Suppression du pass vaccinal pour les déplacements intervilles : victoire d’un camp contre un autre ?
Très attendu, l’assouplissement entré en vigueur, hier mercredi, d’un ensemble de mesures restrictives, dont la levée du couvre-feu nocturne, a suscité un sentiment de soulagement parmi un grand nombre de Marocains. Plus que soulagés, certains militants anti-pass ont crié victoire après la suppression du pass-vaccinal pour les déplacements inter-villes, autre mesure d’allègement phare du gouvernement.
S’agit-il d’une victoire d’un camp contre un autre ? Contactés à brûle-pourpoint par nos soins, le professeur d’épidémiologie et spécialiste des maladies infectieuses Jaâfar Heikel, signataire de la pétition « Non au +pass vaccinal+ au Maroc sans débat national », et Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en systèmes et politiques de santé qui s’est fait le chantre de la vaccination et de l’instauration du pass vaccinal, ont fait le point sur cette confrontation.
« Ni victoire, ni défaite »
Pour M. Heikel, « il n’y a ni victoire, ni défaite. Ni camp gagnant, ni camp perdant. Il y a simplement le bon compromis, l’intelligence sociale, la raison qui doit primer et surtout les arguments scientifiques et épidémiologiques ».
Pour lui, l’allègement des mesures restrictives, en particulier les déplacements inter-villes, est une mesure logique et sensée au vu des données épidémiologiques.
« C’est quelque chose que nous demandons depuis plusieurs semaines déjà. Le nombre de cas incidents, le taux de positivité des tests, le nombre de cas sous surveillance médicale, le taux d’occupation des lits de réanimation qui est à moins de 3%, la positivité à 1,3%, etc. Tout cela montre bien que la situation épidémiologique ne nécessite pas d’imposer un certain nombre de mesures restrictives », a-t-il argué.
Il faut bien entendu maintenir des mesures barrières qui sont protectrices et se faire vacciner pour les personnes qui sont vulnérables, âgées ou porteuses d’une maladie chronique, a poursuivi M. Heikel.
Estimant que l’immunité collective ne peut pas être atteinte à 100%, l’ancien doyen de la faculté des sciences de la santé a préconisé de se rapprocher de ce qu’il a appelé « la protection communautaire » pour que le virus circule beaucoup moins.
Heikel s’est par ailleurs opposé à l’instauration par le gouvernement du pass vaccinal « avec une mise en œuvre en deux à trois jours ». Cette décision n’avait pas selon lui de logique épidémiologique ou de santé publique.
« Peut-être une autre logique que nous ne connaissons pas mais que nous respectons », a-t-il dit, relevant que cela s’est traduit par « un sentiment d’incompréhension et, voire même, de manque de logique ».
« Nous sommes en guerre »
Tayeb Hamdi pense, quant à lui, qu’il n’est pas en posture d’interpréter s’il s’agit d’une victoire d’un camp contre un autre. « J’estime que nous sommes tous en guerre contre un virus qui n’a cessé de tuer nos concitoyens et de nous empoisonner la vie », a-t-il affirmé.
La suppression du pass vaccinal entre les villes est, d’après lui, une logique de la riposte antiépidémique.
« Quand on a une situation compliquée, on ferme pour freiner la circulation du virus. Dans le cas contraire, on assouplit et on allège », a expliqué M. Hamdi, également vice-président de la Fédération nationale de la santé.
Il a de surcroît relevé que le pass vaccinal est instauré « pour libérer les gens et permettre un retour à la vie normale » car, ajoute-t-il, « on n’a pas besoin d’un pass vaccinal si l’on maintient les mesures restrictives ».
La suppression du pass, elle, s’explique par la faible circulation du virus entre toutes les régions du Royaume et par le fait qu’il n’y a pas de différence entre une province et une autre sur le plan épidémiologique.
« Il faut qu’on sorte tous vainqueurs. Moi je ne vois rien de réjouissant quand une partie de la population marocaine aussi minime soit-elle est non-vaccinée et non-protégée », a-t-il martelé.
Un pass sanitaire en lieu et place du pass vaccinal
Le professeur Jaâfar Heikel a, à cet effet, plaidé pour le remplacement du pass vaccinal par un pass sanitaire progressif et avec une explication pédagogique et une sensibilisation, « mais surtout pas un pass vaccinal, d’autant plus qu’il ne permet pas aux gens non-vaccinés d’accéder aux besoins de base ».
Il a fait remarquer, dans ce sens, qu’une semaine après l’obligation du pass vaccinal, le nombre de vaccinés a augmenté de façon « vertigineuse » mais un effet boomerang est survenu juste après, et s’est traduit depuis dix jours par une baisse importante de la vaccination. « Ce n’était pas l’objectif escompté », a-t-il constaté.
Et de conclure que « la sagesse veut qu’on ne maintienne pas une décision impopulaire. On essaye de l’expliquer et de convaincre plutôt que de contraindre ».