Afghanistan : Nouveaux « Talibans » au pouvoir, diplomatie de la terreur Ou diplomatie de la paix
Par Taoufiq Boudchiche (Economiste)
L’arrivée fulgurante des Talibans au pouvoir en Afghanistan, après le retrait des troupes américaines après 20 ans de présence et la plus longue guerre de l’histoire des Etats-Unis, selon les termes du Président Biden lors de son investiture, a suscité moultes interrogations au sein des différentes chancelleries.
Cela, jusqu’au sommet des Nations-Unies, préoccupés par les intentions politiques de cette nouvelle génération de Talibans, dont la reconquête du pouvoir a eu un impact mondial, jusqu’à faire réagir le Conseil de Sécurité réuni d’urgence. A cette occasion, le Secrétaire Général des Nations-Unies a accueilli la nouvelle par une déclaration on ne peut plus claire, appelant « la communauté internationale à l’unité » et notamment « à parler d’une seule voix pour défendre les droits de l’homme » dans ce pays.
En effet, l’Afghanistan est entré tragiquement dans l’histoire mondiale contemporaine par deux fois. La première fois, en 1979, suite à l’invasion par le régime communiste de l’ancienne Union Soviétique, déclenchant immédiatement à l’époque, une vive réaction internationale par crainte d’une contagion communiste aux pays voisins et entraînant le pays dans une guerre de tranchées et de résistance armée contre l’URSS qui a duré 10 années successives jusqu’en 1989. C’est la date à laquelle, les troupes russes y ont été chassées, suite à un conflit armé conduit sur le terrain, par des alliances improbables entre « Moujahidines locaux », « Jihadistes étrangers », « mercenaires en mal de combats », financées et armées à l’époque par les américains et leurs alliés, jusqu’à faire émerger l’organisation d’Al Qaïda et faisant ensuite de l’Afghanistan, sous le régime des anciens Talibans, un sanctuaire du terrorisme mondial.
La deuxième fois en 2001, lors de la guerre déclenchée par le Président Bush fils, suite au refus du pouvoir Taliban de l’époque de livrer aux Etats-Unis « Oussama Ben Laden », chef autoproclamé d’Al Qaïda, qui s’est retourné contre ses anciens parrains, américains et saoudiens, qui l’adoubaient pendant sa guerre sainte contre l’ancienne URSS. Les américains, cette fois-ci, l’accusant d’être l’instigateur et l’auteur des attentats du 11 septembre 2001 avaient mis en demeure les Talibans, de leur livrer « Ben Laden » dans un délai précis. Le refus, des Talibans au pouvoir en 2001, fut le prétexte, un mois après, d’une deuxième invasion à déflagration mondiale. Celle-ci fut américaine, conduite par les Etats-Unis avec d’autres armées occidentales (France, Royaume-Uni, Canada,…) dans le cadre d’une alliance atlantique, soutenue par l’OTAN, présentée comme une riposte solidaire aux attentats du 11 septembre.
L’Afghanistan envahi s’en est trouvé une fois de plus au cœur de nouvelles stratégies mondiales de conflits et de luttes féroces contre le terrorisme avec la promesse occidentale d’y installer paix et démocratie. Vingt ans après, 800 Milliards de dollars y ont été injectés ainsi qu’une présence de puissantes armées et aides occidentales pour parrainer une transition vers la démocratie, la stabilité et la paix mais au final, sans aucun résultat global tangible, sur le terrain. Les montants de l’aide financière consentis sont vertigineux. Pour comparaison, cette aide est supérieure au budget mobilisé par l’Union Européenne, (700 Milliards d’euros) destiné à financer la relance post-Covid 19, des 27 pays européens. Des budgets, qui nous feraient rêver en tant qu’africains, si nous pouvions disposer d’une telle aide financière pour le développement du continent.
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Vingt ans après, les américains se retirent et, avec leur départ disparaît dans les poussières des montagnes afghanes, la promesse de la démocratie, du développement et de la paix. Les images de milliers d’afghans s’accrochant aux avions de rapatriement des expatriés et d’afghans choisis pour fuir le pays ont choqué et sidéré les opinions publiques. Des commentaires et interrogations diverses ont surgi sur l’utilité et la nécessité de toutes ces guerres menées par les grandes puissances au nom de la lutte contre le terrorisme en Afghanistan et ailleurs dans le monde. Devant un tel échec, étaient-elles nécessaires ? Et, si elles l’étaient avaient-elles été bien pensées pour atteindre les objectifs de développement, de paix et de sécurité ?
