Bouteflika-décès-Sahara : Un témoin s’en va
Par Taieb Dekkar*
Avec le décès de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, Allah Irahmou, un témoin de taille, qui avait paraphé l’ensemble des accords frontaliers et de coopération entre les deux pays, s’en va.
Pendant quatre mandats à la tête de l’Etat algérien (1999-2019), l’ancien président, qui ne manquait pourtant aucune occasion, en tant que simple citoyen, avant de rallier le Palais El Mauradia, pour se joindre aux festivités de la fête du trône, à l’ambassade du Maroc à Alger, avait pris fait et cause pour la thèse de la junte algérienne sur le dossier du Sahara.
Le défunt n’avait pas caché dans des confidences à une journaliste libanaise qu’il n’avait pas d’autre choix que de se plier aux thèses de l’armée, faute de quoi, il serait exécuté comme Boudiaf.
Une seule déclaration de sa part aurait suffi pour clore ce dossier, crée de toutes pièces par l’ancien dictateur Boumediene. Natif d’Oujda, Bouteflika avait participé à toute une série de négociations entre les deux pays sur les frontières, la coopération bilatérale et la question du Sahara, dont les ultimes négociations de l’été 1975 à Rabat, avant la saisine de la Cour internationale de justice par le Royaume.
A cette date, Bouteflika avait conclu un compromis avec le Royaume du Maroc, au terme duquel Rabat accélérerait la ratification du traité sur les frontières, et l’Algérie soutiendrait les revendications marocaines au Sahara. Un communiqué officiel a été diffusé à ce sujet, qui fut d’ailleurs repris à la Une par le journal algérien El Moudjahid. Rentré de Rabat, Bouteflika repart immédiatement à New York pour l’assemblée générale des Nations unies, où il serrait resté plusieurs semaines, le dictateur ayant entre temps, fait des choix opposés, ceux de contrecarrer les revendications marocaines, par tous les moyens.
En 2005, alors qu’il amorçait son deuxième mandat, Bouteflika, qui avait assisté aux funérailles de Feu SM le Roi Hassan II, quelques mois seulement après son investiture, affichait beaucoup d’enthousiasme en direction de notre pays, dans des messages élogieux à l’égard du trône alaouite. Sa présence aux funérailles fournissait aux marocains un très bon signe sur l’avenir des relations entre les deux pays, tant Boutefika, l’homme, échangeait des accolades avec des membres de la Cour Royale.
Rapidement, la junte militaire algérienne imagina un scénario lugubre pour dissuader Bouteflika d’aller plus loin dans son ouverture sur le Royaume. Elle saisit alors une visite officielle qu’il effectua dans le sud ouest algérien pour fomenter un attentat terroriste, qui a fait plusieurs pertes humaines, et accuser le Royaume d’en accueillir les auteurs, repliés sur son territoire. A chaud, Boutelika s’en prend au Royaume gratuitement, parce que le chef d’Etat-major de l’armée, Lammari, quelques mois plus tard, affirma que l’Algérie n’avait pas de preuves sur le repli en territoire marocain des terroristes.
Bouteflika a saisi le massage cinq sur cinq et se rappelle que Boudiaf avait payé un prix fort, parce que accusé de collusion avec le Royaume.
En marge du sommet arabe d’Alger en 2005, SM le Roi Mohammed VI avait tenté, encore une fois, un rapprochement avec Bouteflika, l’entrevue en tête-à-tête ayant duré deux heures. La propagande s’est tue momentanément entre les deux pays, puis Bouteflika rompt la trêve en envoyant un message à Mohamed Abdelaziz, dans lequel il lui renouvelle son engagement à ne pas renoncer à plaider la cause sahraouie, quelques semaines avant le sommet maghrébin, qui devait se tenir à Tripoli. Le Maroc publie alors un communiqué dans lequel il rend compte des conclusions du tête-à-tête convenues entre les deux parties : les deux pays stoppent les campagnes médiatiques et s’en remettent aux Nations unies sur la question du Sahara. Aucune réaction à Alger à ce communiqué du ministère des affaires étrangères. Alger ne dément pas.
L’arrangement convenu ne faisait pas l’affaire de la junte dont la survivance est tributaire de la propagande des médias algériens. Le silence des médias algériens sur ce dossier priverait la junte et la diplomatie de leur raison d’être. Un nouvel épisode de rupture de fait. Bouteflika qui craignait pour sa vie, et refusait de servir de «trois quarts de président», se serait fait avoir par la junte, à cause de sa maladie. Lors de ses campagnes électorales, on le déclarait natif de Maghnia. A son décès, on a prétendu qu’il serait natif d’Oran. Même mort, il n’a pas eu droit à un lieu de naissance authentique. Quelle audace !
*journaliste et écrivain