Hydrocarbures au Maroc : un secteur stratégique au carrefour de la concurrence et de la sécurité d’approvisionnement

Par Youssef Oubejja (*)

Soucieux de sa sécurité d’approvisionnement en hydrocarbures et ayant à l’esprit les enjeux de libéralisation du secteur avec les aléas d’ouverture à la concurrence qu’il comporte, le Maroc ambitionne de se positionner comme lieu d’installation de stockage de pétrole stratégique qui sera utilisé pour sécuriser le marché international du pétrole. Le Maroc nourrit l’ambition d’une telle installation pour faire face à l’instabilité fréquente du marché pétrolier.

Une telle instabilité est notoire avec le contexte de guerre entre l’Ukraine et la Russie et la flambée marquée des prix de l’énergie.

A titre de rappel, la liberté des prix  dans le secteur des hydrocarbures au Maroc et sa soumission aux lois du marché s’est faite graduellement dans le but de procéder à la levée des subventions étatiques qui alourdissaient la caisse de compensation. Un autre élément qui a accéléré ce processus de libéralisation tient à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la raffinerie La Samir qui était en situation de cessation de paiements. S’en est suivie la mise en œuvre du plafonnement des prix du pétrole qui constitue à notre avis une forme tempéré du contrôle des prix, et son abandon finalement. A travers l’analyse de ces étapes préalables à la libéralisation de ce secteur  stratégique, nous constatons que celle-ci a été réalisée à minima avec des gardes fou protectionnistes de par la sensibilité qu’il présente.

La réflexion sur ce sujet sensible appelle une objectivité intellectuelle dans le traitement des questions épineuses qui l’entourent, dans ce contexte inflationniste marqué par un bouillonnement social contestant la hausse des prix du carburant.  Mais s’agit-t-il d’une hausse artificielle résultant d’une entente, d’un abus de position dominante collective ou d’un ciseau tarifaire ? Dans le jargon du droit et de la politique de la concurrence, la structure de marché oligopolistique peut être un terrain de prédilection de commission des ententes et d’un parallélisme de comportement.  Nous le savons tous le dossier des hydrocarbures est encore en instruction pour être résolu par le conseil de la concurrence.  Sans arguer de la suite réservée à ce dossier, nous mettons en avant que les préoccupations de l’Etat relativement à ce secteur s’articulent autour du principal enjeu de sécurité d’approvisionnement et de la disponibilité des stocks pour la mise sur le marché des quantités dont il a besoin. Cette sécurité d’approvisionnement est capitale, en ce sens qu’une pénurie engendrerait une cascade d’abus de dépendance économique pour cause de pénurie, et favoriserait une hausse considérable des prix. Cette situation est vérifiable en temps de guerres et de crise. La Russie étant le principal fournisseur des hydrocarbures à destination de L’Europe,  celle-ci est particulièrement plus exposée à ce risque de pénurie.  Nous avons d’ailleurs constaté au début du conflit russo-ukrainien une montée vertigineuse des prix du carburant due à la pénurie  et à une quasi rareté de disponibilités sur le marché européen des huiles à moteur et dans certains cas même du carburant.  Heureusement, fort de ses sources multiples et diversifiées d’approvisionnement, le Royaume du Maroc n’a pas été confronté à ce type de risques dangereux pour l’économie qu’ont rencontrés plusieurs pays européens.

En effet, la disponibilité des stocks et la diversité des sources d’approvisionnement sont assurées par les efforts des acteurs nationaux et étrangers qui opèrent dans le marché national. Cela reste inscrit à leur actif mais ne doit pas en principe être préjudiciable aux consommateurs.

Le rapport de la mission d’information parlementaire sur le prix du carburant  soumis en mai 2018 à la Commission parlementaire de la chambre des représentants et relatif au marché des hydrocarbures nous renseigne suffisamment sur la répartition des parts de marché.

Nous nous contenterons d’analyser les parts de chacun des principaux acteurs opérant sur le marché.  En effet  quatre sociétés réalisent plus de 70% des importations totales. Selon les données publiées par le rapport, Afriquia importe à elle seule 29% du Gasoil. La filiale du groupe Akwa arrive loin devant Vivo Energy (Shell), dont les importations de gasoil représentent 16% du total. Total Maroc est 3eme avec 14% des importations de gasoil.