Le retrait américain bien qu’annoncé et négocié dans le cadre des accords de Doha du 20 février 2020, demeure perçu dans le monde comme un échec américain et occidental en Afghanistan et instaure le doute. Les rapprochements avec « l’humiliation de la défaite américaine au Vietnam » a été également faite pour rappeler à l’opinion publique américaine traumatisée, les souvenirs douloureux de la guerre perdue du Vietnam. Le Président Biden quant à lui assume ce retrait et énonce clairement que l’engagement américain ne visait pas à instaurer la démocratie en lieu et place des afghans. Autrement dit, il rappelle aux afghans qu’ils devraient convenir eux mêmes de leur destin. Néanmoins, l’Amérique qui s’apprête à célébrer dans le recueillement, le 11 septembre prochain, le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 a comme un goût de déception, d’échec et d’amertume de cette actualité afghane ressentie comme une sorte de « remake » de lendemains des échecs de la guerre du Vietnam.
Ceci étant, qu’en est-il aujourd’hui du nouveau pouvoir Taliban ? Plusieurs options de paix, de guerre et de terreur, seraient sur la table que se disputent les analystes et observateurs de l’Afghanistan. Il y a aussi, sur la scène afghane, les jeux et enjeux de puissances en cours. Egalement, des leçons à tirer pour l’Afrique. Passage en revue.
Les nouveaux Talibans au pouvoir et options pour la paix ; « Ne pas recommencer les erreurs du passé »
Au plan international, on notera deux options que se disputent les experts et observateurs avertis de l’Afghanistan sur la nature du nouveau pouvoir Taliban. Selon, la première option, les nouveaux Talibans auraient changé après les vingt ans d’exil et aussi évolué sur plusieurs questions notamment sur les droits des femmes ainsi que sur l’application de la « Charia ». Selon cette approche plutôt optimiste, les Talibans, se présenteraient comme une alternative face à l’échec américain de stabiliser le pays après avoir injecté 800 Milliards de dollars, pour pacifier et développer le pays en appuyant différents gouvernements successifs ; ceux-ci ayant été incapables, malgré cette aide, dévoyée pour une bonne partie par la corruption, d’imposer la paix et l’unité du pays. Les « Talibans », mieux organisés et moins corrompus, pourraient selon ce point de vue, être la seule force politique en capacité de stabiliser l’Afghanistan.
Plusieurs arguments a priori logiques et rationnels seraient avancés à l’appui de cette approche rassurante pour ce pays et sa population éreintée par les guerres successives depuis 1979; date de l’invasion russe (soit 42 ans de conflit et de souffrances pour le peuple courageux et vaillant d’Afghanistan). Sont évoqués les récentes déclarations des Chefs Talibans devant la presse internationale tout au long de cette semaine et largement diffusées par la chaîne Al Jazira. En particulier, ont été soulignés, les propos sur leur volonté de paix et de stabilité, celle d’appliquer avec souplesse la « Charia » ainsi que de préserver les droits des femmes acquises lors des vingt dernières années si ces droits s’avéraient conformes, selon eux, aux règles de « l’Islam ».
Un autre argument de poids viendrait étayer, en filigrane, cette première option optimiste, serait l’intercession du « Qatar protecteur des Frères Musulmans » en leur faveur dans le cadre des négociations menées en coulisses par la « nomenklatura Talibane » auprès des diplomaties concernées. Certaines puissances régionales, ont d’ores et déjà approché « les Talibans » pour négocier la reconnaissance du nouveau gouvernement Taliban en échange de diverses garanties selon les enjeux et intérêts de chacune de ces puissances (Chine, Russie, Iran, Turquie, Inde). A cela, s’ajouterait, selon cette approche optimiste, l’argument, non moins important que les « Talibans » auraient tiré une « belle leçon politique » du passé qui les a conduit hors du pouvoir par les américains du fait de leur refus de livrer « Oussama Ben Laden » en 2001. Ils ne seraient pas prêts aujourd’hui à recommencer les mêmes erreurs.
