Maroc, Algérie, Sahara marocain, Europe.. Bernard Lugan dit tout à MAROC DIPLOMATIQUE
Des « messieurs Afrique » en France, on en a toujours compté ! On note notamment Jacques Foccart, homme de l’ombre du général de Gaulle, suivi de François de Grossouvre, éminence grise de François Mitterand. Aujourd’hui, l’on peut dire que le monde de la géopolitique, pas très loin d’ailleurs de celui de la politique, a réservé sa chaire « Afrique » à un historien français que l’on ne présente presque plus : Bernard Lugan. Natif de la ville marocaine de Meknès, cet africaniste (le mot est pesé et soupesé) a sillonné l’Afrique entière et publié un barda d’ouvrages historiques et ethnographiques sur le contient, ses cultures, ses doxas, ses complexités et ses particularités. Bernard Lugan, directeur par-dessus le marché de la revue L’Afrique réelle, a répondu aux questions de MAROC DIPLOMATIQUE concernant le Sahara marocain, le Maroc et ses rapports actuels avec l’Algérie, et l’Europe.. ! Entretien.
1) Dans ses rapports actuels avec l’Europe, le Maroc est on ne peut plus clair réaliste en termes politiques et diplomatiques. Certains pays européens sont alors mis à mal dès qu’il s’agit pour le Royaume de défendre ardemment ses intérêts suprêmes. Comment vous réagissez à cela ?
Le problème est que ces pays ne connaissant pas l’histoire du Maroc et plus généralement celle de toute la région. De ce fait, au lieu de penser en ayant à l’esprit les constantes historiques et géographiques régionales, ils plaquent sur une situation qu’ils ne connaissent pas, des réflexes de pensée qui sont attachés à leur propre idéologie ou à leurs propres références. De plus, ne perdons pas de vue que les ennemis du Maroc font un puissant lobbying auprès de toutes les instances internationales, notamment auprès des institutions européennes. Enfin, notamment en France, les réseaux algériens sont très implantés depuis la période de la guerre d’indépendance, la gauche française ayant un fort tropisme algérien. Quant à l’Espagne, il est clair que ses relations avec le Maroc sont à la fois proches, complexes et ambigües.
2) Depuis la reconnaissance par les USA de la marocanité du Sahara, l’Algérie s’est remontée à coups de provocations et de menaces contre le Maroc. Peut-on dire que c’est seulement une manière pour le régime algérien de détourner l’attention de son peuple des problèmes internes, notamment économiques et de légitimité ?
Nous sommes à la fois en présence d’une politique de fuite en avant et d’un contentieux d’ordre psychologique avec le Maroc.
Economiquement, socialement et politiquement l’Algérie est au bord du gouffre. Le pays ne produisant pas de quoi nourrir, habiller, soigner et équiper ses 44 millions d’habitants, il doit donc tout acheter à l’étranger, ce qu’il fait grâce à la rente des hydrocarbures. Or, les variations des cours de la dernière décennie ont fait que les recettes ayant baissé l’Etat algérien s’est vu contraint de puiser dans des réserves de change qui ont fondu comme neige au soleil. Or encore, s’il y avait insolvabilité l’Etat ne serait plus en mesure d’acheter la paix sociale. Or enfin, perfusé de subventions, le socle légitimiste de la population n’a pas rejoint le « hirak » de crainte de perdre les 30% annuels du budget de l’Etat consacrés au soutien à l’habitat, aux familles, aux retraites, à la santé, aux anciens combattants, aux pauvres, aux démunis et à toutes les catégories vulnérables.
Le « Système » algérien est donc pris dans la nasse et voilà pourquoi il a recours à des expédients nationalistes. Très exactement comme en 1963 quand, grâce à la « guerre des sables », il a étouffé la tentative de sécession kabyle qui menaçait l’unité du pays.
