Défis environnementaux et migrations

Tribune

Par Abdelhak Zegrari (*)

En marge de la commémoration du 7e anniversaire de l’Agenda 2030 à l’ONU, il convient de saluer l’activité diplomatique intense du Maroc en matière d’environnement et de développement durable. De Nairobi à New-York, de Dakar à Stockholm, la représentation marocaine a pu affirmer l’engagement du Royaume en faveur d’une gouvernance mondiale pour une planète saine. A Stockholm, pour la commémoration du  50e anniversaire de la conférence de 1972, la première question qui vient à l’esprit est de se demander ce qui serait arrivé sans cette conférence initiée par Indira Ghandi & Olof Palme ?

Aurions-nous aujourd’hui une ministre de la Transition énergétique et du développement durable ? Aurions-nous une société civile engagée dans la sauvegarde de la planète et de la biodiversité ? Ce qui s’est passé ici était révolutionnaire, inédit et visionnaire ! Un demi-siècle plus tard, le monde est confronté à une triple crise : le réchauffement & le dérèglement climatiques, la pollution & les déchets, la perte de nature & de biodiversité, ainsi que d’autres maux qui affectent le bien-être et la prospérité, la paix et l’égalité. Cette triple crise est une menace directe à la réalisation des ODD (Objectifs de Développement Durable) et nécessite un effort urgent pour redresser la tendance. Nous sommes à nouveau à la croisée des chemins. L’une des voies mène à une planète encore plus handicapée par les défis environnementaux existentiels d’aujourd’hui – davantage de pollution plastique, davantage d’émissions de gaz à effet de serre, une augmentation des températures et des mers, et une perte de biodiversité toujours plus grande. Une planète saine est une condition préalable à des sociétés pacifiques, cohésives et prospères. » Or, l’urgence est là, et dans la boite à outils, nous n’avons plus grand chose.

Pour le Maroc, le changement climatique fait peser de sérieuses  menaces sur plusieurs  secteurs essentiels, à savoir, la gestion des eaux, la désertification,  la sécurité alimentaire & les déplacements de population. L’été caniculaire que nous venons de vivre a été le plus chaud de l’Histoire, avec comme conséquence, des incendies de forêts et une sécheresse inédite, comme un avant-gout de ce que sera notre climat dorénavant. Le dérèglement climatique se manifestera à l’avenir avec des cycles  plus  fréquents et plus dévastateurs ! Selon Greenpeace, « la sécheresse a augmenté au cours des vingt dernières années…passant d’une fois tous les cinq ans à une fois tous les deux ans ». Partout,  l’usage intensif des pompes électriques a contribué à la surexploitation des nappes phréatiques. Le secteur agricole accapare 80% de l’eau, alors que 10% seulement des terres agricoles sont irriguées. Et cet égard, malgré des réussites économiques indéniables, le Plan Maroc Vert a été une catastrophe pour les ressources hydriques ne prenant pas en considération la nécessité de les préserver en encourageant des cultures extrêmement hydrovores telles que la pastèque ou l’avocat !

Jusque-là, les dispositions prises afin d’assurer l’approvisionnement en eau du territoire ont été saluées par nombre d’observateurs ; elles visaient la gestion de la demande en milieu rural,  l’amélioration des réseaux de distribution avec un rendement dépassant les 76%, la réutilisation des eaux usées. L’adaptation au changement climatique conduit le pays à une diversification des ressources hydrauliques et notamment l’utilisation d’eaux non conventionnelles. En effet, les 145 barrages d’une capacité de stockage de 18.7 milliards de m3 risquent de se révéler insuffisants à l’avenir face à l’augmentation démographique et au réchauffement climatique. Le dessalement de l’eau de mer palliera donc le déficit pluviométrique et l’évaporation des eaux stockées.  L’installation de la plus grande usine de dessalement d’eau de mer au Monde fournira 275 000 m3 par jour pour la consommation domestique et pour l’irrigation de 13 600 ha de plantations dans la région d’Agadir. Des projets similaires sont  initiés dans les autres régions du royaume, répondant au vœu de SM Mohamed VI « d’inverser le processus de dégradation des terres, de réduire l’ampleur de la désertification et d’atténuer ses répercussions, à la faveur d’un développement humain et social ». Cette lutte « existentielle » contre la désertification s’est déclinée en amont de la préparation de la COP22 par l’initiative triple A (Adaptation de l’Agriculture en Afrique) et deux années plus tard, par le Pacte de Marrakech, appelant à des migrations sures, ordonnées et régulières.