Les Talibans et la stratégie de la « Taquia » pour un pouvoir de terreur conforme à l’agenda d’Al Qaïda
La deuxième option, avancerait l’idée que les nouveaux « Talibans » seraient plutôt dans une stratégie de « Taquia » consistant à « cacher un double jeu ». Ils auraient un discours rassurant auprès des médias occidentaux, le temps d’asseoir leur pouvoir. Ensuite, comme si « le naturel reviendrait au galop », ils appliqueraient à nouveau un régime de « terreur et d’exactions » de toutes sortes à l’intérieur du pays d’abord. Et, fort probablement, compte tenu des liens quasi familiaux établis avec les leaders historiques d’Al Quaïda qui ont survécu à l’exil et réfugiés comme eux au Pakistan et dans le voisinage, ils ne pourront s’empêcher d’exporter le terrorisme à l’extérieur du pays. Le retour des Talibans serait une prime à Al Qaïda qui va renaître de ses cendres et pourquoi pas une alliance avec Daech terrée dans certaines zones du Moyen-Orient, jusqu’en Afrique, pour reprendre la main sur le terrorisme international.
Pour exemple, sont citées les déclarations réjouies de certains chefs terroristes du Jihadisme dans le Sahel, qui ont souhaité publiquement la bienvenue aux « Talibans », tout en soulignant l’échec des américains et de l’occident à promouvoir la paix et le développement dans le monde. Autant de signaux précurseurs, à prendre au sérieux, selon cette vision, d’un retour possible de la terreur nouvelle version, à partir du territoire afghan. De même, comme rapportées par la presse internationale et les témoignages surplace, des exactions commises par les nouveaux Talibans, ainsi que les exécutions sommaires contre les anciens serviteurs des gouvernements précédents, et les actes hostiles dans les provinces conquises, envers les libertés des femmes viendraient valider cette approche plutôt sinistre de l’avenir immédiat de l’Afghanistan.
Le retour du spectre de la guerre civile
L’Afghanistan n’est pas seulement un pays de tribus mais il est, selon les connaisseurs des réalités de terrain, un pays d’ethnies, de provinces et de traditions culturelles différentes et parfois très divergentes, dont l’unité ne pourrait se faire qu’au prix d’un nouvel équilibre pacifié pour le partage des territoires et des ressources. Le territoire national, qui s’étend sur 652 225 km², avec une population pauvre (500 dollars de PIB par habitant et par an), très montagneux et sans accès à la mer, irriguées en grande partie par les montages enneigées, est néanmoins relativement riche à la fois en ressources agricoles dont la culture du pavot (opium) et en mines encore inexploitées (cuivre, fer, mercure, cobalt, lithium, « terres rares » utiles pour les nouvelles technologies…). Les périodes où un partage pacifique des pouvoirs et des ressources entre les différentes ethnies et groupes politiques ont été rares dans son histoire récente et il faut remonter assez loin à la période monarchique pour en repérer. Depuis, coups d’état, guerres civiles et invasions imprègnent l’histoire récente afghane. La guerre reste très présente dans l’esprit des générations actuelles Afghanes. La guerre continuerait, selon les chercheurs intéressés par l’Afghanistan, à dominer les représentations symboliques et culturelles de la vie quotidienne jusqu’à structurer la conscience collective afghane et fournir à la grammaire et au lexique, les éléments de langage des afghans dans leur vie sociale, au quotidien.
Aussi, déjà lors de la semaine écoulée et dès la prise de pouvoir des nouveaux Talibans, le fils du défunt Commandant Massoud, a-t-il annoncé depuis sa province du Panjshir, au nord-est de Kaboul, avoir pris les armes avec plusieurs anciens membres du gouvernement et de l’armée déchus pour conduire une résistance à « l’Emirat islamique d’Afghanistan » promu par les Talibans. Dans une tribune publiée mercredi par le Washington Post, Ahmad Massoud a fait appel aux américains et aux occidentaux pour demander armes et munitions pour soutenir la résistance et défendre la démocratie. Sera-t-il écouté, rien n’est moins sûr, après la débâcle américaine, sauf nouvelle donne dans le jeu des puissances régionales.
