Jérusalem, la Palestine et Israël : La politique étrangère américaine à l’épreuve du droit
Dr. Bichara Khader
Jusqu’à 2008, les Etats-Unis ne reconnaissent ni l’annexion de Jérusalem-Est ni le chapelet de colonies qui la ceinture. En revanche, la colonisation n’est pas considérée, par eux, comme «illégale», mais simplement un «obstacle à la paix».
Administration Obama : un nouveau ton, mais peu de substance
On a beaucoup glosé sur la sensibilité particulière d’Obama à la question palestinienne. Ce qui est sûr, c’est qu’il veut rapidement rompre avec l’héritage Bush, atténuer les effets désastreux de l’invasion de l’Iraq de 2003 et de sa guerre contre «le terrorisme», et se réconcilier avec un monde musulman où l’anti-américanisme se propage comme une traînée de poudre. S’attaquer au dossier palestinien devient, dès lors, une urgence.
Dès le 20 avril 2009, Obama nomme Georges Mitchell -l’artisan de l’accord de paix en Irlande- en tant qu’Envoyé Spécial pour le Proche-Orient. Le 5 mai 2009, Joe Biden, le vice-Président, s’adresse au puissant lobby pro-israélien, l’AIPAC, et il ne mâche pas ses mots : «Vous n’allez pas aimer ce que je vais dire : ne construisez pas de nouvelles colonies, permettez aux Palestiniens la liberté du mouvement fondé sur leurs actions, leur accès aux opportunités économiques avec une responsabilité accrue en matière de sécurité» (notez au passage qu’il s’adresse à un lobby américain comme si c’était la Knesset israélienne). Quelques jours après, le Président Obama reçoit Benjamin Netanyahou et lui rappelle l’attachement des Etats-Unis à la solution des deux Etats.
Obama revient sur la question israélo-arabe dans son discours du Caire, en juin 2009. Il commence par rappeler les souffrances juives et les liens indestructibles (unbreakable bonds) entre les Etats-Unis et Israël et la reconnaissance des aspirations pour un Etat juif. Puis il aborde la question palestinienne en soulignant que les Palestiniens «ont souffert de la dislocation (de leur pays), vivent dans des camps de réfugiés en attendant une paix hors de portée ou subissent les humiliations quotidiennes». Face à cette situation intolérable, renchérit-il, «l’Amérique ne tournera pas le dos aux aspirations légitimes palestiniennes …pour un Etat propre».
Mais sur Jérusalem, il est demeuré vague évitant de faire référence à l’illégalité de l’annexion de Jérusalem-Est et de son enclavement. Il s’est limité à dire que Jérusalem doit être «la maison sûre et durable pour les juifs, les chrétiens et les musulmans et le lieu où tous les enfants d’Abraham peuvent se côtoyer pacifiquement».
Un an plus tard, Joe Bilden entame une première mission pour relancer le processus des négociations. Mais les Israéliens torpillent la visite en annonçant la construction de 1 500 nouveaux logements, dans un quartier de Jérusalem-Est. Cette annonce provoque une réaction indignée du vice-Président américain qui déclare, le 9 mars 2010, à Jérusalem même: «Je condamne la décision du gouvernement israélien d’avancer le projet de construction de nouveaux logements à Jérusalem-Est». Le Quartet lui emboîte le pas, lors de sa réunion à Moscou, le 19 mars 2010, appelant les deux parties à agir sur la base du droit international et demandant à Israël de «geler toutes les activités de colonisation et de s’abstenir de démolir (les maisons palestiniennes) à Jérusalem-Est et d’expulser ses habitants».
Entre 2010 et 2016, l’administration Obama s’est activée pour remettre le processus de paix sur les rails. Hilary Clinton et surtout John Kerry, le nouveau secrétaire d’Etat (2013-2017), n’ont ménagé aucun effort, multipliant les navettes dont ils sont revenus toujours bredouilles. Ils se sont constamment heurtés à un gouvernement israélien qui a fait de la colonisation des territoires palestiniens son cheval de bataille.
Les péripéties liées aux «Printemps arabes» et les convulsions géopolitiques du Moyen-Orient, à partir de 2011, détournent les regards et mettent la question israélo-arabe sous le boisseau, à la grande satisfaction de Netanyahou qui s’offre même le luxe d’incorporer dans son nouveau gouvernement des ministres ouvertement d’extrême-droite pour lesquels «la rédemption de la terre d’Israël est un droit divin».
Le Président Obama est outré : non seulement ses Secrétaires d’Etat gaspillent leur énergie inutilement, mais lui-même est tourné en dérision. Le 3 mars 2015, Netanyahou s’adresse directement au Congrès américain. Le Processus de paix n’est pas mentionné une seule fois. Le discours est un plaidoyer pro-domo destiné à démontrer le danger que constitue l’Iran pour la région et pour Israël et la naïveté de ceux qui mènent les négociations sur le nucléaire iranien. Interrompu plus de 22 fois par un tonnerre d’applaudissements, Netanyahou, triomphant, n’a pas jugé utile de faire une visite à la Maison Blanche : il n’y était d’ailleurs pas invité.
