Tunisie, l’impossible dialogue national
Depuis des années, la Tunisie attendait patiemment le bout du tunnel, une éclaircie et une prise de conscience de la gravité des problèmes qui le secouent, en vain. A chaque épreuve, les Tunisiens constatent, non sans scepticisme, que leur pays peine à trouver ses repères et à mobiliser toutes ses forces politiques autour d’un objectif commun.
En dépit des mises en garde répétées sur les dangers qui guettent cette jeune démocratie du statut quo, du blocage institutionnel et de l’absence d’un consensus national sur les dossiers essentiels, ce sont les tensions politiques et les luttes intestines au sein même des partenaires au pouvoir qui prennent le dessus et qui polarisent le débat public.
Le constat, que font experts, politologues et les activistes de la société civile, a un arrière-goût amer. Aujourd’hui, onze ans après la chute de l’ancien régime, le pays reste bloqué politiquement. Les dernières élections législatives et présidentielle de 2019, loin d’apaiser la vie politique, a même rendu toute concertation entre le pouvoir exécutif et législatif quasiment impossible.
La mésentente entre les trois têtes du pouvoir (Président de la république, chef du gouvernement et président du parlement) perdure pour le sixième mois de suite et tout dialogue serein et responsable sur les priorités nationales ou la conduite des réformes relève de l’utopie.
Le dialogue national que réclament aussi bien la classe politique tunisienne et les partenaires de la Tunisie, soucieux de voir le pays sortir du bourbier, via l’établissement d’une feuille de route consensuelle, se trouve une fois de plus hypothéqué, compromis.
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Pourtant, en 2013 c’est à la faveur d’une telle initiative pilotée par un Quartet nobélisé en 2015 (UGTT, UTICA, l’ordre des avocats et la ligue des droits de l’Homme), que le pays avait évité le scénario du pire et le processus de transition avait été mené à bon port.
Aujourd’hui, sa conduite fait l’objet d’âpres calculs, d’une animosité entre les parties qui sont censées l’organiser et aussi de règlement de comptes. Les nombreuses déclarations du Président de la République Kaïes Saïed risquent de tout remettre en cause, y compris certaines alliances qu’on croyait solides.
En estimant publiquement que « le Dialogue nationale de 2013 n’était ni un vrai dialogue ni véritablement national », le président Saïed a provoqué des réactions inamicales en cascades.
L’organisation syndicale, l’influente union Générale Tunisienne des Travailleurs (UGTT) n’a pas mâché ses mots en soulignant que les organismes et les personnes qui ont organisé le Dialogue national sont patriotes.
Il faut dire que ce n’est pas la première fois que le chef de l’Etat surprend le camp de ses amis notamment à propos du dialogue national.
Lors de sa récente visite à Rome le 17 juin dernier, il a déclaré lors d’une rencontre avec la diaspora tunisienne, qu’il est ouvert au dialogue, mais qu’il n’est pas prêt à un dialogue dans un contexte de spoliation des avoirs du peuple.
Il faut noter également l’insistance du président Kaïs à conduire cette opération selon ses exigences en sollicitant l’avis des jeunes sur la feuille de route que doit adopter la Tunisie pour une sortie de crise.
Certaines déclarations du président de la république sur ce processus ont laissé beaucoup dubitatifs. En affirmant récemment que « Le dialogue n’est pas fait pour mener des »accords » avec des parties de l’intérieur ou de l’extérieur. Ceux qui veulent le dialogue ne devront pas aller en secret à l’étranger pour demander la destitution du président de la République, par tous les moyens, voire par l’assassinat », ont autant surpris que laissé l’opinion publique sur sa faim.
L’Ordre national des avocats tunisiens (Onat) n’a pas tardé à exprimer son étonnement qualifiant les déclarations du président d’atteinte aux avocats et leur rôle ainsi que celui des autres organisations ayant contribué à sauver la Tunisie de la dérive en 2014.
Le porte-parole du mouvement Ennahdha (parti islamiste) Fethi Ayadi a, quant à lui, accusé le président Saïed d’avoir perturbé la mise en œuvre du dialogue national avec ses positions qui manquent de clarté.
D’après un grand nombre d’observateurs de la scène politique, cela traduit la volonté du président de la République de vouloir organiser des élections anticipées, son intention de demander le retour à la constitution de 1959, moyennant quelques amendements, et de la proposer à un référendum et de barrer la route au chef de gouvernement actuel, Hichem Mechichi, qu’il réclame son départ, toute possibilité de participation à un tel dialogue.
Elle cache aussi un bras de fer qui l’oppose à Rached Ghannouchi, président du mouvement islamiste Ennahdha et du parlement, et une rupture presque totale de dialogue entre les deux hommes et les deux institutions.
Manifestement le principal dossier de friction qui oppose les deux hommes concerne la mise en place de la cour constitutionnelle.
Le mouvement « Ennahdha » a souligné, dernièrement, l’importance de la promulgation par le président de la République de la loi sur la Cour constitutionnelle, récemment approuvée par l’ARP, faisant valoir que « la signature des lois constitue « un devoir impératif » pour le président et est une compétence qui lui est exclusive ».
Tout cela confirme qu’aussi bien pour la conduite du dialogue national, la mise en place de la cour constitutionnelle ou la solution de la crise gouvernementale, le blocage reste total ce qui renseigne sur la profondeur de la crise de confiance qui caractérise les relations liant les trois têtes du pouvoir tunisien.
( Avec MAP )