Climat

A la COP15 de Copenhague en 2009, on prophétisait déjà : « les futurs réfugiés seront climatiques », une exigence du Bangladesh, pays le plus menacé au Monde par la montée des eaux. . Il est évident que  tous les pays ne sont pas affectés de la même manière par le changement climatique, les pays en développement étant  plus vulnérables et  manquant de moyens pour y faire face. Le changement climatique aggravera les déplacements forcés de populations en Afrique et causera des conflits pour l’accès à l’eau et les ressources rares. Les inondations et les sécheresses de plus en plus fréquentes et intenses dans le Sahel  , accroitront la pauvreté , la famine et l’insécurité.  Et à  mesure que le réchauffement de la planète s’accentue, des « points de basculement » dans le système climatique ne sont pas à exclure.   La généralisation de la sécheresse risque de provoquer d’énormes vagues de migration de populations – on parle d’ailleurs déjà de migration environnementale – et il est bien évident que cela exacerbera également les tensions.

Bien entendu, ces migrations environnementales ou climatiques auront pour destination principale le continent européen ; le Maroc étant la principale route migratoire de la Méditerranée occidentale, de nouveaux défis seront à relever, en collaboration avec les partenaires de l’UE et de l’Afrique de l’Ouest.

« (…) Les relations privilégiées qui unissent le Maroc aux pays de l’Afrique subsaharienne (…) sont, dans le fond, des liens humains et spirituels séculaires. Eu égard à la situation qui prévaut dans certains de ces pays, nombre de leurs citoyens immigrent au Maroc d’une façon légale ou illégale. (…) Face à l’accroissement sensible du nombre des immigrés venus d’Afrique ou d’Europe, Nous avons invité le gouvernement à élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions d’immigration et d’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux de notre pays et respectueuse des droits des immigrés. ( Extraits du discours de SM  Mohammed VI à l’occasion du 14ème anniversaire de la Fête du Trône, juillet 2013)

Au Forum quadriennal d’examen des migrations internationales (New York 17-20 mai 2022) chargé d’évaluer les progrès de la mise en œuvre des objectifs du Pacte de Marrakech,  SE Omar Hilale , le représentant permanent auprès de l’Onu, avait déclaré : « nous nous assurerons de la permanence de l’intégration de la dimension des droits de l’Homme dans les politiques touchant à la migration, et le Maroc mettra en œuvre, avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’autres agences des Nations Unies, des programmes traitant de l’impact du changement climatique sur la migration et l’inclusion »

Tout le monde se rappelle le livre de Stephen Smith, « La ruée vers l’Europe », où il prédisait que l’Afrique subsaharienne allait se ruer vers l’Europe au point de constituer à l’horizon 2050 la quart de la population européenne, voire plus de la moitié chez les moins de 30ans ! Pour lui «la jeune Afrique va se ruer vers le Vieux Continent cela est inscrit dans l’ordre des choses » se basant sur les prévisions démographiques  de l’Onu…éludant le facteur climatique !  Ses thèses ont été brillamment démontées par des démographes de renom, dont François Héran et Yves Charbit, puisqu’elles ne reposaient que sur des approximations d’un journaliste en quête de sensationnel. «Lorsque l’Afrique subsaharienne émigre, c’est à 70 % dans un autre pays subsaharien et à 15 % seulement en Europe, précise François Héran .  Comparée aux autres régions du monde – l’Amérique centrale, l’Asie ou les Balkans -, l’Afrique subsaharienne émigre peu en raison même de sa pauvreté.»

