Séparatisme et terrorisme: fin de l’ambivalence complice

Kamal F. Sadni

 (Géopoliticien)

Un tollé dans le système de prise de décision en Algérie, en réaction à l’association entre le séparatisme et le terrorisme, à l’occasion de la Réunion ministérielle de la Coalition mondiale contre Daech tenue à Marrakech (11mai 2022). Des déclarations intempestives et un communiquée du ministère des affaires étrangères, dont la rédaction et la substance laissent beaucoup à désirer.

Crime de lèse-majesté, offense inacceptable. Pourtant, l’Algérie n’est pas directement visée, même si son plaidoyer pour les mouvements de libération nationale et le droit à l’autodétermination ne leurrent plus personne.

A Alger, on se déploie, comme on le peut, à ne pas reconnaitre la descente en enfer d’une diplomatie d’un autre temps, si viscérale, si schizophrène, si empêtrée dans le déni, qu’elle se meurt dans les ténèbres dans lesquelles elle avait tenté, depuis quatre décennies, de plonger la sous-région magrébine.

Dans ce papier, on va faire l’état des lieux, et voir si la corrélation entre le séparatisme et le terrorisme est pertinente ou si, compte tenu du timing,  elle ne l’est pas.

                Séparatisme et terrorisme : les courroies de la collusion

Depuis des décennies, la littérature en sciences politiques et sociales a fait du lien entre la lutte pour l’indépendance et les mouvements de libération nationale une vérité première éternellement sainte. Une évidence à travers laquelle, l’idéologie a assis une aisance de langage n’acceptant pas de palliatifs autres que l’indépendance comme étant la conséquence inévitable de la lutte armée entreprise par ces mouvements.

Une aberration était alors de les qualifier de terroristes ou de connivence avec des forces étrangères obscures. Le système international, lui-même en transition laborieuse et incontrôlée, s’accommodait de la lutte -dite sacrée- de tout mouvement sécessionniste pour l’indépendance, la dignité et la reconquête de l’identité. Le terrorisme évoqué, depuis deux décennies, comme faisant partie du paysage de la lutte politique et idéologique intranationale, est transposé à l’échelle globale, à la suite des attentats terroristes qui ont frappé les Etats-Unis, le 11 septembre 2001.

La coopération internationale contre le terrorisme transnational est enclenchée. Pour autant, des mouvements séparatistes dans des zones problèmes sont épargnés. Une typologie est effectuée pour en distinguer certains -les intégrant dans l’acception de la lutte pour l’indépendance nationale- et en pingler d’autres -les accusant de collusion avec les réseaux du crime organisé. Cette typologie à la carte est exploitée par des structures étatiques pour damer le pion aux structures rivales dans des sous-régions où ‘la tension de rôle’ fait rage.

 Or, les choses se corsent à l’occasion de la floraison de la littérature sur ‘le changement de régime’, conséquence de l’évolution du système international vers une fragmentation résultant de l’apparition de nouvelles puissances internationales et l’érosion d’autres, à un moment où les expressions de ‘société internationale ’ou  de ‘multilatéralisme chaotique’ prennent de l’eau de toutes parts.

L’incapacité des Etats, pris individuellement et collectivement, à faire face aux problèmes d’urgence tels que le réchauffement climatique, la migration, la persistance des conflits endémiques, la résurgence des ‘conflits gelés, etc.,  font que des mouvements séparatistes intranationales, et opérant à partir des pays voisins (en Asie, en Amérique latine et en Afrique) deviennent plus agressifs et prennent le risque de manœuvrer en toute autonomie. Juste, mais pas pour des mouvements qui sont créés par des pays aux fins de déstabiliser les voisins dans le cadre de la lutte pour la domination de l’échiquier géopolitique régional.

→ Lire aussi : Réunion ministérielle de la Coalition mondiale contre Daech: la montée du terrorisme en Afrique en chiffres

C’est dans cette perspective que les groupes armés non-étatiques (Gane) prennent toute leur importance. Ces groupes ont la particularité d’avoir des liens avec des structures étatiques étrangères (services de renseignements ou sociétés multilatérales par exemple) et des réseaux terroristes transnationaux s’adonnant à toutes formes de trafic illicite, y compris la traite humaine. Ils sont, en conséquence, outillés et manipulés par des Etats (et les intérêts privés), notamment dans les processus de négociation laborieux sur d’autres terrains de confrontation non-conventionnelle.

Dès lors, ces groupes font leur la conjugaison, en fonction des enjeux, de la violence politique et de la violence criminelle. Ils opèrent dans la plupart des cas dans des espaces timidement contrôlés par des ‘Etats défaillants’ ou en instance de décomposition. Ils prisent ‘la guerre de chaos’ dans tous les cas de figure.

