Sénégal : Ousmane Sonko, le pouvoir à tout prix
Par Bachir Abdallah
A 49 ans, Ousmane Sonko, né à Thiès et ayant grandi en Casamance, met en avant son parcours. Major de sa promotion à l’ENA, il fit sa carrière à l’Inspection générale des impôts où il créa très tôt, en 2005, le premier syndicat de cette institution. C’est par le biais de cette organisation qu’il développa son réseau et dénonça les abus, la corruption au sein du pouvoir actuel. Ce qui lui valut d’être radié en 2016 pour manquement au devoir de réserve.
Ousmane Sonko sut rebondir promptement en lançant son parti, le Pastef qui signifie Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) Ainsi Sonko remporta sa première victoire politique en devenant député un an plus tard en août 2017.
A la présidentielle de 2019, Ousmane Sonko arriva à la troisième place derrière le vainqueur Macky Sall et l’ancien premier ministre Idrissa Seck. Son ascension victorieuse ne s’arrêta pas en si bon chemin, car en janvier 2022, Sonko remporta les élections locales dans sa ville natale Ziguinchor et devint maire élu.
Le credo d’Ousmane Sonko et de ses partisans est simple : « Changer le système, le mode de gouvernance, en donnant notamment moins de pouvoir au président. », programme ambitieux pour tout candidat à une élection présidentielle, surtout en Afrique. Cette déclaration d’intention est confrontée à plusieurs réalités politico-sociales vu les enjeux qui sous-tendent la vie des démocraties africaines.
Pour l’idole de la jeunesse au-delà du Sénégal, mais, ouest africain, « Il n’y a qu’une seule institution en réalité, c’est l’institution présidentielle. Vous ne pourrez jamais construire une démocratie sur cette base. En effet, vous n’avez plus de justice, de pouvoir législatif, les politiques publiques ne sont pas soumises au contrôle. Et, ça, c’est l’un des grands problèmes de notre système ». Mais toute cette démarche et ce vœu pieux sont adossés à un mot « Violence » que lui collent certains observateurs de la scène politique sénégalaise. PROS (président Ousmane Soutien) dont on l’appelle affectueusement au sein de sa formation politique, emploie un « discours de terreur ».
Ce discours dit de terreur ou de violence, c’est selon, se déteint chez les jeunes qui l’accompagnent, se désolent certains Sénégalais au vu des manifestations au Sénégal qui sont accompagnés de beaucoup de casses. D’après certains notables de la scène politique sénégalaise, l’avènement de Sonko sur la scène politique rime avec « violence ». Ses discours musclés, notés sur la scène politique, rompent avec le politiquement correct dont les Sénégalais avaient été habitués sous Senghor, Diouf et Wade, bien que des dérapages verbaux, voire physiques aient souvent eu cours au pays de la Téranga (Hospitalité).
Cette montée de la violence inédite au Sénégal a touché les fondements de la société sénégalaise. Jadis très respectées à cause du rôle de régulateur social qu’elles jouaient dans ce pays, les autorités religieuses (les chefs des confréries) essuient des attaques jamais connues faites par des « activistes », sorte de « lanceurs d’alerte » à la sauce tropicale, qui généralement, hors du pays, véhiculent beaucoup de fausses informations. La visée principale de ce travail des « activistes » est de chercher du trafic sur YouTube ou Facebook avec des visées mercantiles. Mais, le drame est que de jeunes Sénégalais qui ne comprennent pas le fond cette activité, mordent, car le discours irrévérencieux tenu leur plait puisque coincés par le chômage et la précarité. Les événements survenus en mars 2021 ont été accentués par cette situation en plus du discours tenu par les « relais de Pastef », établis hors du pays.
Défiance à l’ordre établi
L’anarchisme a eu ses figures emblématiques dans le monde : Mikhaïl Bakounine en Russie, Errico Malatesta en Italie, Pierre-Joseph Proudhon en France. Le Sénégal n’échappe pas à ce courant contestataire avec Ousmane Sonko, dont les méthodes politiques s’apparentent à une remise en cause radicale de l’ordre établi. À l’instar de tous les révolutionnaires qui ont voulu bouleverser le système, les sorties du leader de Pastef, sont accompagnées de morts.
La peur du trépas, Ousmane Sonko l’ignore. Dans son opposition au Président Macky Sall, il lance comme un défi : « C’est un Mortal kombat ». Le registre politique, qui devrait être celui de la proposition, se mue ainsi en une arène de gladiateurs. Bienvenue à Babylone. À maintes reprises, lors de ses confrontations avec des foules enragées et frisant l’hystérie, il a lancé des appels à « l’insurrection », entraînant la mort de plusieurs personnes.
Au cours des évènements de mars 2021, plus d’une quinzaine d’individus, dans la fleur de l’âge, ont perdu la vie au Sénégal à la suite de manifestations initiées par le leader de Pastef dans le litige qui l’oppose à la masseuse Adja Rabi Sarr. Et, à l’origine de cette affaire, c’est l’homme Ousmane Sonko qui s’est rendu lui-même, en pleine pandémie et à des heures indues, dans un salon pour des séances de massages « érotiques », selon certains, et « de soin », selon l’opposant. Cette fois encore, dans le même litige qui l’oppose à la masseuse, Ousmane Sonko a encore « manipulé » et « armé » des jeunes après sa condamnation à deux ans ferme pour corruption à la jeunesse.
Au terme des manifestations du 1ᵉʳ au 3 juin, Dakar a été mise à sac avec l’Université Cheikh Anta Diop dégradée et pillée, des biens publics et privés saccagés, la capitale et sa banlieue transformées en un dépotoir avec ses routes et artères principales jonchées de pierres, de pneus brûlés… Le bilan humain est désastreux avec une vingtaine de morts recensés, selon Amnesty International.
Si Sonko semble être la nouvelle révélation des trois dernières années, force est de constater que son « discours de terreur » et ses appels récurrents à « l’insurrection » ou à la résistance semblent nuire et freiner cette dynamique. Son engagement en politique est synonyme de défiance aux institutions de la République. Il s’en prend aux magistrats censés dire le droit, aux forces de défense et de sécurité, aux autorités de la République… « C’est un déviant qui ne respecte pas les lois que la société sénégalaise s’est elle-même fixées ». Sa langue est « perfide » et « violente ». C’est ce qui est à l’origine de son différend avec le ministre Mame Mbaye Niang.
Animé par sa « fougue juvénile », Ousmane Sonko pour reprendre les mots du philosophe Boubacar Boris Diop « n’est pas encore prêt pour prendre les rênes du pays ».