Le jeu des puissances en Afghanistan, un facteur potentiel de déstabilisation majeure
L’Afghanistan de par sa géographie frontalière, intéresse plusieurs grandes puissances et en premier lieu, celles concernées, soit pour des raisons de voisinage proche ou lointain (Russie, Turquie, Iran, Pakistan, Inde) et préoccupées par les troubles susceptibles d’être engendrés par le retour des Talibans au pouvoir (instabilité aux frontières, augmentation du nombre de réfugiés, alliances avec les mouvements dissidents internes à ces pays…). Soit, pour des raisons de stratégies d’influence économique et de contrepoids à l’Occident comme pour la Chine, intéressée autant par les gains économiques, vu la richesse minière du pays, que par les gains politiques qu’elle pourrait retirer d’une éventuelle neutralité des nouveaux « Talibans » envers les Ouïghours, dont ils sont frontaliers et solidaires en tant que musulmans sunnites. Pour l’Iran chiite, qui accueille déjà 3 millions de réfugiés afghans dans ses zones frontalières, le gouvernement iranien serait disposé par pragmatisme à discuter avec le pouvoir sunnite des Talibans.
Le voisin pakistanais et protecteur historique des Talibans, aurait quant à lui tout à gagner du retour des « Talibans » sur lesquels il aurait beaucoup plus d’influence que sur les anciens gouvernements parrainés par les puissances occidentales. Dans ces enjeux de puissances et d’influences, Islamabad, se verrait bien comme une capitale incontournable d’intermédiation. Un rôle qui viendrait également renforcer le Pakistan pour contrer l’influence de l’Inde dans la Région.
Du côté européen, la crainte s’exprime sur d’autres registres. Par exemple en France et en Allemagne, sur l’afflux potentiel de réfugiés qui viendraient grossir les rangs des demandeurs d’asile. Mais aussi du côté sécuritaire, poussant la France et le Royaume-Uni, à une étroite concertation sur ce sujet.
Du côté américain, le Président Biden a déclaré ne pas regretter le retrait de l’Amérique, négocié par l’administration Trump dans le cadre de l’accord de Doha du 20 février 2020 où les « les Talibans » chaperonnés par le Qatar, étaient pleinement impliqués. En échange, ceux-ci auraient assuré à ce moment là, que s’ils arrivaient au pouvoir, ils seraient inclusifs de toutes les composantes afghanes et renonceraient au terrorisme. Aussi, surprenant soit-il, toutes ces puissances, méfiantes et prudentes à l’égard des Talibans, semblent ne pas développer de stratégie claire pour contrer le nouveau pouvoir Taliban. Cependant, les populations auparavant protégées un tant soit peu par ces mêmes puissances étrangères se sont trouvées abandonnées et désemparées.
Des leçons pour l’Afrique à tirer du « scénario afghan », la construction urgente d’une « souveraineté sécuritaire » fondée sur une approche globale du développement
Les images retransmises par tous les médias du monde de populations abandonnées à leur propre sort, courant désespérément derrière les avions afin de fuir le pays, sont celles qui ont le plus choqué en Afrique et dans le monde. Les réactions africaines parvenues des régions en proie à l’insécurité et au terrorisme, comme dans les pays du Sahel où se déploient également des forces internationales montrent la crainte d’un « scénario afghan », en cas de retrait des troupes étrangères de la zone sahélienne.
Aussi, des appels à prendre en main une « sécurité endogène » se multiplient-elles parmi les voix africaines, ainsi que celles de donner la priorité aux projets de développement, à la création d’emplois, à la lutte contre la corruption, le respect des minorités, etc.… qui seraient les clés du succès pour accéder à la paix et la stabilité institutionnelle. Les approches sécuritaires bien que évidemment nécessaires pour éloigner les velléités « quasi mafieuses » de déstabilisation engendrées par la présence des groupes terroristes criminels éparpillés dans la région qui terrorisent les populations locales, ne semblent pas non plus être la panacée. Encore faut-il que les gouvernants africains soient à la hauteur de ces défis et n’attendent pas tout de l’aide internationale, sinon les risques de reproduction du « scénario Afghan », pourrait survenir tôt ou tard.