COVID en Inde et le variant Indien: toutes les questions pour comprendre la situation et son impact
Dr Tayeb Hamdi. Médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé.
Pourquoi la situation en Inde est qualifiée de catastrophique ?
L’Inde enregistre chaque jour entre 300 et 400 mille nouveaux cas de covid 19, et plus de 3000 morts en 24 heures. Ces chiffres seraient en dessous des chiffres réels selon plusieurs experts et observateurs sur place. En février l’Inde, qui compte un milliard trois cent millions habitants, enregistrait onze mille cas par jours et moins de cent décès, et c’était un succès pour l’Inde.
Quelles sont les raisons de cette évolution dramatique en si peu de temps ?
Il y a au moins deux raisons évidentes : l’apparition d’un variant Indien du Sarscov2, désigné sous le nom de B 1.617 et les grands rassemblements politiques, religieux et socioculturels qu’a connus l’Inde ces dernières semaines, sans respect des mesures barrières individuelles et collectives.
Quelle est la part de responsabilité de chacun de ces deux facteurs : variant et rassemblements ?
Une chose est certaine : les rassemblements en eux-mêmes sont des occasions propices à la propagation du virus, conjugués au non-respect des mesures barrières, ces meetings deviennent des catalyseurs des flambées de l’épidémie.
Pour le variant, les experts s’accordent à dire que certainement il serait plus contagieux que la souche classique de Wuhan, mais on ne sait ni à quel point, ni s’il se propage plus vite que le variant britannique qui était omniprésent en Inde.
Que sait-on de ce variant indien?
Ce variant a été détecté la première fois en Inde (Mahārāshtra) chez un homme le 5 octobre 2020. Il est appelé dans les médias le double mutant, à cause du fait qu’il porte une mutation semblable à celle portée par le sud-africain et le brésilien et une autre déjà vue sur le variant. Ça ne veut pas dire que ce variant ne porte que ces deux mutations, il en porte d’ailleurs 15 mutations, et ce variant n’est pas le résultat d’une fusion des variants dont il porte les mutations similaires.
Ce variant est-il plus transmissible, plus dangereux?
L’évolution rapide de la situation en Inde est en faveur d’une transmissibilité plus accrue de ce variant, mais qui reste à prouver. D’ailleurs l’OMS l’a classé comme VOI (variant of interest, variant d’intérêt) et non pas encore VOC (variant of concern, variant préoccupant) comme c’est le cas pour le britannique, le brésilien et le sud-africain, qui sont classés préoccupants, en attendant des données plus solides.
Malgré de fortes présomptions, on ne sait pas à ce jour si ce variant est plus dangereux ou pas, aucune étude jusqu’à présent n’a prouvé cette supposition.
Les vaccins sont-ils efficaces contre ce variant ?
A ce moment, on n’a pas de réponse avec certitude. De par la nature des mutations qu’il porte, les experts s’attendent à ce que ce variant déjoue l’immunité conférée par la maladie et la vaccination. En clair, le risque de faire la maladie est beaucoup plus important avec ce variant par rapport à la souche classique, pour les personnes qui ont déjà fait la COVID 19 et pour celles déjà vaccinées. Ce n’est pas encore prouvé. Mais une étude a conclu qu’il s’est avéré que le vaccin indien Covaxin produit par Bharat Biotech, est moins efficace sur ce variant Indien. Pour les autres vaccins les recherches sont en cours.
Est-ce que l’Inde a déjà largement vacciné sa population ?
Non. Même si l’Inde est le Pays champion du monde de la fabrication des vaccins, et même si l’Inde a mis au point ses propres vaccins anti COVID, elle n’avait vacciné que moins de 9% de sa population.
Le nouveau variant a été détecté en Inde au début d’octobre, la campagne de vaccination a démarré en mi-janvier, mais les mesures appropriées pour cerner le variant, pour contrôler l’épidémie par les mesures individuelles et collectives et par la vaccination large et rapide, n’ont pas été prises.
Pourquoi il y a autant de morts en Inde ?