Par ailleurs, ces groupes prennent la forme de la guérilla ou de la rébellion endémique. Ils se confortent dans le mercantilisme par la pratique de l’extorsion et de la rente. Ils se positionnent à la fois, en tant qu’éléments du problème et parties de sa solution. Ils occupent la scène  chaque fois que la communauté internationale (ONU, structures régionales ou médiateurs étatiques individuels) s’investie dans la résolution des conflits intranationaux ou régionaux dans lesquels ces mouvements se voient incontournables.

Que dire de leur sacrosainte référence idéologique ? Question ridicule, car l’identification au communisme,  au socialisme,  à l’islamisme djihadiste radicale ou au crédo des groupes paramilitaires, n’est plus un ‘job description’ pour se maintenir et entretenir le chaos.

Les Gane, qui ont défrayé la chronique ces dernières années sont les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), Al-Qaïda et ses ramifications en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, au Proche Orient et en Asie centrale, l’Etat islamique (EI), les Houthistes au Yémen, le Hezbollah au Liban, le Groupe Abou Sayyaf aux Philippines, pour ne citer que ces mouvements.

La particularité des Gane est de jouer sur l’incohérence des négociateurs étatiques et internationaux dans la détermination des processus d’inclusion et d’exclusion qui les visent en premier chef.

En Afrique, cette incohérence est constatée dans le cas des négociations entre le gouvernement malien et l’Etat islamique dans le grand Sahara (Eigs). La radicalisation des autres mouvements touareg et arabe procède du double-jeu de ce mouvement, du reste, inféodé, par le biais de certaines de ses composantes, aux intérêts hégémoniques de certains pays voisins. Des mouvements djihadistes tels que l’Aqmi, Ansar Dine et le Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), ne sont pas intéressés par ce type de tractations, en raison de la primauté de leur allégeance transnationale.

De même que des groupes armés tels que le Front de libération du Macina (Flm) et le Groupe pour le soutien à l’Islam et aux Musulmans (Gsim) et Ansar-oul-Islam sévissent dans un espace qui devient de plus en plus incontrôlable, en raison, entre autres, de la situation d’insécurité au Tchad, en Libye, au Mali, au Niger, au Soudan et au Nigéria.

Ceci, sans omettre de citer la situation en république démocratique du Congo où le mouvement de Laurent Nkunda et les Forces armées de la RDC, le Congrès national pour la défense du peuple (Cndp) prolongent l’instabilité dans ce pays. Il en est de même en République centrafricaine, où une quinzaine de mouvements sont en conflit permanent pour des raisons mercantiles, tribales et ethniques.

 La quintessence en est le chaos actuel qui favorise l’implantation de mouvements paramilitaires étrangers, qui sont en train de chambouler les acquis géopolitiques de certaines puissances classiques telles que la France ou la Belgique.

                 Le masque est tombé : pas de définition à la carte

Le séparatisme du polisario peut-il être assimilé au terrorisme ? Question épineuse, mais la réponse judicieuse peut être décelée à travers les constats suivants. Le polisario est un mouvement qui a été créé en dehors des Provinces du Sud par la Libye de Kadhafi et récupéré par l’Algérie de Boumediene.

Le mouvement, s’identifiant à l’idéologie marxiste-léniniste, inscrivait son action dans la guerre froide sans qu’il en soit réellement conscient, tellement il était embobiné par l’Algérie et son institution militaire.

 Nombreux d’entre ses membres fondateurs sont rentrés au Maroc, avisés comme ils l’auraient été que le mouvement servait l’intérêt exclusif de l’Algérie, qui plaçait (et place toujours) sa stratégie dans la hantise du changement de régime au Maroc.

Le mouvement est accusé d’avoir perpétré des actions terroristes contre des citoyens espagnols ou des ressortissants sahraouis séquestrés dans les camps de Tindouf. Certains d’entre ses dirigeants sont accusés, depuis plusieurs années, de crime contre l’humanité. Le mouvement, avec la complicité des services militaires algériens, transforme les camps de Tindouf en une prison à ciel ouvert.

C’est un mouvement qui ne peut prendre de décision sans l’aval des militaires algériens, dont beaucoup sont promus à la faveur de leur contrôle sur les camps et de la sauvagerie exercée contre les populations séquestrées, dont parlent des rescapés des camps vivant au Maroc et à l’étranger.

