Guerre espérée, guerre impossible !
Kamal F. Sadni
(Gėopoliticien)
Les déclarations de guerre, sous diverses formes, fusent dans l’arène africaine. Bruits de bottes et prolifération de coups d’Etat. Ces mouvements sont accompagnés de tirades qui font sourire et offrent un spectacle qui ne fait plus peur. Certains pays portent la même écharpe pour broyer le noir et crier au scandale. D’autres, plus mouillés dans la chair de poule, que ne l’auraient pensé les chats de gouttière, jouent à la victime alors qu’ils sont les instigateurs d’agressions épistolaires.
Cette deuxième catégorie de pays est très friande des fanfaronnades et prend ses rêves pour la réalité. Car les acteurs perçoivent la puissance à reculons. Ils ne comprennent que dalle aux changements qui s’opèrent sur le terrain de la géopolitique et des arrangements géostratégiques. De quoi il s’agit ?
D’aucuns se focalisent sur la course aux armements pour jauger le rapport de force entre acteurs en conflits endémiques. Ils se projettent dans la configuration de la guerre conventionnelle type classique. Ils confortent leurs analyses, en examinant le comportement de ces acteurs par rapports aux acteurs majeurs régulateurs de la sécurité dans les différentes zones problèmes ou par rapport aux acteurs intermédiaires qui jouent le rôle de sous-traitants géopolitiques à la carte.
À première vue, tout cela serait accepté comme plausible. Cependant là où les analyses pèchent par excès d’optimisme, c’est quand ils surestiment le rôle des acteurs régionaux en conflit qui se projettent dans une configuration géopolitique, dont ils ne maitrisent pas la dynamique ou ils en ignorent le dessous des cartes.
Ces acteurs ont deux options : soit ils jouent sur la lassitude des acteurs majeurs qui leur auraient délégué le pouvoir temporaire de sévir, soit ils pratiquent l’amnésie politique en optant pour la fuite en avant. Des pays de la sous-région maghrébine font partie de cette catégorie d’acteurs et à leur tête l’Algérie.
Les déterminants de la puissance ne sont pas seulement militaires
Depuis des mois, il ne se passe pas un jour sans que l’Algérie monte au créneau pour menacer de déclencher une guerre sans merci contre le Maroc. Certains décideurs ne se couvrent pas le visage en pronostiquant une victoire certaine sur un voisin qu’ils considèrent comme ‘une pâte à modeler’ ou, à la limite, ‘un pantin facile’ à manipuler. Ils font leur une perception immuable de la puissance basée sur le déterminant militaire. Une perception qui reste figée et fidèle à la littérature des années 1970-1980 et à la configuration géostratégique bercée dans le langage du conflit Est-Ouest.
Or, la littérature sur la géopolitique regorge de paradigmes qui démontrent que les déterminants de la puissance réelle ne se conjuguent plus au temps de la puissance militaire. La défense des intérêts vitaux des acteurs ne se fait plus par l’accumulation des instruments de la terreur.
Si la dissuasion est l’objectif essentiel de l’armement ou du surarmement, elle ne se justifie sur le terrain que par l’auxiliaire persuasion, en l’occurrence, la diplomatie. En ce sens que la finalité de tout marchandage de l’acteur qui brandit la menace du recours à la confrontation militaire, est de ramener l’adversaire à une meilleure disposition soit, en termes de coûts et de gains politiques, soit par le biais d’un arrangement gagnant-gagnant.
Cette configuration est justifiée à condition d’être en présence d’acteurs à égalité de puissance qui fait qu’en cas d’une confrontation militaire directe, il n’y aura ni vainqueur, ni vaincu. Pire ! Les dommages collatéraux seront à la fois verticaux et horizontaux et entraineront l’implication des acteurs de l’indifférence-neutralité calculée.
