Femmes marocaines : Un si long chemin et un statut en suspens
Dossier du mois
La rebelle des montagnes
Najat Ikhich, Présidente de la Fondation Ytto
«La question qui me taraude toujours est qui je serais devenue si ma famille n’avait pas quitté mon village d’origine, Aït Ourir, à 33 km de Marrakech ou si mon père était resté à Imini, village de miniers près d’Ouarzazate. A coup sûr, dans ce coin pauvre et isolé de la terre, ma vie aurait pris un autre cheminement. Je serais restée analphabète, mère de six ou sept enfants comme ma mère. J’irais chercher l’eau aux différentes sources de la montagne, du bois pour préparer à manger à ma famille, de l’herbe pour mes chèvres.»
Or, le cours de la vie en a voulu autrement et Najat est venue s’installer à Casablanca avec son père, militant qui est passé par les geôles des années de plomb. Déjà petite fille, elle allait vivre la première confrontation avec la domination masculine dans sa famille suite au refus de son père de l’inscrire à l’école alors qu’elle avait sept ans. C’est cette injustice ressentie qui allait réveiller la rebelle sommeillant en elle. Elle réussit alors à rejoindre les bancs de l’école après deux semaines de mobilisation de tout le quartier et surtout des personnes ayant une forte influence sur son père. Pourtant, elle n’aura droit qu’à deux ans d’école coranique mais une conviction s’imbriquera en elle pour la vie : « Oui on peut y arriver si on se bat ». Najat aura fait moult plaidoyers sans s’en rendre compte dès son jeune âge.
En 1973, alors qu’elle n’avait que quinze ans, on a voulu la marier, comme de coutume, mais la jeune adolescente se révolte, refusant de se soumettre aux règles qui allaient gâcher sa vie à cause de faux idéaux de la société patriarcale. Sa rébellion lui coûtera un boycott de plus de six mois de la part de sa mère.
Animée par une forte volonté de s’assumer, Najat s’engagera dans un long combat afin de poursuivre ses études et se construire dans sa lutte en tant que femme à laquelle la société refuse ses droits comme être humain encore moins comme citoyenne à part entière.
Sa relation avec la militante Mmi Fama forge sa personnalité. C’est son histoire, celle de son père, de Badia Skalli et bien d’autres femmes qu’elle avait la chance de côtoyer dans les cercles du militantisme politique et féministe des années 70 qui consolideront ses convictions. En 1976, elle trouve un cadre à son combat et intègre Le Mouvement des lycéennes avant de contribuer, en 1979, à la création de l’AMDH (Association des droits humains).
« Je suis certaine que mon combat actuellement contre les mariages des mineures, pour la scolarisation des filles, contre toutes les violences que subissent les femmes, surtout dans les régions enclavées et marginalisées, n’est pas issu du vide, c’est tout simplement ce que je dois être, c’est mon histoire, c’est l’histoire de toutes les femmes qui sont à la recherche de la justice, de l’égalité, d’une société qui respecte les droits de toutes et de tous. »
Consciente qu’il faut oeuvrer pour changer les mentalités, elle contribue à des actions et ce, depuis la constitution du Mouvement des femmes, en 1980, rédige des articles et mène un combat au sein des associations des jeunes, de la CDT, dans des villages berbères, au sein des collèges et lycées, mettant en évidence l’importance de l’égalité des sexes, la scolarisation des filles et la lutte contre la violence faite aux femmes. Neuf ans après, elle constitue la première commission noyau de la Ligue Démocratique pour les Droits des Femmes et devient membre actif du Comité national pour la Réforme du Code de la famille, en 1992. La même année, elle participe aux travaux du Congrès des femmes africaines organisé à Rabat, puis à l’étude lancée, en 2006, par le Réseau Femmes sous lois musulmanes sur la situation des femmes africaines.
La lutte contre les violences socio-économiques faites aux femmes, le droit à la scolarisation, la reconnaissance du statut économique des femmes du monde rural qui travaillent 14h/24h sans rémunération et n’ayant droit qu’à un «sans profession» sur leurs cartes d’identité, la lutte contre le mariage des mineures, la polygamie, la répudiation…Najat Ikhich en fait son cheval de bataille. Membre actif du Comité de direction du Printemps de l’égalité, pour trois mandats successifs, porte-parole du Front contre le terrorisme, pour la démocratie, la paix et la tolérance, elle crée, en 2004, la Fondation Ytto pour l’hébergement et la réhabilitation des femmes victimes de violence. Sa candidature comme membre consultant pour ONU femmes auprès de la société civile du Maroc, retenue, en 2013, elle est sélectionnée parmi une dizaine de lauréats intervenant sur le développement social pour le journal britannique The Guardian.
Et pour couronner ce parcours d’humaniste dévouée, Najat Ikhich décroche le Prix AWARD pour la Fondation YTTO comme consécration pour son travail concernant le mariage des mineures.