Il y a deux grandes raisons, à part une virulence non encore argumentée et la fragilité chronique du système de santé indien, qui peuvent expliquer cette situation catastrophique. D’abord le nombre de contaminations aussi élevé va obligatoirement générer des cas critiques et des décès innombrables. La deuxième raison est l’effondrement du système de santé. Il n’y a plus de médicaments, plus d’oxygène dans plusieurs hôpitaux et ces derniers, dans l’incapacité de recevoir plus de malades, ferment leurs portes. Quand le système de santé est fonctionnel, sur 100 nouveaux cas de COVID 19, on a environ 80 personnes infectées qui sont asymptomatiques ou ont des formes bénignes et se rétablissent spontanément. 15 vont faire une forme modérée de la maladie, et seront sauvées par une prise en charge médicale simple, 5 vont entrer en réanimation, et une personne va décéder.
Quand le système de santé s’effondre, sur les 100 personnes touchées, 80 vont s’en sortir, mais les 20 restants ne vont pouvoir bénéficier d’aucune prise en charge médicale ni hospitalière, ni en réanimation, et donc les 5 qui devraient être en réanimation vont décéder avec une partie des 15 qui devraient être sauvées par simple prise en charge médicale. Au lieu d’avoir un taux de létalité par exemple de 1%, on passe à cinq, six fois ce taux ou plus, à cause de l’absence de toute intervention médicalisée.
Quel impact de cette situation sur les autres maladies ?
La situation médicale est encore pire pour les autres maladies autres que le COVID 19 : quand le système de santé s’effondre, les victimes des accidents, les urgences cardiaques, les attaques cérébrales, les urgences chirurgicales et autres pathologies urgentes ne trouveront pas la prise en charge adéquate et aggraveront le nombre de décès en plus de ceux du COVID.
Quelles prévisions pour la sortie de cette situation ?
Il est évident qu’avec cette flambée incontrôlable dans un pays aussi peuplé, avec une densité aussi élevée, une proximité sociale et des conditions socioéconomiques limitant les mesures de riposte, la situation va durer des semaines encore, malgré l’intervention gouvernementale, et le nombre de décès pourrait se multiplier par quatre ou plus dans les quatre mois à venir et atteindre selon des experts un million de décès. La seule possibilité d’écourter la crise et d’éviter cette hécatombe est, selon l’éminent expert américain Anthony Fauci, de décréter un confinement général en Inde pour plusieurs semaines.
Quel l’impact de cette situation en Inde sur le reste du monde ?
Cette situation affectera le reste du monde au moins sur trois niveaux :
- Chaque variant qui émerge et a des caractéristiques de transmissibilité supérieure, risque de se propager dans tous les pays, les virus ne reconnaissent pas les frontières. C’est plus vrai pour l’Inde qui a la plus grande diaspora au monde.
- Plus un virus se propage et se multiplie, plus le risque de voir d’autres mutations plus graves émerger. En Inde, avec sa population, sa densité, et son brassage, une flambée épidémique est la situation la plus propice pour les mutations.
- L’inde est le « laboratoire du monde » en matière de fabrication des médicaments et des vaccins. L’Inde fabrique 60% des vaccins du monde. Avec cette situation, l’Inde a besoin de plus de vaccins pour juguler l’épidémie chez elle, ce qui va ralentir encore plus le ralentissement mondial de la vaccination.
Quel impact et quelles leçons pour nous au Maroc ?
Nous devrions recevoir des vaccins AstraZeneca fabriquées en Inde, ces livraisons seront retardées. Heureusement que plus des deux tiers de notre commande globale ne concernaient pas le vaccin AstraZeneca fabriqué en Inde, et en plus la Maroc a déjà reçu presque la moitié des doses qu’il devrait recevoir du Serum Institute Of India. Mais globalement, la vaccination mondiale sera ralentie.
Pour les leçons. Tant qu’on n’a pas atteint l’immunité collective, impossible de délaisser les mesures préventives. Les mesures barrières et territoriales sont là pour nous protéger contre de telles situations. Une situation stable et sous contrôle, peut basculer en peu de temps en situation catastrophique.
Le respect des mesures préventives individuelles et collectives est notre arme de protection contre la maladie certes, mais aussi contre la propagation des nouveaux variants. Le contrôle de l’épidémie par le respect des mesures préventives individuelles et collectives, nous permet de garder un seuil acceptable de vie sociale, économique et scolaire. Le relâchement conduit directement aux catastrophes et aux restrictions et dégâts plus graves. Restons