Une nuance cependant, l’acteur qui aura été motivé par des arguments de nature existentielle aura le dernier mot, car les causes justes reposent sur un déterminant de taille : la sécurité psychologique. Certes, la sécurité dans son acception globale comporte une dimension militaire, mais elle comporte aussi une dimension interne, externe, culturelle, géographique et surtout psychologique.
La dimension psychologique est de loin la plus importante, en ce sens qu’elle est associée à l’adhésion populaire (en tout cas de la majorité des citoyens). Elle est, en conséquence, un baromètre essentiel pour l’appréciation de la légitimité du pouvoir politique.
Il fut un temps où les gens n’avaient pas droit au chapitre dans la prise de décision en matière de sécurité liée aux dangers extérieurs et aux menaces à la stabilité et à l’ordre social internes. Il eut des exactions et des lectures ratées de la géopolitique à cause, justement, de l’empreinte de l’acteur de la décision selon qu’il fût acteur unique ou acteur oligarchique.
Si bien que la littérature en matière d’études stratégiques et de sécurité réserve une place importante à ce que certains théoriciens appellent ‘la doctrine militaire et sécuritaire des acteurs étatiques’. Ces théoriciens observent la corrélation entre les déterminants idiosyncrasiques et le contenu-impact de la décision prise. Cela supposerait que le système de prise de décision est très bien organisé, que la hiérarchie des acteurs est respectée et que la cohérence est le maître-mot. Cette façon de percevoir se conçoit dans des systèmes -dits démocratiques- dans lesquels la décision se rapportant à la sécurité nationale est prise de façon collégiale.
Des pays qui se vantent d’avoir un Conseil de sécurité nationale donnent l’impression que la consultation pré-décision et post-décision est un choix rationnel ultime –et donc incontournable. Ceci avec une autre nuance : la correction des lacunes inhérentes au processus dans son ensemble est acceptée et outillée sans faire des émules car coulant de source.
Peut-on parler des mêmes caractéristiques dans le cas des pays -dits en développement- qui disposent, à leur tour, de Conseil de sécurité nationale ? Rien n’est moins sûr. Et cela pour plusieurs raisons.
Premièrement, la composition du Conseil sur le papier est certes connue, mais on ne sait pas si tous les membres siègent réellement ou pas et s’ils sont sollicités à tous les coups ?
Deuxièmement, la périodicité des réunions est dans le secret de l’Olympe. Tant que tout baigne dans l’huile, les inquiétudes sont en hibernation contrôlée.
Troisièmement, le poids des membres, au-delà des dispositions juridiques qui encadrent le Conseil, n’est pas transparent. Quels sont ceux d’entre les membres qui ont le plus d’impact par rapport aux autres et pourquoi ?
Quatrièmement, le Conseil de sécurité nationale est sous les feux de la rampe à l’occasion de tensions graves frôlant la confrontation militaire interétatique ou de l’agression perpétrée par des groupes terroristes, des groupes armés non étatiques ou des mercenaires.
Cinquièmement, l’urgence de la réunion du Conseil se sécurité nationale peut être dictée par le fait que ces groupes sont inféodés à des Etats qui les ont créés ou sponsorisés dans le cadre de la lutte pour l’ascendance géopolitique régionale ou globale.
Entretien de l’instabilité : le cours à court
Ces observations étant avancées, quelles sont les retombées physiques, directes ou indirectes sur la stabilité de l’Etat ou les Etats cibles ? Tout dépend de la raison pour laquelle les groupes ont été créés, de l’espace géographique, de l’aire culturelle où ils sont entretenus et de leur certificat de vie ? A cet égard, une distinction devrait être faite entre les groupes en question.
Premièrement, il y a des groupes qui se manifestent à l’intérieur d’un espace étatique déterminé, qui n’est pas totalement contrôlé par le pouvoir politique en place. Il s’agit là de forces d’opposition politique avec des bras militaires intranationaux. Ces groupes peuvent avoir des alliances extérieures dont l’agenda coïncide momentanément avec celui de l’opposition armée.
