France-Maroc : Les enjeux d’une rencontre au Sommet entre S.M. le Roi et Macron
Hassan Alaoui
Ce n’est pas seulement une tradition institutionnalisée, mais un quasi reflexe. On pouvait s’interroger à loisir si le tout nouveau président de la France allait sacrifier au rituel, celui de consacrer sa première sortie dans le Maghreb au Maroc ! Les langues se sont déliées, naturellement, concoctant des scénarios surprenants pour justifier tantôt la confirmation de son choix, tantôt l’éventuel ajournement au profit de l’Algérie.
Il est donc là le choix, avec ses implications, ses hypothèses, la communication qui l’accompagne et les savantes explications des éditorialistes. Ce n’est pas une visite officielle, comme on s’est empressé de le prévenir de part et d’autre, mais une visite d’amitié qu’un chef d’Etat français, fraîchement élu, rend à son homologue marocain. Sacrifiant aux finauderies diplomatiques, la visite est placée dans un cadre strictement amical voire familial.
Mais, est-il rencontre au Sommet plus significative que celle qui s’apparente à une villégiature ou une promenade entre deux acteurs politiques qui ne se sont jamais rencontrés et qui ont beaucoup de choses à se dire ? Est-il un moment aussi privilégié que cette intimité spontanée à laquelle les deux chefs d’Etat se soumettront, que cette quête d’échange lucide à un moment où – clairvoyance oblige – le monde connaît une ébullition notoire, d’autant plus inquiétante même qu’aussi bien Sa Majesté le Roi que le président Macron sont vivement interpellés et sollicités pour y réfléchir, et aussi y répondre.
La convergence entre le Maroc et la France est une vieille et quasi fétichiste règle. Elle est à leur histoire ce que le socle est à un immense édifice constamment élevé et toujours en oeuvre. Premier partenaire du Maroc, la France est aussi son allié, ne serait-ce que dans l’affaire du Sahara, pour laquelle la diplomatie française reste mobilisée aux Nations unies. Le champ de la coopération est à la fois immense et dense, diversifié aussi parce qu’il recouvre les secteurs financiers, du tourisme, de l’éducation, de l’enseignement, de la santé, de la coopération technique, des projets d’infrastructures et d’équipements pour ne parler que de ceux-ci.
Il convient de souligner que, quelle que soit la majorité qui gouverne en France, la volonté de renforcer ou de maintenir au moins la traditionnelle amitié franco-marocaine demeure immuable et constitue le credo des deux pays. Cette volonté ne se départit jamais de son exceptionnalité, tant il est vrai que, connaissant parfois certaines tensions et non des moindres, elle a traversé le temps, et reste la caractéristique essentielle de leur histoire bilatérale.
Emmanuel Macron, élu triomphalement sur un projet de renouvellement de la République française, désormais appuyé – comme en témoigne le succès du premier tour des élections législatives – sur une légitimité indiscutable, s’inscrit bel et bien dans la tradition diplomatique française de la Vème République. Après Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, il entreprend donc le voyage de « découverte » de ce Maroc si cher, de son Roi et de son peuple.
Lorsqu’on met en exergue le terme « convergence » entre les deux pays, on ne sacrifie nullement à la rhétorique. Liés par une histoire quasi commune, ayant surmonté l’épisode ou la parenthèse du protectorat – qui n’est pas la colonisation -, négociant avec perspicacité la Libération en 1955-56 du Maroc, instaurant une coopération structurante, les deux pays sont tout de même confrontés à présent à une réalité mouvante, celle des sociétés plus que des politiques.
La nouvelle France de Macron
Les élections législatives françaises sont tombées comme un couperet, elles laminent les anciennes majorités, de gauche comme de droite. Les figures d’antan, fussent-elles emblématiques, disparaissent sous nos yeux comme le sable sous les vagues du changement. Ce sont plus que 250 personnalités des anciennes majorités qui quittent le champ politique de la France, ce sont aussi plus de 50 nouvelles têtes qui ont seulement entre 25 et 30 ans qui accèdent à la Chambre des députés.
C’est in fine, la société civile qui prend place, portée par un Mouvement en marche lancé il y a moins de 16 mois, crée et mené par un outsider résolu appelé Emmanuel Macron. Il en impose, évidemment, par sa rigueur intellectuelle, sa conviction, son charisme, sa force personnelle, son pragmatisme et, ce qui ne gâte rien, sa jeunesse qui est son armature.
C’est donc une autre France qui dessine son épure et son nouveau visage. On posera d’emblée la question : quelle sera sa politique africaine et maghrébine ? S’il a lancé le projet d’une task-force et, par le biais du groupe G5, rassuré dernièrement le Mali face aux jihadistes, tout en mettant en garde une Algérie trop agitée dans la région, s’il a réussi le tour de force d’imposer déjà une image de président respecté face à Donald Trump, de conforter l’amitié franco-allemande avec Angela Merkel après son voyage à Berlin au lendemain de sa victoire le 7 mai dernier, s’il réinvente tout simplement la politique aussi bien nationale qu’internationale, on est en droit d’espérer que sa vision pour les pays du Maghreb, puisse s’inspirer de la même éthique qu’il ne cesse de prôner : celle de la dynamique et du mouvement pour la prospérité et la stabilité.
Peut-être, devrait-on souligner que la convergence avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI sera soulignée sur la base d’un partage des mêmes valeurs, de progrès, de paix et de stabilité. Les deux chefs d’Etat ont en commun l’attachement à la démocratie et à la défense des libertés. Les entretiens qu’ils auront ce mercredi en tête-à-tête essentiellement, couvriront un large spectre : l’Afrique, son développement, l’immigration, le terrorisme, et actualité oblige, le Moyen Orient et la question du Qatar mis en quarantaine par ses partenaires du Golfe et isolé. Là aussi, une certaine convergence justifiera une réflexion commune entre Sa Majesté Mohammed VI et le président Macron , sur la nécessité impérieuse de contribuer à une solution diplomatique et sur le rôle que l’Iran et la Turquie jouent dans les coulisses, faisant leur cette vieille antienne coloniale qu’un « monde arabe déchiré et divisé » est un couloir d’interventionnisme pour eux…