Mais il y a également un aspect psychologique qui, selon moi, est essentiel et qui est d’ordre historique. Les dirigeants algériens ne veulent en effet pas reconnaître que la colonisation amputa territorialement le Maroc. Ils refusent d’admettre qu’au moment des indépendances, il fut demandé à ce dernier d’entériner ces amputations en acceptant le rattachement à l’Algérie, Etat qui n’avait jamais existé avant 1962 car il était directement passé de la colonisation turque à la colonisation française, de territoires historiquement et incontestablement marocains comme le Touat, la Saoura, le Tidikelt, le Gourara ainsi que la région de Tindouf. Enfin, pour une Algérie, « enfermée » et même « enclavée » dans la Méditerranée, il est insupportable de devoir constater que le Maroc dispose d’une immense façade maritime océanique partant de Tanger au nord jusqu’à la frontière avec la Mauritanie au sud, ouvrant de ce fait le royaume à la fois sur le « grand large » atlantique et sur l’Afrique de l’Ouest. Voilà pourquoi, au sujet du Sahara, l’Algérie mène une politique relevant de l’obstination.
Mais allons encore plus loin, le « Système » à bout de souffle qui dirige l’Algérie survit également grâce à une rente mémorielle entretenue par une fausse histoire. Comme l’a dit historien algérien Mohamed Harbi : « L’histoire est l’enfer et le paradis des Algériens ». Mohamed Harbi a raison. Cette histoire à laquelle le « Système » algérien s’accroche à travers un nationalisme pointilleux est effectivement un « Enfer » car elle montre que l’Algérie n’a jamais existé. D’où un complexe existentiel par rapport au Maroc millénaire rendant impossible toute analyse rationnelle. Mais cette histoire est également « Paradis », parce que, pour oublier cet « Enfer », les élites dirigeantes algériennes ont fabriqué une fausse histoire valorisante à laquelle elles sont condamnées à faire semblant de croire et qui les pousse dans un maximalisme de plus en plus guerrier…Là est le non-dit d’ordre psychanalytique sur lequel repose toute la diplomatie algérienne et sur lequel ont buté toutes les tentatives d’union du Maghreb.
3) Au début de ce mois, trois camionneurs algériens auraient été tués près de la frontière entre le Maroc et l’Algérie. Le président Tebboune a accusé les Forces Armées Royales (FAR) et promis des « représailles ». Croyez-vous à l’hypothèse d’une guerre ?
Tout peut effectivement arriver car, entre l’Algérie et le Maroc, la crise s’exacerbe chaque jour un peu plus sur fond de course aux armements. Alors que le Maroc se tient sur la réserve, l’Algérie souffle sur le feu. Après avoir unilatéralement rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc, puis après avoir interdit son espace aérien à ses avions civils et mis un terme au projet de gazoduc à destination de l’Espagne transitant par le Maroc, le discours guerrier algérien est encore monté d’un niveau après la destruction de deux camions algériens et la mort de leurs chauffeurs. Depuis, le gouvernement algérien multiplie les prises de parole hostiles abondamment relayées par une presse devenue belliciste. La question est donc de savoir jusqu’où l’Algérie pourra continuer à jouer avec le feu sans embraser le Maghreb. Il faut en effet bien voir comme je l’ai dit en début de cet entretien que le pays est économiquement en faillite et politiquement au bord du précipice avec en plus une jeunesse qui n’a plus qu’un seul espoir, la migration vers l’Europe…Quant à l’armée dont 30 généraux sont ou ont été emprisonnés, elle est divisée en clans qui se haïssent. Le « Système » est donc aux abois et c’est pour retarder l’inévitable implosion qu’il s’est engagé dans une fuite en avant nationaliste qui lui sert de stratégie de survie. Il ne reste donc plus qu’à espérer que tout cela ne débouchera pas sur un conflit.
4) Selon vous, qu’attend la France pour reconnaître explicitement la marocanité du Sahara à l’image des Etats-Unis ? Ou, si l’on reformule : qu’est ce qui empêche la France de le faire et de l’annoncer officiellement ?
Ce qui empêche la France de le faire ? La réponse est claire : les groupes de pression algériens en France, la gauche française, les voix des électeurs binationaux ou d’origine algérienne… et le complexe des dirigeants politiques français vis-à-vis de l’Algérie. Cependant, un profond décalage existe entre ce que pensent les « élites » françaises et une opinion qui est mieux disposée à l’égard du Maroc que de l’Algérie, les Français ne supportant plus les sempiternelles et artificielles exigences algériennes de « repentance ».
Propos recueillis par Saad Bouzrou.