L’année 2016 est celle de tous les paradoxes. Alors que les relations entre Obama et Netanyahou sont clairement mauvaises, l’administration américaine prend deux décisions étonnantes. D’abord, elle décide d’octroyer à Israël une aide de 38 milliards de dollars pour la décennie commençant en 2018. Et ensuite, le 23 décembre 2016, elle décide de s’abstenir sur la résolution 2334 du Conseil de Sécurité, condamnant la colonisation israélienne.
Certes l’aide américaine à Israël n’est pas une nouveauté, mais pourquoi un paquet de 38 milliards sur 10 ans ? Cela demeure un mystère à moins que ce soit un cadeau destiné à faire avaler la pilule de l’abstention américaine au Conseil de Sécurité. Comment expliquer cette abstention américaine, à un mois de la fin du mandat présidentiel ? Est-ce une ultime vengeance d’Obama ? Est-ce un dernier baroud d’honneur d’un Président dont l’échec au Moyen-Orient a été patent? Ou un ras-le-bol face à un Israël devenu autiste et arrogant au point de fouler au pied tout le droit international et de faire fi des conseils de ses meilleurs alliés ? Ou tout simplement un pavé dans la marre du nouveau Président Trump qui a multiplié les gages de fidélité et de soutien à la « Petite Amérique» qu’est devenu Israël ? Sans doute, tout cela à la fois.
Si l’abstention américaine a suscité une telle surprise et provoqué, en Israël, une telle levée de boucliers, c’est qu’elle fait suite à 42 vetos américains sur des résolutions condamnant les pratiques israéliennes dans les territoires occupés, depuis 1980, à telle enseigne que de nombreux observateurs faisaient remarquer qu’Israël était devenu, grâce au veto systématique américain, le 6e membre permanent, de facto, du Conseil de Sécurité.
Il fallait un geste fort pour dire à Israël que le temps de l’impunité est révolu et que sa politique de grignotage systématique du territoire palestinien rendait la solution aux Etats-Unis impossible. C’est ce que John Kerry a développé dans un discours, aussi tardif que courageux, le 28 décembre 2016. Rashid Khalidi, un intellectuel palestino-américain, est même plus amer que moi en écrivant que c’était trop tard et trop peu («too little et too late», in NYT, 31 Décembre 2016).
Trump et Israël 2017 : Tango sur un volcan
Tous les observateurs de la scène américaine nous avertissent : il est trop prématuré de se lancer dans des supputations concernant la nouvelle politique américaine sur le dossier israélo-palestinien. Mais il y a, tout de même, des gestes et des affirmations qui nous donnent certaines indications sur les orientations de la nouvelle administration américaine.
– La nomination de David Friedman au poste d’ambassadeur des Etats-Unis en Israël. «Ce n’est pas un faucon, a écrit Francesc Penon (Lavanguardia,17.12.2016), il est pire qu’un faucon» (es bastante peor). En effet, c’est un avocat acharné de la colonisation israélienne, un farouche partisan du transfert de l’Ambassade américaine à Jérusalem, et un opposant déclaré à la solution des deux Etats.
– La nomination de Jared Kushner, gendre de Trump comme conseiller spécial n’augure rien de bon. C’est un Juif orthodoxe et surtout un homme d’affaires dont les parents sont des amis intimes de Benjamin Netanyahou.
– Le soutien de Trump à Israël est ancien. Dans une interview téléphonique à JNS.org (26 juin 2015), il déclare : «Je soutenais Israël depuis ma naissance, Mon père, Fred Trump, lui aussi était fidèle à Israël. La seule personne dont Israël a besoin est Donald Trump».
– La promesse électorale de transférer l’Ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
– La réaction véhémente de Trump à l’abstention américaine au Conseil de Sécurité et à la conférence à Paris du 15 janvier 2017.
– L’invitation à la cérémonie d’inauguration, le 20 janvier 2017, d’une délégation de la Yesha Council, qui représente les colons juifs dans les territoires palestiniens.
– Et enfin l’accueil chaleureux de Benjamin Netanyahou à la Maison Blanche le 15 février 2017. Fait rarissime dans les annales diplomatiques, la conférence de presse est organisée avant la tenue des entretiens officiels. Les échanges d’amabilités entre les deux hommes dénotent une complicité ancienne. Les propos de Trump semblent être dictés par son hôte israélien : «Un Etat, deux Etats, peu m’importe», pourvu que les deux parties s’entendent; les colonies cela n’aide pas la paix (are not helpful), aucun mot sur leur illégalité; les Palestiniens doivent arrêter d’inciter à la haine d’Israël et des juifs; l’Amérique ne jouera pas aux intermédiaires (hands-off policy); la solution doit être régionale.
