Un collectif d’avocats se mobilise contre l’article 14 du projet de la loi relatif à l’organisation judiciaire
Un collectif d’avocats se mobilise contre l’article 14 du projet de la loi relatif à l’organisation judiciaire car, maintenu en l’état, cette disposition :
- Alourdira les délais et processus judiciaires;
- Produira des goulots d’étranglement en raison des capacités numériques actuelles de traduction (volumétrie de documents à traduire / délai requis) à l’échelle nationale : 406 traducteurs assermentés pour 2.782.048 affaires en 2020;
- Constituera un surcoût considérable pour les citoyens dans leurs procédures judiciaires;
- Entravera l’accès des citoyens de conditions modestes à la justice de leur pays.
Ainsi, l’article 14 du projet de la loi relatif à l’organisation judiciaire imposera s’il était adopté en l’état, la traduction en arabe par un traducteur assermenté de toutes les pièces produites dans le cadre d’une procédure, à moins que la juridiction en décide autrement.
Le projet de texte est débattu ce mardi 06 Juillet à la Commission Justice et Législation de la première chambre. Alors qu’il traîne depuis que la Cour Constitutionnelle s’est prononcée sur son inconstitutionnalité en février 2019, il est soudainement devenu une urgence à la veille des élections avec l’objectif d’être adopté avant la clôture de la session parlementaire prévue, en principe, avant la fin du mois de juillet.
En l’état, ce texte qui aura un impact néfaste et considérable sur les processus judiciaires condamnerait sûrement l’efficience de fonctionnement de nos juridictions et privera le citoyen vulnérable d’un accès équitable et libre à la justice de son pays.
L’adoption de cet article 14 tel que rédigé dans le projet de loi remet en cause l’un des principaux acquis des justiciables depuis l’indépendance : le droit à la production, devant les juridictions, de documents rédigés dans une langue autre que la langue officielle du Royaume.
En effet, l’article 14 prévoit que les documents produits dans une langue autre que l’arabe doivent être traduits en langue arabe, à moins que la juridiction saisie en décide autrement.
Prolongement et alourdissement automatiques des délais et procédures judiciaires
Par définition cette disposition alourdira automatiquement les délais de traitement des procédures car la décision d’acceptation de documents non traduits (ou de rejet de documents non traduits et donc d’exigence de documents traduits) ne pourrait intervenir qu’à un stade avancé de la procédure au moment de l’étude des pièces versées au dossier, ce qui implique un retour à la case départ avec d’office un allongement des délais.
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En effet :
- Le tribunal saisi n’examinant les documents produits, en pratique, que lors de la mise en délibéré du dossier, le tribunal devra remettre le dossier au rôle pour inviter la partie à produire la traduction des documents, ce qui ne manquera pas de rallonger les délais de procédure.
- La partie adverse peut invoquer l’irrecevabilité de la demande de sorte que le dossier fera l’objet de plusieurs renvois successifs en attendant la production des traductions.
Entrave et inégalité d’accès à la justice pour les citoyens les plus vulnérables
Cette disposition condamnera donc de manière certaine, l’égalité d’accès à la justice pour nos citoyens en raison du surcoût systématique et préalable pour toute personne qui souhaiterait faire valoir ses droits et/ou se défendre.
Ainsi, et à titre d’exemple, un citoyen salarié pour avoir accès à la justice de son pays dans le cas d’un litige avec son employeur, devra préalablement traduire son contrat de travail, ses bulletins de salaire et ses attestations de travail.
Donc un citoyen en difficulté, bien que bénéficiant de l’aide juridictionnelle devra préalablement débourser une somme importante avant de prétendre faire valoir ses droits, quel que soit le type de litige ou de juridiction.
Goulots d’étranglement mécaniques niveau des processus de traduction et prolongement des délais de procédure judiciaire en mois voire en années
Par ailleurs, en termes de capacité numériques le Maroc compte 406 traducteurs assermentés selon la dernière liste des traducteurs assermentés auprès des Cour d’appel publiée sur le Bulletin officiel du 14 Juin 2021(pages 4651 – 4701 du BO) pour les 120 juridictions de fond que compte le Royaume, outre la Cour de Cassation.
