Covid-19, préparons nous à « vivre avec »
Par Taoufiq Boudchiche, Economiste
Fin de la perspective du « zéro covid », l’horizon d’une éradication du virus s’éloigne de jour en jour
L’ère post-covid prend une nouvelle tournure. L’humanité doit se préparer aux stratégies locales du « vivre avec ». Une fois de plus, les enseignements sur les stratégies de lutte contre le virus nous viennent d’Asie où la lutte contre le virus prend de nouvelles formes. Dans ce continent qui est réputé pour ses cultures empreintes d’un réalisme pragmatique, on constate que certains pays ont d’ores et déjà décrété publiquement en matière sanitaire la stratégie du « vivre avec ».
Un pays comme la Corée du Sud a acté publiquement auprès de ses populations l’échec de la stratégie du « Zéro Covid ». Il a décrété à cet effet un certain nombre de mesures pour faire accepter socialement la stratégie du « vivre avec ». Economiquement et socialement, les coréens s’y préparent. De même, en Chine, championne auparavant de la stratégie du « zéro covid », revient en arrière. On note des « reconfinements », dans telle ou telle zone de Chine, au gré des reprises d’épidémie. Le président chinois a même prétexté la lutte contre l’épidémie pour justifier son absence du G 20 et de la COP 26.
Il en est de même en Russie où l’épidémie poursuit sa courbe « meutrière » en grande partie chez les non vaccinés. L’Europe, quant à elle, surveille avec une grande vigilance, les signes précurseurs d’une cinquième vague qui se rapproche avec la saison hivernale. En France, le taux d’incidence de l’épidémie est redevenu préoccupant, dans plusieurs régions où il repart à la hausse enregistrant des niveaux supérieurs au taux d’alerte fixé à 50 pour 100.000 habitants. Il convient de souligner que plus de 30 % des citoyens de l’Union Européenne considérée dans son ensemble seraient encore non vaccinées.
En Afrique, le Maroc a déjà pris des mesures dans ce sens. Il ferme ses frontières avec les pays comme l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Pays Bas de crainte d’une importation du virus au regard de la hausse inquiétante de l’épidémie dans ces pays. Par ailleurs, les citoyens sont invités avec insistance à une troisième dose de vaccin, car il est confirmé que l’immunité vaccinale baisse considérablement au terme de 6 mois après un schéma vaccinal complet.
Aussi, force est-il, de constater hélas, que le bilan des campagnes vaccinales bien que réussies dans nombre de ces pays ne parvient qu’à limiter l’impact sanitaire de l’épidémie mais pas à l’éradiquer. Il s’agit tout de même d’un résultat sanitaire très positif par la réduction drastique du taux de contamination et des formes graves de la maladie et de la mortalité.
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La stratégie du « vivre avec », l’option la plus réaliste, poursuivre la vaccination pour ne pas risquer la mort à chaque contamination
L’espoir que la vaccination massive des populations puisse permettre le retour à la vie normale comme avant l’apparition du virus s’amenuise de jour en jour. Les pays qui ont atteint un taux de vaccination élevée (70 à 80 %) initialement destiné à atteindre une immunité collective ne sont pas non plus épargnés par la reprise épidémique en envisageant la quatrième et la cinquième dose. Cette situation est aggravée par les nombreuses théories « complotistes » qui défient la vaccination et se nourrissent sur les réseaux sociaux et dans certains médias des incertitudes scientifiques et des angoisses sociales face aux stratégies vaccinales.
Le curseur des autorités sanitaires dans les pays à fort taux de vaccination, est désormais centré sur le nombre de personnes non vaccinées, ainsi que sur le nombre de cas graves et d’hospitalisations pour juger de l’ampleur de l’épidémie. L’attention est moins portée sur le nombre de contaminations en valeur absolue qui continue de croître, vaccins ou pas, mais relativement de manière bien moins intense dans les milieux à fort taux de vaccination.
L’efficacité du vaccin étant la seule solution pour limiter aussi bien la croissance exponentielle des contaminations que celle des cas graves, il y aurait donc un enjeu vital à poursuivre la vaccination si l’on veut continuer à « vivre avec » sans risquer la mort à chaque contamination. C’est la seule « bouée de secours » individuelle et collective même si elle n’est ni totalement efficace dans la durée, ni sans risque. Mais sans commune mesure en termes de danger si un vaccin et sa disponibilité n’avaient existé. L’hécatombe aurait été d’une ampleur planétaire (les simulations indiquaient plus 15 millions de morts par an au lieu des 5 millions de décès comptabilisés actuellement).
L’impact social et économique du « vivre avec », les arbitrages à opérer dans la décision publique
Sur le plan social, la lutte contre le relâchement en matière de gestes barrières va se poursuivre encore pour longtemps. Il est de même des restrictions sur la mobilité sociale, les déplacements internationaux et les regroupements humains à petite et grande échelle.
Néanmoins, sur le plan économique l’arbitrage entre reprise économique et reprise épidermique va constituer un nouveau paradigme à résoudre pour la décision publique. La stratégie du « vivre avec » telle qu’observée en Corée est de faire accepter aux populations la circulation du virus tout en renouant avec la reprise de l’activité économique et sociale. Les établissements publics sont autorisés à reprendre du service mais sous contraintes. Le prix à payer est l’acceptabilité sociale d’une hausse inévitable des infections. Les autorités coréennes ont préparé les populations à cette « équation » pour éviter à rendre compte politiquement d’une aggravation de la situation sanitaire.
Au Maroc, où la gestion de l’épidémie est relativement exemplaire, les autorités en incitant à la troisième dose, mais aussi en faveur de mesures de précaution pragmatiques comme la fermeture des frontières là où le risque d’importation du virus semble le plus élevé, comme avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas, pour le moment, indiquent que nous cheminons vers une telle stratégie du « « vivre avec ».
Objectif primordial, éviter de nouveaux confinements et poursuivre la vaccination à l’échelle universelle
Partout dans la planète, la gestion politique de l’épidémie est de plus en plus pragmatiquement corrélée à l’arbitrage entre mesures de reprise économique et de limitation acceptable de l’épidémie. L’objectif étant surtout d’éviter les mesures radicales insupportables telles que le confinement. Des mesures qui seraient insupportables pour l’économie mais aussi au plan social et psychologique pour le moral des populations. Par exemple, l’interdiction de la grande messe internationale sur le tourisme à Marrakech prévue fin octobre a été très mal vécue par les professionnels.
Le comité d’urgence de l’OMS tenu le vendredi 22 octobre 2021, a souligné que, si des progrès ont été réalisés grâce à l’utilisation accrue de vaccins et de traitements contre la COVID-19, l’analyse de la situation actuelle et les modèles de prévision indiquent que la fin de la pandémie est encore loin.
Par ailleurs, de manière plus globale, les inégalités d’accès au vaccin rendent la visibilité très complexe sur un retour à la normalité désormais toute relative. Selon, l’OMS, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence la dure réalité des inégalités importantes et croissantes dans le monde en matière d’accès aux soins et aux produits de santé : pour 100 personnes dans les pays à revenu élevé, 133 doses du vaccin contre la COVID-19 ont été administrées, contre 4 doses seulement pour 100 personnes dans les pays à faible revenu.
L’éradication du virus semble un horizon qui s’éloigne de plus en plus. Préparons nous « à vivre avec ».