Concernant l’Essence super, Afriquia réalise près de 42% des importations, devant winxo (18%) et Vivo Energy (15%). En termes de distribution, le groupe Afriquia détient une part de marché de 21,9%, devant Vivo Energy (14%) et Total Maroc (12,5%).

Enfin, en ce qui concerne les capacités de stockage, élément crucial du marché marocain, surtout depuis l’arrêt de la raffinerie de la Samir, c’est une fois de plus Afriquia qui se taille la part du lion. Sur une capacité de stockage nationale de 942.000 m3 pour le gasoil, la filiale du groupe Akwa détient 234.000 m3, soit une part de marché de près de 25%. Total Maroc arrive loin derrière avec une capacité de stockage en gasoil de 154.700 m3 (16,3%). Vivo Energy ferme le podium avec une capacité de 139.100 m3 (14%).

La position dominante du groupe Akwa

Loin de constituer la finalité de cet article, nous ne pouvons pas procéder à une analyse purement concurrentielle qui reste un exercice délicat et exige des données économiques quantitatives poussées dans la mesure où l’instruction des contentieux  concurrentiels se prolonge dans le temps. Nous soulignons en revanche que la présomption de détention d’une position dominante en termes de capacités de stockage de l’opérateur national présente des avantages à plusieurs égards. En effet cette position dominante couplée à l’organisation de réseaux de distribution intégrés accroit l’efficacité des entreprises en réduisant leurs couts, et protège leurs investissements.

Si cette configuration ne fausse pas la concurrence sur le marché, cela pourrait concourir efficacement  à sécuriser les stocks par le biais de la multiplication des sources d’approvisionnement par l’opérateur présumé dominant qui constitue un contrepoids contre le pouvoir des autres opérateurs ayant des capacités de stockage inférieurs, ainsi qu’à une fidélisation des membres du réseau. Toutefois l’organisation de ces réseaux de distribution ne doit aucunement comporter une exclusivité territoriale absolue, ni de clause relative à un quelconque prix imposé ne serait ce dans certains cas qu’indicatif sous peine de constituer un abus.  Par ailleurs, cette position dominante lorsqu’elle résulte d’une concurrence par les mérites  est semblable à la détention d’une avance technologique qui confère à son titulaire un avantage concurrentiel.

Certes, cette position dominante peut engendrer des dépendances économiques dans le contexte marocain, mais il est préférable et cet un état de fait que des opérateurs étrangers et nationaux d’une puissance économique moindre soient sous la dépendance d’un opérateur national ayant une puissance économique plus grande plutôt que l’inverse notamment pour l’efficacité du réseau de distribution et pour se prémunir contre le risque de pénurie comme celui intervenu récemment en Europe. Il reste en revanche que ce dernier n’est pas à l’abri des poursuites par l’autorité de régulation et la justice en cas d’abus.  Si l’avantage de la capacité de stockage et la multiplication des sources d’approvisionnement permet une disponibilité des stocks, les prix quant à eux sont déterminés par les cours du baril qui fluctuent en fonction du contexte économique international. Cette fluctuation n’est pas toujours favorable aux consommateurs lorsque le prix du baril baisse et n’est pas répercutée instantanément et peut n’être effective qu’à la liquidation des stocks disponibles.

Il est évident que la hausse des prix du carburant baisse significativement le pouvoir d’achat des ménages notamment la classe moyenne. Les pouvoirs publics sont appelés à trouver des solutions pour remédier à ce problème. Divers options sont possibles mais relèvent de l’exercice d’un choix politique. Par ailleurs, les opérateurs sont appelés dans ce contexte de crise à participer à l’effort national pour lutter contre l’inflation due en grande partie à la hausse du prix de l’énergie en baissant leurs marges bénéficiaires autant que faire se peut.

 (*) Youssef OUBEJJA : Docteur en droit économique expert dans les questions liées à la concurrence

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