Au titre de l’année 2020, le nombre de dossiers enregistrés auprès desdites juridictions de fond au Maroc (Hors Cour de Cassation) a été de 2.782.048 affaires. (Source site du ministère de la justice : : http://www.justice.gov.ma/lg-1/statistiques/donnees.aspx ).
Ainsi, mécaniquement, les traducteurs assermentés, quelle que soit leur célérité, leur efficacité et leur mobilisation, ne pourront humainement jamais faire face dans des délais recevables et acceptables pour le justiciable à l’énorme flux qui serait généré par l’adoption de la Loi en l’état et notamment de son articles 14.
Régression dans l’ouverture et la diversité qui caractérise notre pays et probable coup d’arrêt aux investissements étrangers face à une justice qui serait structurellement lourde, lente et couteuse en temps et en argent
L’efficacité et l’efficience de la justice font partie des premiers paramètres pris en compte pour les investissements directs étrangers. Une telle complication des procédures ne manquera pas de marquer le ralentissement des investissements étrangers dont les documentations peuvent comprendre des milliers de pages et qui, de fait, serait exposés à des délais probablement décomptés en années pour une procédure.
Il est d’ailleurs pour le moins paradoxal que le bulletin officiel et les journaux d’annonces légales, les états de synthèse et de nombreux documents administratifs soient publiés et édités en langue française et que soudainement l’exigence de la traduction devienne une priorité absolue.
Pourquoi former des magistrats en intégrant dans leur cursus l’enseignement des langues, si par ailleurs cet enseignement devient inutile dans leur pratique quotidienne ?
Appel pressant à la modification de la formulation de l’article 14 : la traduction des pièces doit demeurer une faculté et non une règle impérative.
Les représentants des avocats mobilisés au titre de cette démarche en appellent à la vigilance des parlementaires et leur suggèrent de modifier la disposition de manière à ce que la traduction des pièces demeure une faculté et non une règle impérative.
Le texte, pour assurer et maintenir l’efficacité de notre système judiciaire et la préservation des droits des citoyens, doit être rédigé de la sorte « les documents doivent être traduits si le juge le décide ».
Voici la rédaction actuelle de l’article 14 du projet :
» تظل اللغة العربية لغة التقاضي و المرافعات و صياغة الأحكام القضائية أمام المحاكم، مع تفعيل الطابع الرسمي للأمازيغية طبقا لأحكام المادة 30 من القانون التنظيمي رقم 26.16 المتعلق بتحديد مراحل تفعيل الطابع الرسمي للأمازيغية و كيفيات إدماجها في مجال التعليم و في مجالات الحياة العامة ذات الأولوية.
تقدم الوثائق و المستندات للمحكمة باللغة العربية أو بلغة أجنبية مصحوبة بترجمتها لهذه اللغة مصادق على صحتها من قبل ترجمان محلف، ما لم تقرر المحكمة خلاف ذلك، كما يمكن للمحكمة و لأطراف النزاع أو الشهود الاستعانة أثناء الجلسات بترجمان محلف تعينه المحكمة أو تكلف شخصا بالترجمة بعد أن يؤدي اليمين أمامها «
Le paragraphe 2 de l’article 14 du projet devra être modifié comme suit :
» يتعين تقديم المقالات و المذكرات و العرائض للمحكمة باللغة العربية. و يمكن الإدلاء أمام المحكمة بالوثائق و المستندات و غيرها من وسائل الإثبات بأي لغة أخرى، ما لم تقرر المحكمة ضرورة الإدلاء بترجمتها للغة العربية مصادق على صحتها من قبل ترجمان محلف. كما يمكن للمحكمة و لأطراف النزاع أو الشهود الاستعانة أثناء الجلسات بترجمان محلف تعينه المحكمة أو تكلف شخصا بالترجمة بعد أن يؤدي اليمين أمامها «