Blatter et Platini relaxés des chefs d’« escroquerie, gestion déloyale et abus de confiance
Dans la grande salle du Tribunal pénal fédéral suisse (TPF) de Bellinzone, dans le canton du Tessin, le verdict a fait l’effet d’une bombe : la cour des affaires pénales a acquitté, vendredi 8 juillet, l’ancien président helvétique de la Fédération internationale de football (FIFA), 86 ans et l’ex-patron français de l’Union des associations européennes de football (UEFA), 67 ans, dans l’affaire du paiement présumé déloyal de 2 millions de francs suisses (1,9 million d’euros) que le premier a fait au second, en février 2011.
Les deux hommes ont été relaxés des chefs d’« escroquerie, gestion déloyale, abus de confiance et faux dans les titres ». L’ex-numéro 10 des Bleus n’est également pas tenu de restituer 2,229 millions de francs suisses à la FIFA, invitée par le TPF à agir par la « voie civile ».
« L’acquittement total est la seule issue correcte de cette procédure pénale, déclare Dominic Nellen, l’avocat de M. Platini. Un tribunal neutre a enfin constaté qu’aucun délit n’avait été commis dans cette affaire. Mon client est complètement blanchi et soulagé en conséquence. »
Représentant du Ministère public de la Confédération (MPC) et chargé d’instruire ce dossier depuis 2019, le procureur Thomas Hildbrand avait requis une peine d’un an et huit mois de prison avec sursis et un délai de mise à l’épreuve de deux ans contre les deux hommes. En novembre 2021, il avait renvoyé le tandem devant le TPF pour « soupçons d’escroquerie, de gestion déloyale, d’abus de confiance et de faux dans les titres ».
Dans son acte d’accusation, M. Hildbrand accusait les prévenus d’avoir « trompé » l’ex-directeur financier de la FIFA, Markus Kattner, avec l’envoi d’une facture « fictive qui ne correspondait pas à une créance existante ». Et ce afin d’« enrichir illégitimement M. Platini » avant la réélection de M. Blatter, en juin 2011, pour un quatrième mandat, avec le soutien de l’UEFA.
Lors de son réquisitoire, le 15 juin, le magistrat avait taillé en pièces la défense des prévenus dans l’affaire du paiement présumé déloyal : il a balayé la thèse du « reliquat de salaires » qui aurait été prétendument versé au Français pour les années durant lesquelles (1998-2002) il officiait comme conseiller technique de Sepp Blatter. Les prévenus assuraient avoir scellé, en 1998, un « accord oral » fixant une rémunération de 1 million de francs suisses annuels à M. Platini.
Pour M. Hildbrand, « aucun contrat verbal n’existait ni avant ni après l’élection de Blatter à la FIFA [en juin 1998], car il ne pouvait exister juridiquement ». Il relevait que les deux prévenus ont paraphé, en août 1999, un contrat fixant la rémunération de l’ex-joueur comme « indépendant » à hauteur de 300 000 francs suisses annuels.
En mai 2016, le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne a abaissé à quatre ans la radiation de M. Platini. Cette sanction a ensuite été confirmée, en 2017, par le Tribunal fédéral suisse de Lausanne, puis par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en 2020.
Rencontres secrètes
L’acquittement du Français va provoquer des remous au siège de la FIFA, à Zurich. MM. Blatter et Platini soupçonnent Gianni Infantino d’avoir profité de leurs déboires judiciaires et manœuvré en coulisses, notamment lors de trois rencontres secrètes (sans procès-verbal) après son élection, avec le procureur général suisse Michael Lauber, en 2016 et 2017.
Une autre rencontre secrète, le 8 juillet 2015, entre un ami magistrat de M. Infantino, Rinaldo Arnold, M. Lauber et son porte-parole, André Marty, renforce les soupçons de MM. Blatter et Platini. L’autorité de surveillance du parquet suisse (AS-MPC) a estimé dans un rapport disciplinaire, en 2020, que M. Infantino envisageait dès juillet 2015 de briguer la présidence de la FIFA et « avait intérêt à se renseigner », par le truchement de M. Arnold, sur les procédures en cours du MPC à son sujet, et sur MM. Platini et Blatter.
En novembre 2021, l’ex-joueur a déposé plainte contre le président de la FIFA auprès du parquet de Paris pour « trafic d’influence actif ». « « Je place au-dessus de tout la justice et la vérité et elles ont triomphé à Bellinzone. Je ne lâcherai rien, je vais continuer le combat », affirme au Monde M. Platini.
Ces rendez-vous officieux ont provoqué, en juillet 2020, l’ouverture d’une procédure pénale en Suisse visant M. Infantino pour « incitation à l’abus d’autorité, à la violation du secret de fonction et à l’entrave à l’action pénale ».
« M. Infantino est un président additionnel alors que je suis le président élu. Je n’ai pas été démis de mes fonctions en 2015, dit au Monde M. Blatter, qui entend demander à la commission d’éthique de la FIFA la levée de sa suspension. Je n’ai plus de carton jaune entre les mains. »
L’affrontement entre l’actuel président de la FIFA, candidat à sa réélection en mars 2023, et les deux ex-dirigeants acquittés s’annonce sans merci.