La corruption, ce chantier national qui ne voit pas le bout du tunnel
En décembre 2015, le Maroc avait lancé la stratégie nationale de lutte contre la corruption et sa mise en œuvre a démarré en 2016. Aujourd’hui, à moins de 4 ans de l’échéance de cette stratégie qui devrait toucher à sa fin en 2025, et à l’heure où la Commission nationale anti-corruption prépare le lancement du 3e volet de cette stratégie nationale pour la période 2021-2025, les indicateurs nationaux et internationaux n’augurent rien de bon pour la corruption.
Ce chantier national se trouve encore «en tête des facteurs qui sapent les fondements de l’État de droit et favorisent les différentes formes de privilèges, de clientélisme et de népotisme», de l’aveu de Mohamed Bachir Rachdi, Président de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), dans la première édition de la Lettre de la probité, éditée par cette instance, à l’occasion de la journée nationale de la lutte contre la corruption, célébrée le 6 janvier de chaque année. L’INPPLC a publié également, il y a quelque temps, son premier rapport annuel au titre de l’année 2019, dans le cadre de son diagnostic de la situation et de l’évolution de la corruption au niveau national.
Deux décennies de résistance au changement
Au niveau législatif, la Constitution de 2011 affirme l’engagement du Maroc dans l’adoption des principes de bonne gouvernance, d’intégrité et de transparence, outre le renforcement de l’arsenal juridique pour la lutte contre la corruption à travers l’adoption et la mise en place de plusieurs mécanismes et plans gouvernementaux, notamment l’adoption, en 2015, d’une Stratégie nationale anti-corruption (SNAC). Bien avant, depuis 1998, diverses initiatives anti-corruption ont été lancées, concrétisées par son adhésion à plusieurs conventions internationales, notamment la convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC), la convention arabe contre la Corruption (CAAC) et la convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption.
Plus de 20 ans après, si la législation, la prévention et la sensibilisation ne fonctionnent pas, c’est peut-être lié au fait que le Maroc ne parvient pas encore à mesurer l’ampleur de son ancrage dans l’imaginaire collectif des Marocains. En tout cas, les chiffres ne manquent pas pour acter la défaite de nos gouvernements dans la lutte contre la corruption.
Les indicateurs au rouge
Différents rapports, analyses et enquêtes, nationaux et internationaux, attestent clairement d’une prégnance forte de la corruption, qui ne semble épargner aucun secteur. Dans le classement des pays selon l’Indice de perception de la corruption (IPC), le rapport indique que le Maroc s’est établi au 73 rang mondial (sur 180 pays), gagnant ainsi huit places et trois points par rapport à l’année 2017. Toutefois, cette amélioration n’a pas été pour durer, puisqu’en 2019 le Maroc a reculé de 7 places pour se trouver à nouveau au 80 rang mondial sur 180, après avoir perdu 2 points en obtenant le score de 41 sur 100. En gros, sur 20 ans, le Maroc est passé de la 50e à la 80e place. Selon l’enquête de l’Institut Royal des études stratégiques (IRES), il s’agit de l’un «des principaux obstacles à un vivre ensemble apaisé».
Dans le même sillage, une étude de l’INPPLC intitulée “Situation de la corruption au Maroc : Étude approfondie de l’Indice de perception de la corruption_R.004/2020”, retient que la position du Maroc, depuis plus de 15 ans, se caractérise par une relative stagnation, avec un classement oscillant entre les 73e et 90e positions. Une situation qui, selon l’INPPLC, montre que le pays continue à souffrir de l’ampleur du phénomène de la corruption et de la perception qui l’accompagne.
Qu’en pensent les Marocains ? «74% d’entre eux estiment que le gouvernement n’est pas à la hauteur pour enrayer ce fléau», selon une récente enquête de Transparency Maroc.
Des efforts indéniables déployés, oui peut-être, mais, les résultats, eux, sont mitigés, relevés par des évolutions en dents de scie dans la plupart des classements internationaux. Nombreux sont les rapports nationaux et internationaux qui mettent en relief la persistance du caractère endémique de la corruption au Maroc, notamment, l’Association marocaine de protection des fonds publics, qui révèle que le phénomène fait perdre au Maroc, annuellement, 5% de son PIB.
Ce fléau continue donc de remettre en cause l’égalité des chances et celle d’avoir accès aux moyens de produire et d’assurer les conditions d’une meilleure et plus équitable répartition des richesses.
La Covid-19 et la corruption s’allient
Cela dit, avec l’avènement de la pandémie Covid-19, la situation ne semble pas s’améliorer non plus. Le Président de l’INPPLC a mis en exergue le contexte actuel difficile lié à la propagation de la Covid-19 et aux répercussions économiques et sociales qui en découlent, relevant que la crise sanitaire présente des risques d’amplification du phénomène de corruption. Pour Mohamed Bachir Rachdi, «le Maroc se trouve aujourd’hui plus que jamais face à de grands défis» et «se doit d’opérer les inflexions majeures qui s’imposent, en veillant à accélérer les réformes structurelles, pour créer les conditions favorables au nouveau modèle de développement souhaité» et qui «fait de la transparence et de la gouvernance responsable un socle incontournable pour pouvoir satisfaire les besoins et les attentes légitimes des citoyens».
Pour mesurer d’ailleurs l’évolution de la corruption en période de crise sanitaire, une étude financée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), sera lancée, en ce début d’année, pour identifier les nouvelles formes de corruption engendrées par le contexte de la pandémie, ainsi que leurs ampleurs et impacts sur les citoyens, les entreprises et l’économie de façon plus générale. L’étude va être effectuée par l’INPPLC, en partenariat avec le département de la réforme de l’administration.
Quant à l’impact des politiques publiques en matière de prévention et de lutte contre la corruption, une enquête nationale d’envergure sera lancée, pour en assurer une évaluation objective. Elle couvre, pour la première fois, le secteur privé, dans l’objectif d’analyser le phénomène de la corruption dans sa globalité du point de vue des citoyens et des entreprises.
Par ailleurs, plusieurs chantiers prioritaires seront lancés par cette instance pour asseoir les fondements qui concourent à la mise en place de son référentiel, ainsi qu’à la structuration et au renforcement de ses capacités d’intervention, afin de pouvoir contribuer, significativement, au changement de cap visé pour un nouvel horizon de mobilisation, de prévention et de lutte contre la corruption dans notre pays. Toutefois, l’Instance ne dispose toujours pas de ses structures de gouvernance ni des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions et dont le délai de mise en place reste, toutefois, tributaire de l’aboutissement du processus d’adoption de son projet de loi 46.19. Au niveau de l’hémicycle, ce texte de réforme, adopté par le gouvernement en juin dernier, continue de diviser les membres de la Commission de la justice et de la législation.