Al Hoceima : La crise n’attend pas !
La crise n’attend pas, ou plus ! Pour peu que l’on y prête une attention dépouillée de tout préjugé dans un souci d’éviter malentendus et invectives, il est impératif de réfléchir à des solutions urgentes pour sortir de l’impasse dans le Rif.
La révolte des habitants d’al-Hoceima était d’autant plus légitime et compréhensible qu’elle illustre, à vrai dire, la situation de plusieurs autres provinces qui s’y reflètent comme dans un miroir grossissant. Personne, on l’a dit et répété, ne peut délégitimer les revendications des populations de cette province qui possède d’énormes atouts, fournit à la nation cadres et hauts responsables, et qui est au Maroc ce que le souffle de fraîcheur et le symbole de fierté est à un corps.
Les revendications des populations du Rif, économiques et sociales, humaines tout simplement n’autorisent pas en revanche les débordements et les violences, sans compter les provocations qui relèvent du Code pénal et de la Loi.
La logorrhée d’écrits – articles de presse, analyses, commentaires, vidéos, échanges sur les sites, facebook, instagram, twitter – n’en finit pas de nous envahir et nous assommer pour ne pas nous pousser à nous interroger, en fin de compte, sur leur pertinence ! Sur beaucoup de points essentiels, on ne peut que se réjouir d’une profonde convergence, notamment sur la nécessité d’engager une politique visionnaire pour le Rif, concrète, convaincante en associant impérativement les populations, ce qu’on appelle la société civile dans ses composantes diverses, en prenant en considération les revendications économiques et sociales, la reconnaissance des mérites inhérents et leur dignité.
On peut en effet se « réjouir » même que la crise du Rif se transforme en une sorte de révélateur d’un malaise insondable et quasi généralisé : celui de la déconnexion ou de la césure totale entre le gouvernement central et les régions. Ce révélateur nous interpelle et nous met au pied du mur. Oui ou non, allons-nous prendre la réalité économique et sociale pour ce qu’elle est, mais non pour ce que nous en imaginons ? Oui ou non, va-t-on enfin prendre à bras-le-corps la problématique des ahurissants décalages de développement entre les régions ?
Quand Sa Majesté le Roi a lancé en janvier 2010 – il y a presque huit ans déjà – l’ambitieux projet de la Région, il y mettait à la fois sa forte conviction et l’espoir que les disparités seraient combattues par une doctrine enracinée dans le partage et la solidarité.
Evoquant « la consécration du principe de solidarité, le Souverain affirmait que « la régionalisation ne doit pas se réduire à une simple redistribution des compétences entre le centre et les régions. Et de préciser : « la régionalisation ne sera équilibrée et n’aura une portée nationale que si l’exploitation optimale par chaque région de ses atouts et potentialités propres, s’opère en corrélation et en concomitance avec la mise en place des mécanismes efficients de solidarité, incarnant la complémentarité et la cohésion interrégionales dans un Maroc uni. »
C’est peu dire que de telles paroles procèdent d’une vision prophétique, il reste à savoir néanmoins ce qu’elles sont devenues et de s’interroger gravement sur l’usage ou le mésusage qui en a été fait. Il est impératif – et nous ne sommes ni les seuls, ni les premiers – de souligner le grand fossé existant entre les élus et les populations, l’absence des corps intermédiaires et des canaux de communications, fussent-ils traditionnels comme les zaouyas, les partis politiques, les syndicats, les conseils, et tout ce qui constitue des courroies de transmission entre le pouvoir et la société. Bien sûr, le constat est unanime : c’est un échec patent qui est dénoncé à tours de bras, sur ce qu’on appelle les engagements des gouvernements successifs, non tenus, non respectés, qui plus est, sur des projets aussi simples, dira-t-on, que construire des routes, des hôpitaux, une université, réactiver un scanner, aménager des routes et des autoroutes, ouvrir des écoles et asseoir une politique de proximité…
Une présence sur le terrain et une veille sur les attentes des populations
Autrement dit, toute la responsabilité qui incombe aux représentants de la nation, devrait-elle signifier autre chose qu’une présence sur le terrain et une veille vigilante sur les conditions et les besoins des populations ?
Dans ces conditions, quelle est la raison d’être d’un gouvernement ? Pourquoi non plus élire et faire élire des députés, des conseillers municipaux, régionaux et des partis politiques si ensuite ils « filent en douce » et désertent l’espace et le terrain ? Et je dirais : pourquoi discréditer sa propre mission, voire trahir les promesses électorales et porter un rude coup à la vision royale de développement qu’il ne cesse de déployer inlassablement jour après jour, semaine après semaine, mois après mois ?
Le gouvernement actuel, accouché dans la douleur et après une grossesse non moins pénible de 7 mois, hérite d’une situation complexe, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est la résultante d’une totale incohérence. Non que l’on accuse Abdelilah Benkirane et son gouvernement d’être à l’origine de ce qui se passe à présent au Rif, mais son équipe a laissé pourrir un abcès qui est de nos jours difficile à crever. Entre octobre, date à la fois des élections législatives et de la mort accidentelle tragique de Mohcine Fikri, et le déclenchement des violences, il sont passés quelque sept mois. Néanmoins, pendant six d’entre eux, notre pays a connu un vide sidéral, placé dans une sorte de « oui et non », une étape cruciale pourtant marquée au sceau de l’incertitude paradoxale, des atermoiements qui étaient à l’opposition de nos ambitions régionales et internationales, quasiment en contradiction avec notre vocation…
Un Conseil Royal ou un G20 pour la Rif
Le temps n’est-il pas venu de dresser un constat, fût-il le plus sévère ? De penser contre nous-mêmes enfin ? Peut-être devrait-on penser à des formules, comme la mise en place d’un Conseil Royal de salut pour le Rif ou une sorte de G 20, et les autres provinces, de mettre en valeur les spécificités de cette région, associant en premier lieu – je dis en premier lieu – les représentants de la société civile, les élus qui doivent s’insérer dans le processus de réconciliation et se retrousser les manches, les bonnes volontés qui travaillent dans le sens de la décrispation, les populations enfin qui sont à la solution des problèmes de la région ce qu’est l’âme d’une crédibilité..