Le viol de Sanae : pour l’exemple, en attendant la révision du Code pénal
Par Hassan Alaoui
Entre dix et vingt ans de prison ! Voilà le jugement prononcé en appel contre les trois hommes qui, s’en prenant pendant des mois entiers, à une petite fille de onze ans dans la région de Tiflet, ont cru s’en sortir avec le premier jugement initial de quelque dix-huit mois ou deux ans tout au plus. L’opinion publique, le Maroc tout entier s’est senti humilié par cette parodie d’un juge dont, en tout état de cause, il convient de réclamer des comptes et qui ne peut aucunement échapper à une mise en examen…
C’est bel et bien une affaire de justice et de morale publique, que ce viol par trois hommes d’une petite fille de 11 ans à Tiflet. Les conséquences aux plans personnel et sociétal sont immenses. Quant bien même le jugement – je parle de la première instance – aura été revu sous la pression de l’opinion publique notamment, une certaine amertume persiste. Elle est à la mesure de la profonde tristesse qui envahit nos cœurs. Le jugement de vingt ou trente ans de réclusion ne peut panser cette immense plaie béante au cœur de la petite fille qui, tel un très lourd bât, sera porté par elle sa vie durant. Car, en fait, quel qu’en soit le langage et la sémantique, le chemin existentiel en ce genre de drame est fracassé…
Le Code pénal, tiré et brandi de force par une opinion publique choquée et regaillardie , est certes venu à la rescousse d’une jeune fillette humiliée dans sa chair et son âme. Mais il n’a pas été jusqu’au bout pour lui rendre justice totalement, il a simplement corrigé l’aberration calamiteuse et scandaleuse du juge de la première instance dont on ne comprend ni l’incompétence, ni la culture mafieuse du machisme ni les soubassements de sa médiocrité. On aura compris que dans le système de traitement des feminicides, l’archaïsme demeure le trait dominant, ce cloaque pourri, inhérent à une culture générale où la femme n’est, au mieux qu’un objet corvéable et maniable et, au pire moins que rien. A l’unanimité donc les représentants des ONG ou l’opinion en général réclame avec force une justice moderne, adaptée à l’évolution de notre pays, et pour ce qui est des violences envers les femmes une procédure plus sévère, adéquatement prononcée par rapport au crime et au délit commis.
Et plus encore quand il s’agit d’un crime en bande organisée, sur une mineure sans défense, de famille modeste, humiliée et démunie. Sans doute que depuis la monstrueuse affaire Mostafa Tabet qui, au mois de Ramadan 1993, défraya la chronique à l’échelle mondiale, la peine de mort a-t-elle été abolie, et que cette dépénalisation a ouvert la voie aux violences extrêmes envers la femme marocaine. Si l’on en croit les ONG chargées de ce combat contre les viols, le cas de Sanae n’est pas isolé et que des dizaines ou plus de viols similaires sont commis et demeurent impunis, étouffés aussi. Le silence et une certaine omerta deviennent une manière de règle. L’affaire de Tiflet illustre donc cette culture du silence gardé et de la complicité, de l’impunité qui est en elle-même une radicale violation supplémentaire de la femme.
Rien ne justifiera plus tard aux yeux de cette jeune fille la violence subie par trois criminels qui, s’ils vivaient dans un pays comme l’Arabie saoudite, seraient passibles de la peine de mort. Elle en portera toujours la marque en son for intérieur, la cicatrice d’une injustice, le sentiment d’humiliation. Autant dire que le travail de réparation psychologique est lourd, difficile aussi. Il faut rendre hommage en l’occurrence à ce vaste mouvement de solidarité de la société civile, soulevé comme un puissant courant marin, et notamment des associations comme INSAf de Meriem El Othmani et autres, mobilisées de bout en bout, prenant en charge la victime et désormais exemple édifiant de la force populaire. Aux potentiels criminels, nous dirions donc prosaïquement que les choses ne seront désormais plus les mêmes, qu’il leur faudra compter avec l’opinion publique et avec une justice plus sévère et juste tout simplement.
Cela dit, sans pour autant enfreindre l’éthique et la convenance, il nous faut maintenant rappeler la nécessité de réviser cette partie du Code pénal qui constitue son Talon d’Achille, à savoir les féminicides qui sont à notre société ce que le vice est à la vertu. Le Code pénal est le reflet de toute société désireuse de réguler l’activité et le comportement de ses hommes et femmes, il est ce qu’on appelle la « main de fer dans un gant de velours », l’instrument de l’impérieuse harmonie sociale. Celles et ceux qui sont chargés de sa mise en œuvre et son application doivent être exemplaires, scrupuleusement rigoureux avec, cependant, cette dimension de respect aux justiciables.
L’affaire de Tiflet est un cas d’école, en dépit de son caractère abominable et violent, elle constituera aussi ce qu’on appelle une jurisprudence, quand bien même le champ de la justice, les parterres et couloirs des tribunaux ne désemplissent pas – depuis belle lurette – de confrontations et d’affaires liées aux crimes de viols et d’homicides envers les femmes. Il n’est pas exagéré en effet de dire qu’elles relèvent d’une culture de la haine machiste dont ces dernières font l’objet. A telle enseigne que la question est désormais la suivante, aussi crue et violente : la loi est-elle suffisante pour juguler un fléau aussi « prospère » dans un terreau social fragilisé ? Je veux dire la « La loi seule », parviendrait-elle à anticiper l’instinct prédateur et criminel qui sommeille en nous ?