Crise de la faim à Madagascar: Quand le «kéré» ronge le sud de la Grande Île
Par Ilias Khalafi
Le «kéré» a encore frappé le sud de Madagascar. Après plusieurs mois de sécheresse qui a détruit les récoltes, la crise de la faim hante encore cette année des milliers de familles dans la Grande Île.
Dans plusieurs zones de la partie méridionale de Madagascar, les populations trouvent à peine de quoi se nourrir. La situation est tellement grave que pour survivre, des familles entières sont poussées à manger des feuilles sauvages et des criquets.
Le kéré, un mot du dialecte Antandroy, l’ethnie principale dans cette région, signifie «être affamé». Ainsi, la crise de la faim survient quand les trois régions du Sud, Androy, Ihorombe et Anosy souffrent en même temps du manque d’eau et de nourriture. Ce qui est le cas durant les derniers mois.
Selon les Nations Unies, plus d’un million de personnes se trouvent actuellement en situation d’insécurité alimentaire aiguë dans le sud de Madagascar. Quelque 14.000 personnes ont même été classées officiellement en situation de famine.
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Le Représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) dans le pays, Moumini Ouedraogo, a qualifié de «déchirant» ce qui se passe actuellement dans le sud du pays. «Nous ne pouvons pas tourner le dos à ces enfants dont la vie est en jeu », soutient-il.
Cette crise de la faim est liée à la pire sécheresse qu’a connue la région depuis une quarantaine d’années. Le manque chronique d’eau a fortement affecté les revenus des populations qui reposent essentiellement sur les activités agricoles.
Pour Mahatante Paubert, enseignant chercheur à l’université de Tuléar, située sur la côte sud-ouest de la Grande Ile, la cause principale de l’insécurité alimentaire qui affecte les populations est le manque de précipitations qui se font rares au fil des ans.
La détérioration de l’environnement joue un rôle important dans cette situation alarmante, a-t-il expliqué, notant qu’à cause de la déforestation, il y a moins d’évaporation, peu de formations de nuages et donc moins de pluies.
Un autre facteur essentiel réside dans la dimension démographique, car dans les régions agricoles du sud, les familles sont nombreuses, a-t-il soutenu. D’après l’Institut national malgache de la statistique, les ménages dans le sud du pays comptent en moyenne six membres.
Ainsi, l’aridité continue d’empirer d’année en année, attisée par l’alizé du sud, un vent chaud qui assèche tout sur son passage. Comme il n’y a plus de forêt pour protéger les cultures, le vent érode les champs et amène de la poussière, limitant du coup les activités humaines et la photosynthèse des plantes.
Ce qui rend la situation encore plus critique au sud du pays, c’est que la région est en proie à une insécurité croissante. Le banditisme et le vol de bétail fait ainsi des ravages parmi les populations locales, les obligeant à se déplacer vers des régions encore plus sûres.
Dans ce contexte, les enfants restent indéniablement la catégorie la plus fragile. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et le Programme alimentaire mondial ont ainsi tiré la sonnette d’alarme sur l’aggravation de la malnutrition des enfants au sud de la Grande île.
« Au moins un demi-million d’enfants de moins de cinq ans risquent de souffrir de malnutrition aiguë, dont 110.000 sous une forme grave, dans le sud de Madagascar, subissant des dommages irréversibles à leur croissance et à leur développement », ont indiqué les deux organismes onusiens.
Ils ont, par ailleurs, appelé à redoubler d’efforts pour freiner cette augmentation catastrophique de la faim, en mobilisant les ressources financières nécessaires à sécuriser une aide humanitaire suffisante pour la population en détresse.
Toutefois, des observateurs soulignent qu’il faut changer cette approche qui consiste à fournir à la hâte des aides humanitaires à chaque fois que la crise de la faim fait rage dans la région. Selon eux, le problème de la sécheresse et ses conséquences dramatiques qui affligent en particulier les populations défavorisées, doivent être traités à la racine.
Le gouvernement malgache est bien conscient de ce fait. Le Premier ministre, Christian Ntsay, a affirmé récemment qu’il ne faut pas se contenter des anciennes pratiques qui se limitent à des actions à court terme. «Nous devons penser au long-terme pour promouvoir le développement dans le Sud de Madagascar», a-t-il soutenu.
En effet, quoique l’aide humanitaire reste une démarche essentielle pour atténuer les souffrances des populations sinistrées, elle ne peut être que ponctuelle. La solution durable est de rendre les populations autonomes et résilientes à travers la mise en place de projets de développement qui valorisent les ressources locales.
( Avec MAP )