Abdallah Amrani, la cérémonie des adieux n’aura pas lieu

Par Hassan Alaoui

Notre ami, grand éditorialiste s’il en est vient de décéder, ce lundi 27 mars, à Rabat à l’âge de 75 ans. Journaliste au long cours, il avait élevé la profession au rang d’un engagement effectif. Il avait commencé sa carrière fin 1972 dans le journal « Correspondance de la Presse », fondé et dirigé par Mohamed Berrada, créateur aussi de SAPRESS. Il se distinguera par une activité intense et multiforme. Sa mort nous laisse perplexes.

Nous sommes en 1963 et 1967 – A Azrou, nous étions trois complices, Mohamed Malki, Abdallah El Amrani et moi-même. Sur la place de la petite ville, entre Kissaria Aït Ghriss et le fameux kiosque de Hajjaj, il y avait le café de Taghallacht, un citoyen rifain descendu des montagnes du Nord faire – ou refaire – sa vie dans la petite cité, en ouvrant un bistrot où se bousculait une clientèle nombreuse savourant le café noir fort préparé au ghallay d’aluminium. Un rituel devenu immuable nous réunissait, on lisait assidûment la presse, quotidienne et autre, on commentait, s’instruisait, échangeait avec ardeur et une curiosité intense.

Chaque vendredi, Abdallah lisait pour nous la chronique parue dans « Al Alam » de Abdeljabbar Shimi, on s’y délectait. Viendra ensuite la lecture imposante et partagée du quotidien français « Le Monde ». Et dans la foulée, les visites régulières au Monastère des Bénédictins de Tioumliline, avec sa bibliothèque où chacun de nous piochait l’ouvrage qu’il lira et échangera l’un avec l’autre. A vrai dire, la lecture était notre dénominateur commun dans une petite ville coincée dans le creux de hautes montagnes, carrefour obligé pour aller vers le sud…La particularité de cette cité hissée à près de 1800 mètres était d’abriter le fameux Collège berbère, construit par la France en 1928, devenu le Lycée Tarik Ibn Zyad après l’indépendance en 1956…L’autre particularité était d’avoir reçu la visite branlante d’un grand nom du journalisme de l’époque, dont nous ne nous doutions point qu’il serait, cinquante ans plus tard, l’un de nos modèles : il s’agit d’Albert Londres, le journaliste, « le Prince du reportage » qui, en se rendant lors de l’un de ses voyages vers le sud, a vu son véhicule s’embourber entre El Hajeb et Azrou, précisément près de Aâqbat Zbib, l’obligeant à la pousser pour repartir…

Signe prémonitoire pour nous donc, dont on mesurera plus tard la dimension. Abdallah El Amrani, né à Ouezzane, chérif Moulay Abdallah comme on dit, était venu début des années soixante à Azrou, pour s’installer chez son beau-frère qui était Cadi. Inscrit au Lycée Tarik Ibn Zyad, il rejoindra pourtant la ville de Fès pour décrocher son baccalauréat. Mordu du journalisme, il choisira l’honorable Institut de Journalisme de Tunis pour y accomplir son cycle d’études et décrocher son diplôme. Le petit groupe que nous formions et auquel s’étaient joints d’autres amis, s’était disloqué par la force des choses, sans pour autant traduire une rupture. Car nous gardions la même affection, malgré nos horizons – spatio-temporels – différents. Le parcours de Abdallah, c’est le moins que l’on puisse dire, était exceptionnel. À son retour au Maroc en 1973, retrouvant son ami Boubker Monkachi (décédé il y a un an), il collabora à Maghreb Informations, et dans la foulée, se lança dans l’activité journalistique en écrivant dans plusieurs autres publications en arabe, avec le soutien de Hassan Omar Alaoui, dit « Frimousse » qui incarnait le journalisme engagé au sein de la gauche. Il lança ensuite son propre titre, appelé « Al Massir » ( Le Destin). A vingt-cinq ans, il était recruté par Abdejlil Fenjiro comme Directeur régional de l’Agence Maghreb Arabe Presse ( MAP) de Casablanca.

Non content de gravir des échelons aussi honorables, il se lança dans l’activité – alors naissante – de la promotion et de la publicité en créant sa propre « boîte » appelée Najma Pub.  Avec ce titre, le gouverneur de Casablanca de l’époque , Mohcine Terrab, nommé ensuite à Tétouan le « déniche » et l’emmène avec lui en lui confiant une mission de « directeur de cabinet » que Abdallah assumera avec bonheur…Il contribuera au lancement du FIT ( Festival international de Tétouan), premier acte qui redorera le blason d’une province menacée d’abandon, prendra part aux événements de la FIC ( Foire internationale de Casablanca) dont il sera l’un des acteurs emblématiques. Pour autant, il n’abandonnera pas ses « affaires » à Casablanca. Il continuera d’écrire, en français et en Arabe, notamment dans la revue « Lamalif » de Zakya Daoud, renouvellera également son carnet d’adresses, avec une relation particulière avec Si Ahmed Bouchentouf, homme politique central du RNI, beau-frère du Roi Hassan II, magnifique personnage de Casablanca.

Abdallah El Amrani était l’ami de tout le monde, pour moi, il incarnait la fidélité, le patriotisme aigu, et en matière de presse marocaine une sorte de Citizen Kane. Ses analyses, froides, je veux dire détachées, mais non sans âme, nous inclinait au respect, à cette obligation de fouiller entre les lignes, dans une limpidité magistrale, cette objectivité instituée par lui qui n’a d’égal que son attachement à la vérité. Ce ne fut pas un hasard qu’en lançant son hebdomadaire « La Vérité », il marquera la rupture avec tout ce qui existait alors comme titres, organes ou publications plongés dans un certain sensationnalisme racoleur. Son journal est resté le chef d’œuvre du papier presse, dense, fouillé et magistral. Une leçon de choses pour nous autres.

Notre amitié à trois, Mohamed Malki, lui et moi, n’a jamais failli, quand bien même nous nous serions, existence oblige, séparés géographiquement, nous nous appelions, échangions sur tout comme au bon vieux temps. Les derniers mois, alors qu’il s’était retiré à Marrakech pour des raisons médicales, aspirant à une retraite bien méritée, il me proposait régulièrement la rédaction d’un livre commun, une manière de regards croisés. Le projet n’aura donc jamais lieu…Le livre, il l’a plus ou moins écrit, avec une dimension quasi intime : « L’Homme qui tua la lune », roman quelque peu parabolique, autobiographie fictionnelle, publié en 2016, qui sonne comme un chant de cygne, soit trente ans après celui, écrit et édité en arabe, sur « L’Avenir de la gauche en arabe ».

Mon ami Abdallah,  tu pars plutôt que nous autres, sans accomplir ensemble cette « Cérémonie aux adieux » que nous nous étions promis à trois. Rien ne nous séparait, pas même le fin papier à cigarette comme on dit…

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