc a longtemps fait montre à l’égard des Palestiniens et leur juste cause.
Aujourd’hui, à l’heure de la réactivation des rapports israélo-marocains, que peuvent craindre les Palestiniens d’un pays qui ne cesse de réitérer son inlassable soutien à la « solution à deux Etats » et qui compte en son sein la société civile africaine, maghrébine et arabe la plus attachée aux « droits inaliénables » de ce peuple meurtri ? En quoi la « normalisation » marocaine avec un Etat reconnu par les Palestiniens eux-mêmes en même temps que près de 180 nations et avec lequel ils collaborent socioéconomiquement et sécuritairement peut-elle nuire en quoi que ce soit à la cause historique de leur peuple ?
D’ailleurs, la « solution à deux Etats » n’est pas une vue de l’esprit. Elle tient sa crédibilité, sa genèse et même sa vertu de la résolution onusienne du 29 novembre 1947 qui mit fin au mandat britannique en prévoyant LA CREATION d’un Etat palestinien à côté d’un Etat juif.
Je dis sciemment « CREATION », parce que, à l’instar de 95% des Etats membres de la Ligue arabe, ces deux Etats n’ont JAMAIS EXISTE auparavant. Et pour cause…
« En 1516, sous le règne de Selim Ier, la Palestine (appelée Filistin Sancağı, Sandjak de Palestine, à cette époque) fit partie intégrante de l’Empire ottoman, qui gouverna la région jusqu’au début du xxe siècle, à l’exception de la courte période d’invasion des troupes françaises menées par Napoléon, dont certains disent qu’il envisagea la création d’un État juif sous protection française en Palestine. La fin de l’Empire ottoman, après la Première Guerre mondiale, placera la région sous administration (1917) puis mandat britanniques (1922) après accord de la Société des Nations ».
Pour clore ce chapitre, je réitère ma conviction qui est la suivante et que je ne changerai pour rien au monde : mille fois OUI au soutien du droit inaliénable des Palestinien à un Etat souverain, viable et digne. Cela implique le fait qu’en aucun cas la « formalisation » officielle des rapports israélo-marocains ne saurait aliéner ce soutien indéfectible à un peuple meurtri par les humiliations et les dévastations causées par les colons et l’Etat israéliens. Mais mille fois NON à toute mise en cause de la volonté farouche des Marocains de sauvegarder leur intégrité territoriale et leur droit de retrouver des rapports sereins avec leur diaspora juive vivant non seulement en Israël, mais également partout dans le monde. C’est clair, c’est net et qu’on ne vienne pas me forcer à jeter aux orties cette part essentielle de l’identité plurielle marocaine qu’est le judaïsme sous ses coutures sépharade et amazighe pour les beaux yeux d’une idéologie crispée ou d’un zèle national-arabiste ou trans-islamiste !
QUID DE LA RECONNAISSANCE PAR LES USA DE LA MAROCANITE DU SAHARA DIT OCCIDENTAL ?
Il était temps pour la première puissance mondiale d’inaugurer le « parler vrai » dans ce dossier datant de la défunte guerre froide. Il était temps pour les USA et peut-être pour le reste des membres du Conseil de sécurité de l’ONU de cesser la sempiternelle « préciosité diplomatique » des déclarations gênées ou même des résolutions onusiennes qui, bien qu’enterrant expressément toute velléité référendaire et appelant à une solution réaliste et durable, se refuse toujours à reconnaître la souveraineté pleine et entière du Royaume sur ses provinces sahariennes.
Le décret présidentiel américain, dûment validé par une carte géographique intégrale, c’est-à-dire non dépecée des provinces sahariennes marocaines, constitue un acte historique majeur dont les répercussions non seulement au sein même du Conseil de sécurité de l’ONU – les Etats-Unis ne peuvent être que logiques avec eux-mêmes en allant jusqu’à brandir leur droit de véto en faveur du Maroc –, mais également en Afrique et partout dans le monde forceront nombre d’acteurs régionaux, continentaux et internationaux à sortir de la frilosité ou de l’alignement sur les thèses fumeuses des séparatistes.
Il s’agit là d’un acquis stratégique opposable à tous ceux qui refusent mordicus d’abandonner les vieilleries idéologiques propres à la défunte guerre froide entre un Est collectiviste et un Ouest libéral. Je dirais même que cette reconnaissance américaine peut prétendre à la même valeur historique sinon davantage qu’eut naguère la libération de Tarfaya et Sidi Ifni du joug colonial espagnol. Elle a valeur de parachèvement universel de souveraineté.
La junte qui gouverne l’Algérie depuis son indépendance n’a plus le choix qu’entre deux issues : soit le « ramassage » et l’étouffement de sa bâtarde créature de Tindouf, soit davantage d’humiliation au vu et au su de la communauté internationale. Pour tous ceux qui souhaitent regagner la mère partie après tant de souffrances, le Maroc reconnaîtra et accueillera les siens.
Dorénavant, ni la France, ni la Grande-Bretagne, ni la Russie, ni la Chine ne peuvent accepter de se ridiculiser davantage au sein du Conseil de sécurité de l’ONU à l’écoute d’une version apocryphe d’un conflit artificiel datant de la guerre froide, fomenté par la soldatesque d’Alger, et dont les premiers larbins-marionnettes, tous de nationalité marocaine, ont soit péri soit regagné la mère patrie. Leurs successeurs restés sous les bottes de la junte d’Alger, n’ont hérité que des impasses diplomatiques et des culs-de-sac stratégiques.
Hélas, Sieur et si peu précieux Ghali Brahim, l’Histoire n’est la cousine de personne et encore moins de trouffions-protecteurs en mal de clairvoyance ! D’honneur, aujourd’hui vous et vos piètres protecteurs, n’en avez même plus le baroud !