Deuxièmement, il peut s’agir de groupes armés créés par un pays de la région pour les besoins de l’ascendance géopolitique résultant de rapports de force excluant la neutralisation mutuelle.
Troisièmement, il peut s’agir de bras armés de pays qui cultivent des ambitions hégémoniques indéniables et soudoient des acteurs d’opposition dans des pays voisins, en faisant jouer des alliances transnationales à dominante culturelle et cultuelle.
Les différentes catégories de groupes énumérés interpellent les sirènes de propagande véhiculaire de discours de haine et de déstabilisation tous azimuts dans des sous-régions dans lesquels l’équilibre de puissance est fragile. C’est le cas d’évoquer plusieurs cas de figure dans des espaces géopolitiques interdépendants.
Le Moyen Orient tout d’abord. Dans cet espace émergent cinq exemples que représentent l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen.
1- L’Iran, dont le système des gardiens de la révolution islamique constitue un Etat dans l’Etat dans lequel l’autorité politique civile n’est qu’une façade.
2-L’Irak, dont la superposition de plusieurs structures politico-idéologiques mine la viabilité de l’Etat post-parti unique ; ce qui permet à l’Iran de faire main basse sur le pays, notamment grâce au Hachd al-Chaabi pro-iranien.
3- La Syrie, dont la guerre civile et l’intervention des pays voisins l’a offert sur un plateau d’or aux intérêts étrangers notamment russes, turcs et iraniens.
4- Le Liban, dont l’entente politico- interconfessionnelle a volé en éclat en raison de l’intervention étrangère et l’existence de milices (Hizbollah, Amal et forces des milices libanaises etc.) qui évoluent en toute indépendance par rapport à l’Etat central.
5-Le Yémen, dont la position stratégique et l’héritage culturel et historique font courir des intérêts diffus conduisant à la confrontation de forces (Houtis pro-iraniens et groupes aux allégeances inconciliables) qui entretiennent des alliances transnationales obscures.
L’espace sahélo-saharien, ensuite, est une nouveauté en matière d’enchevêtrement entre des intérêts étatiques et des intérêts de groupes non étatiques aspirant au pouvoir politique.
Les deux s’observent tant que la suspicion est de rigueur. Ils coopèrent tant que les intérêts convergent à un stade particulier de lutte impliquant d’autres acteurs étatiques et non étatiques. Cependant, là aussi, il y a matière à broder quand les groupes non étatiques sont créés par des Etats dans une configuration géopolitique dans laquelle le jeu est serré.
Une situation qui pose le dilemme de la classification de ces mouvements dans la catégorie de mouvements terroristes. Boco Haram, le Front de libération du Macina, le Groupe pour le soutien à l’Islam et aux Musulmans, Ansar-oul-Islam, l’Etat islamique dans le grand Sahara, Ansar Dine et le mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest, entre autres, confondent entre lutte armée, djihad et mercenariat.
L’Afrique du Nord, enfin, à travers d’une part, le cas de la Libye qui est devenue un terrain de confrontation idéologique à connotation mercantile. Cette confrontation est savamment exploitée par des intérêts étatiques et non étatiques étrangers (anciennes puissances coloniales et groupes privés).
La difficulté de parvenir à une solution politique dans le cadre de la réconciliation nationale est la conséquence de la multiplicité d’allégeances manifestées par les acteurs libyens en conflit.
D’autre part, à travers le cas des Provinces du Sud où l’hostilité-animosité de certains pays de la région, dont notamment l’Algérie, permet la persistance de l’instabilité et les menaces d’une guerre généralisée.
Le soutien de ce pays à un mouvement, créé en pleine turbulence de la guerre froide et dans la foulée de tentations hégémoniques au milieu des années 1970, est une source de préoccupation.
La rente révolutionnaire ne construit pas un Etat
L’entêtement des décideurs algériens à perpétuer les conditions de l’instabilité régionale par le soutien financier, logistique, militaire et diplomatique à une structure qui a fait long feu est une énigme pour les amateurs de la realpolitik.
