Le ramadan chez la personne âgée : les particularités de son organisme à l’origine de risques à bien connaître
Par Dr Khadija Moussayer
Le ramadan est en général sans danger pour les pratiquants et l’âge n’est pas en soi un obstacle à son bon respect. Il existe des contre-indications absolues (quelque soit l’âge) en cas de diabète traité à l’insuline et non équilibré, d’insuffisance rénale, de maladie cardiaque… et de toute autre pathologie ne supportant pas un jeûne même court (en particulier certaines maladies auto-immunes et certaines maladies rares).
Le jeûne est vivement déconseillé en outre aux patients avec un infarctus récent, une angine de poitrine instable, une décompensation cardiaque récente ou un traitement de diurétiques à haute dose. Dans toutes ces situations, le jeûne du Ramadan expose à la déshydratation, l’hypoglycémie et les malaises induisant des chutes et des fractures.
Le jeûne est également interdit en cas de baisse de la fonction des glandes surrénales (insuffisance surrénalienne), car le traitement substitutif utilisé dans cette maladie nécessite une prise régulière au cours de la première partie de la journée, un impératif incompatible avec le jeûne.
Il est sage, en tout état de cause, de faire le point avec son médecin traitant pour ne pas mettre sa santé en péril, et de faire preuve de responsabilité, surtout après 75 ans où le jeûne est plutôt à déconseiller. Les personnes âgées de plus de 60 ans (ainsi que leur entourage) doivent par contre savoir que leurs « paramètres » physiologiques, très différents d’une personne plus jeune, les oblige à plus de vigilance et même de sagesse,
Passons en revue toutes les évolutions du corps de la personne âgée (PA) et ce qu’elles impliquent comme recommandations au moment du ramadan.
Les médicaments et le jeûne : un arbitrage raisonnable entre deux éléments contradictoires
Les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme d’une personne âgée que chez un adulte de 30/40 ans. Leur élimination rénale ralentie, leur accumulation dans les graisses et leur passage plus agressif dans le cerveau rendent de fait les PA beaucoup plus fragiles face aux médicaments. Ainsi, le paracétamol, un antalgique utilisé contre la douleur et/ou la fièvre, s’élimine deux fois plus lentement, le diazepam (valium), un tranquillisant, quatre fois plus lentement : il faut 80 heures – 3 jours ! – pour éliminer la moitié de la dose donnée de ce dernier médicament qui, avec une prise quotidienne, peut s’accumuler jusqu’à l’intoxication. De même, le mauvais emploi de certains médicaments (comme ceux contre l’hypertension) conjugué à l’affaiblissement musculaire peut provoquer des chutes aux conséquences lourdes. La fracture du col du fémur est ainsi souvent source de la perte d’autonomie et même la mort (en France, entre 15 et 20 personnes sur 100 décèdent dans l’année qui suit cet accident).
L’observance du ramadan se révèle ainsi parfois problématique face à la prise de médicaments, même anodins en apparence. Surtout quand on sait que l’intoxication médicamenteuse est responsable d’un tiers des hospitalisations des PA dans les pays développés !
Aussi, la situation se complique lorsque plusieurs doses de médicaments doivent être prises à intervalles réguliers ; de même que la nécessité de prendre certains médicaments à jeun, les absorber avant le petit-déjeuner peut s’avérer inappropriée durant le Ramadan, l’estomac n’étant pas toujours vide au réveil. Par ailleurs, la prise de certains médicaments est incompatible avec le jeûne : diurétiques, sulfamides hypoglycémiants.
Nous connaissons la même situation au Maroc, d’autant plus que les PA pratiquent encore trop un nomadisme médical, les amenant à se faire soigner par plusieurs médecins, d’où une tendance à la sur-médication, alors que, comme en Europe, elles devraient avoir un seul médecin référent, le médecin de « famille », qui les prend en charge globalement en coordonnant l’ensemble des soins. Il est donc impératif pour toute ces raisons de respecter les prescriptions médicales, les recommandations des notices d’emploi et de ne pas se livrer à l’automédication.
Le manque d’appétit fréquent chez la personne âgée : un risque de dénutrition lors du Ramadan
Les personnes âgées ont souvent tendance à diminuer leur apport alimentaire sans que leurs besoins énergétiques ne soient réduits. Ce manque d’appétit qui survient avec l’âge est en partie dû notamment à l’altération des perceptions des odeurs et du goût (qui stimulent ainsi moins). La capacité discriminative s’affaiblit d’où une difficulté à identifier et apprécier les aliments. Le seuil de détection des 4 saveurs de base est ainsi augmenté en moyenne de 11,6 fois pour le salé, 7 pour l’amer, 4,3 pour l’acide et 2,7 pour le sucré par rapport à un individu jeune !
