La Libye, miroir géopolitique aux alouettes…
Par Hassan Alaoui
Œil de cyclone ! On ne peut mieux décrire la Libye d’aujourd’hui qui est de plus en plus confrontée à une déliquescence et fait l’objet d’un interventionnisme de la part de plusieurs pays, peu enclins et moins pressés en vérité de la voir en vérité sortir de l’ornière post-kadhafiste.
Ce qui se passe en Libye nous interpelle à plus d’un titre, plus qu’un désastre mais une Apocalypse annoncée. Voilà bientôt près de quatorze ans que le pays est plongé dans une descente aux enfers sans nom, livré à des guerres claniques et tribales, explosé et réduit à l’état d’archaïsme jamais connu ni vécu auparavant. On en vient à regretter l’époque de Mouamar Kadhafi qui a régné quarante-deux années durant et dirigé le pays d’une mer de fer, en dictateur exclusif bien entendu. Quand il avait pris le pouvoir le 1er septembre 1969 après avoir renversé le Roi Idriss – absent de Tripoli d’ailleurs – le jeune officier dénommé Mâamar ne pouvait bénéficier de conditions aussi favorables ni imaginer lui-même qu’il deviendrait le potentat à vie, assis sur les richesses pétrolières immenses, façonnant le visage et la stature d’une Libye moyenâgeuse, livrée à vrai dire aux mains des compagnies pétrolières occidentales, engourdie et somnolente sous le règne bienveillant d’un monarque qui n’en demandait pas tant.
Kadhafi avait à peine 27 ans quand, à la tête de jeunes officiers, il s’empara du pouvoir et instaura un régime qualifié à tort ou à raison de « révolutionnaire », inspiré du nassérisme dont il reflétait quelques caractéristiques. Le président Gamal Abdelnasser constituait en effet son modèle et inspira ses actions, sa méthode et ses sorties contre « l’Occident impérialiste ». Kadhafi sera bien entendu profondément attristé en apprenant la mort en septembre 1970 d’un arrêt cardiaque du président Nasser. Nationaliste ombrageux, il appliquait la fameuse politique de tout mettre en question, voire détruire et jusqu’aux structures de l’Etat qui, selon lui, ne correspondaient pas aux désirs du peuple, lequel était invité à constituer des Comités révolutionnaires pour diriger ses affaires, gérer les instances du pays. C’était comme instaurer le néant, image orwélienne plutôt chaotique qu’autre chose.
Le pétrole, dont Jacques Berque me dira que c’est « la malédiction des jeunes pays », constituera son arme de guerre, d’autant plus abondant qu’il hissera la Libye sur la scène internationale. Les années quatre-vingt avaient alors placé le pays et son leader au pinacle, on voyait défiler à tour de bras « investisseurs », débarqués à Tripoli avec leur samsonites lubrifiantes qui d’Europe, d’Angleterre, l’ancienne puissance coloniale, en quête de gros business. Cependant, cette dimension-là effleurait à peine l’égo du « Guide de la révolution du 1er septembre » appelée « Al Fatih »… Acquérant sans discontinuer des armements de l’Union soviétique, de la Tchécoslovaquie et de l’Allemagne de l’Est de l’époque, Kadhafi concevra et s’offrira un autre rôle à la mesure de sa puissance montante : il se proclama maréchal et s’en prit alors, à l’automne 1980, au Tchad, son voisin avec le rêve impérial de le conquérir, lançant une intervention militaire pour prendre la fameuse Bande d’Aouzzou, quitte à s’affronter avec la France de Mitterrand.
L’arme du pétrole était constamment brandie, elle a permis à Kadhafi d’encaisser des milliards de dollars et de payer ses opérations terroristes – notamment l’attentat meurtrier de Lockerbie commis par ses agents en 1987 et faisant 257 morts – , ainsi que d’autres opérations internes et externes. L’image de « l’Etat voyou » et de « régime terroriste » a donc vite été accolée à la Libye et jusqu’à la guerre menée contre lui ouvertement par les forces françaises, anglaises et américaines, mobilisées pour le renverser. Il fut ainsi froidement assassiné dans un refuge. Tout au longue de son « règne », Kadhafi a sévi contre ses opposants et son propre peuple. Sa mort en 2011 a livré le pays à un chaos total. Deux pouvoirs parallèles et rivaux se sont installés en Libye depuis lors. A l’ouest, à Tripoli s’est installé ce que la communauté internationale dénomme un gouvernement d’Union nationale (GNA), dirigé par Fayez Sarraj et de l’autre côté, à l’est du pays, un militaire, maréchal de son état, Khalifa Haffar, s’est autoproclamé chef de cette partie et n’en démord pas de prendre le contrôle de toute la Libye.
Divisée, déchirée, en morceaux comme on dit, la Libye est installée malgré elle dans une atroce guerre civile. Les Nations unies y imposent régulièrement un cessez-le-feu, en vain. La nomination en septembre dernier d’un nouvel émissaire par Antonio Gutteres en la personne du diplomate sénégalais Abdoulaye Bathily, si elle autorise un relatif espoir de voir enfin des élections s’organiser à plus ou moins long terme en Libye, nous interdit en revanche de croire que la crise libyenne sera réglée par une baguette magique ou un claquement des doigts.
La Libye en détresse, certes mais c’est la région du Maghreb qui en pâtit aussi. Le Maroc n’a eu de cesse de favoriser un règlement pacifique entre les parties en conflit, depuis 2015 en abritant à Skhirat le processus de rencontres de ces dernières. Conscient que seule la voie du dialogue pourrait venir à bout des affrontements et de la méfiance réciproque, il mobilise sa diplomatie, ses hommes et ses forces pour rapprocher les acteurs de cette tragédie qui met à mal l’unité voire même l’existence du Maghreb. Transformée en peau de léopard, la Libye fait face à plusieurs interventions étrangères ; de la Russie, de la Turquie, de la France, de l’Arabie saoudite, de Qatar, des Etats-Unis, de la Tunisie, de l’Algérie qui tente de récupérer le relais des négociations et jouer le rôle de médiateur…
Vœu pieux ? Pas tant que ça, en effet, car tôt ou tard, les peuples des cinq pays qui composent le Maghreb exigeront de nous des comptes.