Tunisie-FMI : les négociations dans une nouvelle impasse

Par Youness Akrim

Les négociations entre la Tunisie et le Fonds Monétaire International (FMI) pour obtenir un prêt d’environ deux milliards de dollars semblent s’enliser dans une nouvelle impasse, sur fond de profondes divergences sur le programme de réformes économiques et sociales exigé par le bailleur de fonds international.

Depuis la déprogrammation du dossier de la Tunisie de l’ordre du jour du conseil d’administration du FMI en janvier 2023, les discussions entre les deux parties sont au point mort, suscitant beaucoup d’inquiétudes sur la stabilité financière de la Tunisie, qui tablait sur ce prêt pour redresser ses finances asphyxiées.

Si l’institution financière internationale conditionne son appui à la levée de la subvention des hydrocarbures et la réforme des entreprises publiques, la Tunisie reste divisée sur la déclinaison de ces réformes, face aux réticences des centrales syndicales et les mises en garde de l’opposition.

La partie tunisienne redoute, notamment, une atteinte à sa souveraineté et une détérioration des conditions sociales déjà précaires d’une large frange de Tunisiens, en cas de passage à force à la levée des subventions aux hydrocarbures et certains produits de base, ce qui risque d’accentuer une inflation qui frôle actuellement les 10%.

« Les diktats provenant de l’étranger et qui ne mènent qu’à davantage d’appauvrissement sont inacceptables », c’est par ces mots que le président tunisien Kaïs Saïed a exprimé son rejet aux conditions imposées à la Tunisie pour accéder à des financements tant cruciaux pour maintenir le pays à flot.

Même son de cloche chez l’influente centrale syndicale, l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) qui est montée au créneau pour mettre en garde contre toute réforme susceptible de plomber le pouvoir d’achat des Tunisiens.

Dans un discours prononcé à l’occasion de la fête du travail, le 1er mai, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a alerté sur les répercussions éventuelles des mesures imposées par le FMI comme la levée de la compensation, la réduction de la masse salariale et la privatisation des entreprises publiques qui vont aggraver l’appauvrissement du peuple tunisien et augmenter le taux d’inflation ».

Lire aussi : Le FMI revoit à la baisse ses prévisions de croissance pour la Tunisie

Il s’est, par ailleurs, interrogé sur l’efficacité des négociations avec le FMI depuis un an et demi, dénonçant l’absence de transparence.

« Le gouvernement se doit d’informer le peuple tunisien sur le contenu du programme de réformes présenté au FMI et sur l’avancement des négociations », a-t-il insisté.

De son côté, le FMI soutient que le programme de réformes proposé par la Tunisie et sujet de négociation continue avec le FMI depuis plus de 12 mois, tient compte des défis et offre des perspectives pour l’avenir qui nécessitent la promotion de l’investissement notamment dans le secteur privé.

« Chaque réforme a des répercussions qu’il convient d’alléger tout en focalisant sur les perspectives positives et c’est ce qu’on est en train faire en coordination avec les autorités tunisiennes », a fait savoir Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, lors d’une conférence de presse tenue en marge des réunions du printemps du groupe de la Banque mondiale et du FMI.

Azour a souligné que le FMI continuera à appuyer la Tunisie signalant que d’autres institutions internationales ont aussi promis de la soutenir en vue de résoudre les problèmes d’inflation et garantir la stabilité économique.

Force est de constater que le blocage des négociations a chamboulé complètement les cartes du gouvernement tunisien, d’autant plus que la loi de Finances 2023 est basée sur des hypothèses initiales selon lesquelles, des financements d’environ 8 milliards de dollars, dont 5,28 milliards qu’il faut contracter à l’étranger sont indispensables pour préserver les équilibres budgétaires.

Cette situation soulève de vives inquiétudes auprès des fins connaisseurs de l’économie tunisienne qui redoutent une nouvelle dégringolade des indicateurs économiques et une dégradation des conditions socio-économiques, vu le manque de réelles alternatives aux concours financiers étrangers.

« Il n’y a pas d’autre alternative au prêt du FMI, dans les circonstances actuelles comme le prétendent certains », a insisté l’économiste Aram Belhadj, expliquant que l’alternative ne peut exister que sur le moyen terme et le gouvernement en est bien conscient, d’autant plus que les besoins du pays en termes de financement budgétaire s’élèvent à plus de 25 milliards de dinars.

Pour l’économiste, ce gap est difficile à couvrir avec les ressources traditionnelles du pays, provenant du tourisme, des transferts des Tunisiens résidents à l’étranger et des exportations de l’huile d’olive.

Même son de cloche chez l’économiste Ridha Chkoundali, qui estime que la situation sera floue, en l’absence d’un accord avec le FMI, avec des retombées négatives sur les obligations souveraines du pays.

Selon d’autres analyses, les obligations tunisiennes ont chuté de façon spectaculaire, dans le sillage de ces nouveaux rebondissements mal accueillis par les marchés financiers qui ont sanctionné immédiatement les obligations souveraines du pays.

Sur la scène internationale, les craintes quant à l’avenir de l’économie tunisienne s’accentuent. Dirigeants politiques des quatre coins du monde et experts des organisations internationales n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme, n’écartant pas que l’irréparable pourrait, cette fois-ci, se produire, si le pays ne parvient pas à accéder à des financements étrangers pour renflouer ses caisses.

La majorité des dirigeants européens et des institutions financières internationales et régionales conditionnent leur appui à la Tunisie à la signature de l’accord avec le FMI portant sur un prêt de 1,9 milliards de dollars. Aucune autre piste de sortie n’est possible ou envisageable pour l’instant.

La Tunisie est parvenue à conclure un accord préliminaire avec le FMI depuis le 15 octobre 2022, en vue d’obtenir un prêt de 1,9 milliard de dollars, remboursable sur une période de 48 mois. La déprogrammation du dossier de la Tunisie de l’ordre du jour de son conseil d’administration réuni en janvier 2023, a relancé les spéculations et les polémiques sur les perspectives de cet accord censé insuffler une bouffé d’oxygène à l’économie du pays.

Pour donner son aval, le FMI s’attend à un engagement ferme des autorités tunisiennes à mettre en œuvre un programme de réformes pour restructurer les entreprises publiques tunisiennes accablées par un lourd endettement et lever les subventions sur certains produits de base.

D’après plusieurs observateurs, les négociations pourraient prendre une nouvelle tournure, d’autant plus que les hypothèses et les équilibres sur lesquelles a été basé l’accord technique signé avec le FMI en octobre 2022 ont changé, laissant planer le spectre de nouvelles conditions plus douloureuses, voire un passage par le Club de Paris, dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés.

Avec MAP

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