Contrairement aux idées reçues, les besoins nutritionnels des personnes âgées sont presque identiques à ceux de l’adulte jeune : 2000 kcal/j pour l’homme et 1800 kcal/j pour la femme contre respectivement 2800 et 2200 à 30 ans. De ce fait, la conjonction d’une baisse de l’appétit et l’observation de longues heures de jeune peut compromettre l’état nutritionnel de la PA et mener à une spirale de conséquences fâcheuses. La PA ne doit donc pas restreindre sa consommation alimentaire habituelle après la rupture du jeûne sans d’ailleurs verser dans des excès tout aussi nocifs (quelque soit l’âge !).
L’apport nutritionnel conseillé en protéines animales (viandes, poissons …) et/ou végétales (amande, pistache, noix de cajou, haricots rouges, lentilles, pois chiches, pois cassés, champignons, dattes et figues séchées, céréales…) et en particulier lors du ramadan, doit être supérieur à celui de l’adulte jeune : 1 à 1,2 contre 0,8 à 1g/kg/j, soit 12 à 15 % des nutriments.
Manger des légumes et des fruits est bénéfique pour faire le plein de vitamines et nutriments essentiels et permettre aussi un bon transit intestinal (les salades en particulier). Il faut éviter par contre les aliments frits et transformés riches en gras ou en sucre.
Une grande vigilance à l’égard des troubles de l’hydratation
La PA a tendance naturellement à baisser ses apports en eau, le seuil de perception de la soif s’émoussant aussi avec l’âge. Les pertes en eau de la PA sont aussi plus importantes à cause de la plus forte résistance du rein à l’action d’une substance qui limite les pertes en urine (l’hormone antidiurétique). De plus, les mécanismes de régulation sont moins bien assurés, et l’élimination des surplus de sucre ou de sodium s’accompagne d’une plus grande perte en eau. L’équilibre hydrique est également menacé par certains médicaments (diurétiques, neuroleptiques…).
Pour toutes ces raisons, les besoins en eau de boisson sont toujours plus élevés chez la PA que l’adulte jeune (1,7 l/j contre 1,5l/j), d’autant plus que les signes d’une déshydratation, en particulier lors du ramadan, sont souvent tardifs et pas toujours faciles à interpréter. Ainsi, des manifestations de somnolence brusque, de troubles neuromusculaires, de constipation… ou d’accélération du rythme cardiaque doivent conduire à une réhydratation d’urgence… et cela sans perdre son temps à « discuter » de la part de la personne et/ou de son entourage.
Attention à la fonte du capital musculaire
Le capital musculaire diminue chez la PA, ce qui aggrave l’état nutritionnel et d’hydratation. Les réserves en eau (73% de l’eau totale du corps sont stockés dans les muscles) baissent en effet corrélativement à la diminution de la masse musculaire (17% du poids du corps à 70 ans contre 30% à 30 ans). Ce phénomène, la sarcopénie, a des répercussions considérables par les faiblesses qu’il provoque : risques infectieux par baisse des réserves protéiques nécessaires aux défenses immunitaires, chutes et fractures éventuelles compromettant l’autonomie de la PA…
Pour éviter l’aggravation de la fonte musculaire, l’apport nutritionnel en protéines conseillé plus haut est impératif et il est nécessaire de maintenir une activité physique.
Une qualité du sommeil à préserver
Le sommeil se modifie avec l’âge tant par sa structure que par sa qualité. Son temps total diminue et il devient moins efficace car plus fragmenté par des réveils nocturnes fréquents. L’observation du ramadan ne doit pas se faire en complète rupture avec une bonne hygiène de vie et donc de sommeil.
Il faut donc, autant que possible, essayer de conserver une heure de coucher et de lever régulière, de consacrer une heure de son temps l’après-midi, à une sieste réparatrice, de pratiquer une activité physique et de s’exposer (sans excès) à lumière naturelle durant la journée. Les boissons contenant des excitants (café, thé) ainsi que le tabac sont à éviter ou à consommer de façon minime. Pas non plus d’abus de nourriture toute la nuit qui vont ensuite perturber ce sommeil. La bonne règle en ce domaine est de prendre un petit déjeuner très consistant avant le lever du soleil, de faire un repas léger au moment de la rupture et d’en faire un autre 3 heures après.
Une activité physique à maintenir
Pour parer aux conséquences de la sédentarité, il est conseillé de marcher pendant 4 ou 5 mn toutes les 30 minutes au minimum et de faire des exercices de souplesse et de renforcement musculaire, au moins pendant 15 mn par jour : même dans un espace restreint, c’est un bon moyen de maintenir la masse musculaire. Cette activité physique a également un impact positif sur le sommeil et sur le moral en général.
(*) Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie, Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)