La région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre comptait, en décembre 2021, 8,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et 1,5 million de réfugiés et de demandeurs d’asile. L’ampleur du phénomène est, en réalité, difficile à évaluer et il faut se  garder de tout chiffre concernant ces déplacements  car en dehors des situations de catastrophes naturelles majeures, dans l’ensemble des facteurs de migrations, ceux qui relèvent de l’environnement – une sécheresse, des inondations –, ceux qui relèvent du social, comme la possibilité d’insertion au point d’arrivée, et ceux qui relèvent de l’économie, comme les moyens disponibles pour le voyage.

Certains chercheurs et activistes écologiques plaident pour la création dans le droit international d’un statut de « réfugié climatique », que la Convention de Genève de 1951 ne reconnait pas. Or un réfugié est quelqu’un de persécuté, et on ne peut être persécuté par les changements climatiques. Cela demande une modification de la Convention,  un pas que beaucoup de signataires n’oseront jamais franchir, et en particulier, les pays industrialisés responsables à plus de 70% des émissions de gazs à effet de serre. Car qui dit statut, dit droit d’asile ; et alors qui accueillera ces réfugiés, les émetteurs historiques ou bien le pollueur le plus proche de leur territoire ? Pour rappel, ce concept a été inventé en 1993 par un ancien administrateur colonial britannique au Kenya, Norman Myers, qui est devenu par la suite un spécialiste de l’écologie. Il a aussi dirigé un centre de recherche néomalthusien qui prône une immigration zéro pour freiner la croissance démographique des pays riches et inciter les pays pauvres à restreindre leur natalité. Pour les pro-statut, renoncer à ce concept, reviendrait à dépolitiser la réalité de ces déplacements environnementaux et dédouaner les pays du Nord de leur « forme de persécution politique imposée aux pays en voie de développement ». Il y a déjà beaucoup de migrations dues à des catastrophes lentes, qui ne mobilisent pas d’interventions humanitaires, passées sous silence. La crise écologique, cause principale du problème,  nécessite des réponses urgentes, d’autant plus qu’il s’agit d’un enjeu de sécurité.

Dans un contexte mondial en ébullition, où le multilatéralisme est pris en otage, perturbé par des crises sanitaires, climatiques et énergétiques, le Maroc a amorcé la transition vers un nouveau modèle de développement plus respectueux de ses ressources à la fois humaines et naturelles en enclenchant le virage d’une croissance verte. La science est claire : pour éviter une catastrophe climatique mondiale, nous devons réduire les émissions de gaz à effet de serre de 45 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici à 2030. Nous devons également atteindre l’objectif « zéro émission » d’ici 2050.  La transition vers un monde « zéro émission » exige une transformation complète de notre façon de produire, de consommer et de nous déplacer. Lorsque l’on parle de modifier le comportement et le mode de vie individuels pour l’environnement, il faut noter que l’individu et le collectif sont étroitement liés pour préserver l’environnement. Pratiquer la durabilité, c’est être conscient de la façon dont sa vie affecte la communauté et travailler au bien-être général. Et pour faire changer les choses, l’implication de tous est nécessaire; la société civile  a un rôle d’aiguillon et d’éclaireur et peut faire pression sur les politiques qui doivent « repenser le changement plutôt que changer le pansement ». Pour dissocier la croissance de l’impact environnemental, il faudra des solutions innovantes soutenues par des partenariats mondiaux, les secteurs public et privé devant tirer dans la même direction et de toute urgence.  Il nous faut trouver un moyen pour créer un consensus autour de la question environnementale, en favorisant une interaction significative entre la société civile, les acteurs économiques et le gouvernement. Le travail pour une transition juste pour la justice sociale se poursuit par la construction d’alliances et par la coopération à l’échelle continentale. Nous avons besoin les uns des autres pour obtenir le changement que nous voulons.

(*) Economiste, chercheur à l’United Nations Migration Network

 

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page