Tollé en Tunisie sur la dissolution des conseils municipaux
Disposant de tous les pouvoirs, le président tunisien Kaïs Saïed a annoncé le 9 mars la dissolution des conseils municipaux et leur remplacement par des délégations spéciales.
Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’ »une nouvelle étape sur la voie de la présidentialisation du régime et d’un coup dur pour le principe de la décentralisation », considéré comme un acquis très important, instauré par la Constitution de 2014, abrogée par le président Saïed.
En effet, cette décision qui n’a pas surpris outre mesure, s’inscrit en droite ligne de son projet politique et de l’action qu’il mène depuis juillet 2021 consistant à purger le pays des « corrompus » où qu’ils soient.
D’ailleurs, le président tunisien a justifié cette mesure en clamant, dans la vidéo publiée pour la circonstance, que « nous continuerons à marcher tous ensemble vers la victoire ».
Dirigeant ses piques vers ses opposants, il rappelle qu’ »aujourd’hui, ils manifestent librement et prétendent qu’il y a de la tyrannie alors qu’ils défilent sous la protection de la police ». « Ils veulent jouer les victimes », accuse-t-il.
Dans l’impossibilité actuelle d’organiser de nouvelles élections, le chef de l’Etat tunisien a préféré anticiper en se débarrassant de conseils municipaux élus le 6 mai 2018.
Pourtant, le processus qui a conduit à leur élection a été considéré comme l’un des acquis de la révolution tunisienne.
Visiblement non satisfait de leur action, le président tunisien a mis fin prématurément au mandat de 350 maires et donné un coup d’arrêt à l’organisation de nouvelles élections.
Ces conseils municipaux, faut-il rappeler, sont issus pour la majorité du scrutin législatif de 2018 qui avait été marqué par la victoire de listes indépendantes, suivies du parti islamiste Ennahda et du parti libéral « Nida Tounes ».
En février dernier, le président de la Fédération nationale des communes tunisiennes (Assemblée des maires), Adnan Bouassida, a appelé à « la tenue des élections municipales dans les délais (le premier semestre 2023) et à ne pas amender la loi électorale d’une manière à préserver les acquis obtenus ».
Dans la foulée de sa décision de dissolution des municipalités, le président tunisien a convoqué pour le 13 mars 2023 les députés à la première session du parlement à l’effet d’examiner notamment deux projets de loi portant révision de la loi sur l’élection des conseils communaux et l’élection des membres de la future Assemblée des régions et des districts.
Manifestement, cette décision intervient dans un contexte de fortes turbulences politiques, économiques et sociales en Tunisie et au lendemain d’un discours présidentiel jugé incendiaire ciblant les migrants de l’Afrique subsaharienne.
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Sitôt annoncée, sitôt des mesures ont été prises au niveau des différents gouvernorats du pays pour la protection des bureaux et documents des communes.
Après la publication de la décision de dissolution des Conseils municipaux au journal officiel, le gouverneur de Tunis, Kamel Feki s’est dépêché d’annoncer « la protection des bureaux » avec « l’interdiction de sortir tout document » jusqu’à la passation des pouvoirs aux délégations spéciales.
Le gouverneur a appelé les forces de l’ordre à assurer la protection des locaux de toutes atteintes ainsi que la protection de toute agression des maires et des membres des Conseils municipaux.
En attendant la passation de la gestion des communes des élus à des délégations spéciales désignées, un grand flou persiste et les réactions de circonspection jusqu’ici enregistrées restent timides.
Dans tous les cas de figure, cette décision est loin de faire l’unanimité. Des critiques fusent sur la toile, considérant qu’il n’était pas possible de dissoudre des structures élues démocratiquement pour les remplacer, par d’autres désignées de manière unilatérale.
Certaines réactions s’apostrophent sur le paradoxe dans lequel le pays est en train de verser et sur la perception de la question de légitimité.
Certains signalent que le président Saïed était lui-même élu par les mêmes électeurs ayant participé aux législatives de 2019 et aux municipales de 2018.
Dire que les instances qui en sont issues sont illégitimes, remet en cause la légitimité de tout le processus électoral également.
Le parti Ennahdha a condamné la dissolution des conseils municipaux, avant terme, assurant que cette décision a été prise, pour détourner l’attention des Tunisiens de ses vrais problèmes.
Le Front national de salut a estimé pour sa part que la dissolution des conseils municipaux est une nouvelle étape dans la série de mesures de coup d’État qui « ont établi la mainmise du chef de l’État sur toutes les autorités, en violation flagrante des lois et des réglementations en vigueur ».
Face à ces développements dangereux, le Front de Salut national réaffirme qu’il ne reconnaît pas et ne reconnaîtra pas « l’assemblée parlementaire défigurée issue de la constitution d’un coup d’État illégitime et d’élections boycottées par la majorité écrasante ».
Le président de la Fédération nationale des municipalités, Adnane Bouassida a rappelé que la Fédération a toujours appelé à tenir les élections municipales dans les délais.
Il a estimé que cette décision était attendue. Il s’est interrogé néanmoins sur la manière avec laquelle les mairies seront dirigées ainsi que les stratégies et les programmes économiques qui seront élaborés.
« Les personnes qui seront nommées pour diriger les délégations spéciales, ont-ils des programmes ? Le Code des collectivités locales sera-t-il supprimé ? », s’interroge-t-il.
Cette décision, notent de nombreux observateurs, met en exergue la volonté du Président Saïed, qui s’est octroyé tous les pouvoirs le 25 juillet 2021, en limogeant son Premier ministre et gelant le Parlement, dissous par la suite, d’aller jusqu’au bout de son projet de la gouvernance par la base.
Avec MAP