De même que les hésitations (ou complicités) de certains pays (et organisations internationales) à ne pas intégrer les agissements de ce mouvement dans le cadre de ceux appliqués aux mouvements terroristes sont plus que suspectes.
Il est vrai que les pays et les organisations internationales concernés cherchent à ménager l’Algérie, dont l’institution militaire au pouvoir sombre dans le déni (et le refus) de lâcher du lest pour une transition politique qui fera, sans doute, beaucoup de bien au pays et à ses voisins.
L’institution militaire algérienne reste clouée à l’idée qu’elle pourra gagner la guerre contre le Maroc par l’entretien d’un mouvement qui a fait son temps et dont le désarroi le confirmera, cette fois- au grand jour, dans l’option de mouvement terroriste au même titre que d’autres mouvements maintenant avérés à la solde d’un Etat aux aspirations hégémoniques indéniables.
L’existence de ce mouvement est organiquement liée à une doctrine militaire algérienne qui n’a pas évolué depuis l’indépendance du pays. Cette doctrine repose sur l’entretien du double-jeu et la pratique de la terre brûlée par le biais d’agents interposés.
Or, les analystes et observateurs avertis sont d’avis que la géopolitique dans les zones de confrontation secondaire a drastiquement changé depuis le début du nouveau Millénaire. Outre le Soft Power multidimensionnel dans lequel la confrontation militaire classique n’est plus le premier choix, il y a aussi le fait que les Etats ne peuvent plus gagner la guerre grâce à la guérilla, aux groupes armés non étatiques ou à la sponsorisation déguisée du terrorisme sous toutes ses formes.
Le revers de la médaille pour les Etats (ou les services parallèles au sein de ces Etats) qui manipulent la guérilla ou les groupes armés non étatiques, c’est que l’instrumentalisation de ces groupes est une arme à double tranchant. Avec le temps, ils deviennent plus autonomes et, en cas de tentative de résolution d’une guerre civile ou d’un litige entre Etats voisins, ils demandent une bonne partie des dividendes. Le drame, c’est que ces groupes ne savent pas quoi faire sans la guerre, alors, ils se transforment en anti-pouvoir intranational.
Est-ce que par la guerre les acteurs politiques ou culturels peuvent se forger une identité, confectionner une histoire et l’imposer ici et maintenant ? Cette question est légitime au regard de l’obsession de certains Etats issus de la colonisation européenne à accréditer l’idée d’une existence étatique pré-colonisation.
Cette obsession-hantise est ridicule dans la mesure où l’existence de ces acteurs sous forme étatique est une réalité dont ils doivent être fiers quelle que puisse être la voie qui a conduit à la libération-indépendance.
L’explication est à rechercher ailleurs : dans une autre forme d’obsession, celle de légitimer la propension hégémonique dans les espaces géopolitiques auxquels ces acteurs appartiennent.
Le hic, c’est que ces acteurs s’y forcent, en essayant de discréditer les autres acteurs dont l’existence étatique est attestée par l’histoire, les archives diplomatiques et les rapports de l’ethnologie militaire coloniale.
Le débat existentiel auquel ces acteurs se livrent est une quête de légitimité intranationale difficile à accréditer par le bluff idéologique et les fanfaronnades militaristes. On ne fait plus la guerre comme au temps des sautes d’humeur interpersonnelles. La mentalité de la guérilla, de la rente révolutionnaire ou la conclusion d’alliance de fortune ne peuvent pas construire un Etat, s’inventer une nation ou se fabriquer une histoire.
Un Etat vrai, une nation sereine et une histoire plausible, se vérifient dans le travail quotidien des décideurs à répondre, ici et maintenant, aux aspirations de leurs peuples et accepter, en toute responsabilité, de tourner la page des animosités légendaires nourricières de différentes manifestations de dissonance et de schizophrénie.