On comprend dès lors la satisfaction de Naftali Bennett, le faucon de la colonisation, mais ministre de l’Éducation nationale qui voit dans les propos de Trump «une nouvelle ère», ajoutant dans un tweet, « Il n’y a plus besoin d’un troisième Etat palestinien entre la Jordanie et Gaza» (New York Times international, 18-19 février, 2017).
Du côté palestinien, c’est l’amertume qui prévaut: l’Autorité palestinienne n’est pas mentionnée une seule fois. Aucun coup de téléphone n’a été échangé entre Mahmoud Abbas et Donald Trump. Maigre consolation, à la veille de la visite de Netanyahou à la Maison Blanche, le Directeur de la CIA, Mike Pompeo, rencontrait Mahmoud Abbas à Ramallah. Le contraste est saisissant entre l’accueil triomphal de Netanyahou à Washington et une visite, en catimini, du directeur de la CIA à Ramallah.
Les choses changeront cependant losqu’à l’issue de sa visite n Israêl, Donald Trump rencontre Mahmoud Abbas, Président de Palestine, le é» mai à Bethleem rn cisjordanie et affichent leur optimisme quant à une solution de paix entre Israël et Palestiniens. Est-ce que ces quelques indications forment un corps de doctrine en matière de politique étrangère ? Sans doute pas. Car si on part du postulat que la nouvelle politique étrangère américaine serait transactionnelle, fondée sur les intérêts et non sur l’idéologie, alors on est en droit de se poser la question : est-ce qu’un soutien total des Etats-Unis à Israël, malgré ses violations systématiques du droit international, sert les intérêts de l’Amérique dans la région du Moyen-Orient ? Rien n’est moins sûr comme l’ont déjà expliqué, en 2006, Walt et Marsheimer.
L’on peut donc s’attendre à certaines inflexions de la position de Trump sur la question israélo-arabe. Le transfert de l’Ambassade à Jérusalem risquerait de provoquer un tollé. Le soutien à un gouvernement israélien ouvertement pro-colonisation pourrait nuire à l’image, à la crédibilité et surtout aux intérêts américains. Par ailleurs, il sera difficile de concilier la lutte contre l’Etat islamique avec implication des acteurs régionaux et un soutien à un Etat israélien inflexible sur la question de l’Etat palestinien. Enfin, si la solution régionale que Trump semble préconiser devait signifier de noyer «la question palestinienne» dans une sorte de vague autonomie de quelques confettis territoriaux discontinus ou un retour à l’option jordanienne, alors elle est condamnée d’avance.
Au vu des conséquences nuisibles d’une alliance israélo-américaine revigorée, il y a fort à parier que ceux qui seront en charge de la politique étrangère américaine s’activeront à tempérer les passions pro-israéliennes du nouveau Président américain.
En outre, le Président américain a beau ignorer «le peuple palestinien» et mépriser ses dirigeants, un fait demeure : La Palestine, c’est le noeud gordien du conflit. On ne peut plus discuter du sort des Palestiniens sans les Palestiniens. On n’est plus au temps de Balfour qui, il y a un siècle (1917), pouvait décider du sort de la Palestine sans consulter ses habitants. Ce temps colonial est révolu. S’il faut, aujourd’hui, une nouvelle Déclaration Balfour, c’est pour corriger cette erreur historique dont nous payons, jusqu’à aujourd’hui, l’exorbitante facture.
Faut-il désespérer de l’Amérique ? Beaucoup d’analystes, arabes et non-arabes le pensent invoquant tantôt la puissance du lobby-pro-israélien dans le monde économique, académique et médiatique, tantôt les affinités culturelles et religieuses qui lient les «bible-minded» protestants et les «nouveaux chrétiens» (new-born christians) à Israël, tantôt les trajectoires historiques qui font d’Israël la reproduction miniaturisée de l’histoire américaine.
Tout cela est connu. De là à penser que la collusion américano-israélienne est irréversible, ce serait ignorer l’évolution remarquable de l’opinion publique américaine au cours des deux dernières décennies. En effet, un sondage effectué par la Brookings Institution, en décembre 2016, révélait que 60 % des démocrates et 46 % des Américains seraient favorables à des sanctions contre Israël concernant les colonies. Un autre sondage de PEW, en janvier 2017, révélait que près de la moitié des démocrates soutiennent les droits des Palestiniens, tandis que les démocrates libéraux (liberal democrats) sympathisaient davantage avec les Palestiniens qu’avec Israël. Ce sont des lames de fond qui ne feront que grossir, car Israël peut tromper tout le monde quelque temps, ou tromper quelqu’un tout le temps, mais il ne pourra plus tromper tout le monde tout le temps.
C’est le message qu’ont envoyé à Israël les footballeurs américains invités en Israël pour une visite du pays. Sur 11 joueurs, 6 ont refusé de participer à ce voyage de propagande. «I shall not be your negro», a expliqué l’un de ces footballeurs.
L’Amérique n’est pas un monolithe. Trump et le Congrès américain ont beau tourner le dos au droit international en soutenant leur «allié israélien», il arrivera un jour où les Américains diront : enough is enough.