C’est un mouvement qui s’adonne à toutes les formes du crime organisé et qui entre dans des alliances mercantiles avec des groupes terroristes-séparatistes dans la bande sahélo-saharienne et au-delà.

C’est un mouvement qui reçoit de l’aide financière, militaire, diplomatique de l’Algérie qui l’abrite sur un territoire qui a fait l’objet d’un accord frontalier avec le Maroc, dont les dispositions fondamentales, n’ont jamais été respectées par Alger.

Et c’est surtout un mouvement, dont les dirigeants sont à la fois des politiques et des militaires. Il ne saurait dès lors pas pertinent, comme le laissent entendre certains commentateurs algériens, de séparer sa branche politique de sa branche militaire.

Le mouvement s’est retiré unilatéralement de l’accord de cessez-le-feu, conclu en 1991, avec les Nations unies, à la suite de l’échec de sa tentative de bloquer le passage Al-Guerguerat dans les Provinces du Sud.

Le processus de résolution du conflit régional autour du Sahara s’inscrit dans la logique de l’inclusion et non pas dans la logique de l’exclusion, comme le prône l’Algérie et un ou deux autres pays africains, eux-mêmes en danger de séparatisme latent.

Et c’est dans cette perspective qu’il est édifiant d’épiloguer sur l’incohérence-confusion des décideurs algériens, vis-à-vis du mouvement pour d’autodétermination en Kabylie (Mak). Il est derechef qualifié de mouvement terroriste, alors qu’il ne fait que des revendications politiques, ne dispose pas de branche armée, ne reçoit d’assistance ni financière, ni militaire (étant un mouvement pacifiste) d’aucun pays-tiers et qui ne, de surcroit,  ne vise aucunement l’indépendance totale. D’autres opposants pacifistes actifs sur les réseaux sociaux sont portés, eux aussi, sur le Journal Officiel algérien comme étant des terroristes.

L’indignation de l’Algérie quant à l’association du séparatisme et du terrorisme, au terme de la Réunion ministérielle de la Coalition mondiale contre Daech, est un cri de détresse et un constat de désolation. La question que l’Algérie et certains pays récalcitrants à la résolution du conflit du Sahara dans le cadre de la proposition marocaine d’autonomie est la suivante : en quoi le polisario est-il différent des groupes armés que sont dans un ordre anachronique, les  Contras nicaraguayen (1979), les Gardiens de la révolution islamique iranienne (1979), le Hezbollah libanais (1982), le Blackwater américain (1996), le Hash al-Chaabi irakien (2014), le Wagner russe (2014) et tous les mouvements extrémistes animés par des considérations tribales, ethniques ou religieuses extrémistes sinon mercantiles tout court ?

 En quoi le polisario serait-il différent des séparatistes catalans, basques, qualifiés de terroristes par la justice espagnole ou des séparatistes des îles Canaries très actifs il n’y a pas si longtemps ? Des militants corses en France ? Du Sinn Fein, branche politique de l’Armée républicaine irlandaise (Ira), qui s’est associé, raison obligeant, à l’accord sur l’Ulster ? De l’Etat islamique au Khorasan (Afghanistan) ? De la vingtaine de groupes en conflit en Birmanie sur une base ethnique organisée autour de l’Armée de libération  de Ta áng (Tnla), de l’Armée Arakan et l’Armée de l’Alliance démocratique nationale de Myanmar (Mndaa) ? Des sentiers Lumineux qui ont sévi durant les années 1990 au Pérou ? Des mouvements séparatistes aux Philippines ? Des mouvements autonomistes en Indonésie et en Thaïlande?

Ou encore, de quoi le polisario, qui raffole de la confusion, est-il différent de mouvements sous forme politico-religieuse entretenant des alliances transnationales et prônant la violence au Kirghizistan, en Ouzbékistan et au Tadjikistan (Hizb At-tahrir et Jamaa Tabligh, Parti de la renaissance islamique, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan), qui se sont distingués, à intervalles réguliers, par leur relation étroite avec Al-Qaida et les Talibans ? Des mouvements séparatistes dans le Caucase du Nord (Daghestan et Tchétchénie, Ingouchie et Tatarstan) qualifiés de terroristes par la Russie ?

En quoi le séparatisme outillé par l’Algérie peut-il être un facteur de stabilité, de paix et d’ordre régional, comme le répètent les décideurs algériens sans convaincre personne ? Comble de l’hérésie. En quoi les gesticulations des décideurs algériens à se forger une identité, en subtilisant celles des pays voisins pour dessiner une carte géopolitique qui ne s’accommode plus des changements que connait la politique internationale, sont-elles justifiées. Le séparatisme est bien un élément déterminant dans la définition du terrorisme.

S’il est vrai que certains groupes armés et mouvements terroristes ont été créés et financés par certains Etats durant les vingt dernières années, leur collusion avec les mouvements séparatistes pour aller au-delà de leur mission initiale, n’est plus tolérée par leurs commanditaires. Leur maintien en vie est un danger permanent que la situation géopolitique Post-Covid 19 ne peut laisser fleurir dans des zones problèmes névralgiques partout dans le monde, y compris  en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne.

Les craintes de l’Algérie sont claires. Le système politique algérien, en souffrance d’ouverture, risque d’imploser de l’intérieur lorsque le soutien au séparatisme sera taxé de terrorisme d’Etat et de soutien à l’instabilité dans une Afrique que beaucoup d’analystes avertis voient comme un berceau de la croissance économique mondiale future.

L’Algérie est bel et bien la principale partie au conflit régional autour du Sahara, comme en témoigne, il y a quatre décennies déjà, sa note à l’Assemblée générale des Nations unies expliquant que les parties au conflit sont l’Espagne, le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie. Elle l’est de manière incontestable, en considération des différentes résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu, notamment la résolution 2602 du 29 octobre 2021 dans la foulée de celles adoptées depuis de 2007.

L’Algérie est appelée dès lors à ne pas s’autoproclamer la seule détentrice de l’interprétation exacte du principe de l’autodétermination, rappelant la trilogie ostentatoire de Mohamed Bedjaoui en 1974 (‘Terra nullius’, ‘droits historiques’ et ‘autodétermination‘) devant la Cour internationale de Justice; l’argumentaire algérien  risque de se retourner contre ce même pays au regard de la question Kabyle et celle des Touaregs du Sud.

De même que les décideurs algériens devraient bien revoir leur perception de la notion de mouvement de libération nationale et du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils doivent surtout se rappeler qu’ils ont abrité sur leur territoire les dirigeants de mouvements séparatistes et soutenu des mouvances indépendantistes dans les Canaries (Mouvement pour l’autodétermination et l’indépendance de l’archipel des îles Canaries, et le Front populaire des îles Canaries), des séparatistes de Dhofar luttant contre le Sultanat d’Oman, des dirigeants biafrais contre le Nigéria et de certaines mouvements sécessionnistes d’Amérique latine.

Que ces décideurs soient, pour une fois, plus pragmatiques et concèdent que le vent a tourné et que de nombreuses organisations indépendantistes dans les pays précités ont choisi soit l’intégration, soit l’autonomie dans le cadre d’un processus inclusif, intégrationniste et non pas dans celui d’un dogmatisme aveugle et générateur de chaos.

Un pays comme l’Algérie, qui erre, dans des labyrinthes identitaires, entre l’héritage ottoman, français, et se fait amnésique sur celui des empires historiques ayant gouverné toute la région depuis les Almoravides, se doit de se calmer et de se forger une identité propre esquissée depuis 1962.

 Et ce serait déjà une prouesse. A défaut, il faudrait alors s’attendre à ce que les locataires des camps de Tindouf s’inventent un nouvel ennemi ; et ce ne serait, cette fois-ci, pas le Maroc, auquel sera retournés, entre temps, la minorité des vraies originaires des Provinces du Sud et non pas des personnes en provenance des pays limitrophes comme la Mauritanie, le Mali, la Libye, le Niger ou du Sahara algérien.

Il fut un temps où l’Algérie manipulait les autres pays de la sous-région maghrébine en jouant la carte de l’intangibilité des frontières. Ce temps est révolu, comme celui de chercher de concrétiser son plan de neutraliser la Mauritanie, pour ensuite la satelliser à travers un plan en plusieurs étapes : séparer Oud Eddahab du Maroc (retrait de 1979), encourager Nouakchott à attribuer la nationalité mauritanienne à des personnes émanant des camps de Tindouf et du Sahara algérien, réaliser, en affaiblissant le Maroc, la jonction entre le Sahara ( la partie arrachée au Maroc) et la Mauritanie et, enfin, avoir un accès de plusieurs kilomètres sur l’Atlantique. Ce plan, comme celui de toutes les propositions de partage, est tombé dans l’eau. Cependant, la Mauritanie reste en danger permanent, car elle est désormais la principale cible des ambitions hégémoniques du voisin algérien.

En somme, en dépit des jérémiades de l’Algérie, le séparatisme et le terrorisme sont la marque de la même fabrique. Ils se déploient à merveille quand la désillusion politique fait chambre commune avec la dépression causée par  la réalité plus terre a terre.

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