La dévaluation du rouble améliore l’humeur des Russes
Depuis la semaine dernière, le rouble russe connait une nouvelle vague d’affaiblissement. Les devises européenne et américaine s’échangeant, mercredi, à 97 et 89 roubles respectivement, soit à des niveaux proches de ceux enregistrés en mars 2022, quelques jours après le début de la crise russo-ukrainienne.
Paradoxalement, ce qui semble être une mauvaise nouvelle est accueilli avec optimisme par les citoyens russes, à en croire les résultats d’une récente consultation de la Fondation de l’opinion publique (FOM), troisième agence de sondage en Russie.
Il ressort de ce sondage, mené vers la mi-juin auprès de 53 entités constitutives de la Fédération de Russie avec une marge d’erreur de 3,5%, que plus le rouble est faible, moins de citoyens russes jugent leur situation financière mauvaise.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population évalue sa situation financière comme positive, une personne sur quatre la juge bonne et une sur cinq la juge mauvaise, selon les résultats du sondage intitulé « dynamique de la situation financière ».
Alors que le cours de change du billet vert gravite autour de 90 roubles, 27% des personnes interrogées par la FOM sont convaincues que leurs revenus vont certainement augmenter et s’améliorer l’année prochaine alors qu’un répondant sur cinq pense le contraire.
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Une année plus tôt, lorsque le dollar s’échangeait pour 60 roubles, près de 60% des répondants qualifiaient leurs revenus comme normaux et 22% étaient satisfaits de leur situation financière alors que 19% en étaient totalement insatisfaits, selon des données compilées par la Fondation de l’opinion publique. Aussi, une personne sur quatre s’attendait à une amélioration des revenus tandis que 13% des répondants s’attendaient au contraire.
Dix ans plus tôt, lorsque le dollar s’échangeait à 32 roubles, 64% de la population estimait que ses revenus étaient moyens, 7% des sondés en étaient satisfaits et près de 30% n’étaient pas satisfaits de leurs revenus, précise la Fondation.
Plusieurs experts, dont Vadim Plekhanov, professeur agrégé de l’Université russe d’économie de Moscou, attribuent ce paradoxe à une baisse d’intérêt pour les devises étrangères comme moyen d’épargne. « Au cours de l’année écoulée, les possibilités d’épargne en devise américaine ont été sévèrement réduites. Les intérêts sur les dépôts ont été supprimés par la plupart des établissements de crédit et même des frais de stockage ont été introduits. Les placements en dollars en bourse sont devenus accessibles uniquement aux investisseurs qualifiés« , explique-t-il.
Et l’économiste de préciser que si auparavant même une moindre chute du rouble provoquait des files d’attente dans les bureaux de change, « cela n’est plus le cas aujourd’hui car le taux de change du dollar est devenu moins intéressant pour les gens ordinaires« .
De son côté, le directeur scientifique de l’Institut des problèmes régionaux basé à Moscou, Dmitry Zhuravlev, attribue le paradoxe au fait qu' »une bonne partie de la population a peu d’économies et ne fait pratiquement pas attention au taux de change du dollar ».
S’agissant des perspectives de la dépréciation du rouble face au dollar, estimée à près de 20% depuis le début de l’année et à plus de 9% en juin, Valeri Yemelyanov, expert chez BCS World of Investments, l’un des leaders de la Bourse de Moscou en termes de chiffre d’affaires, relève que « le volume des ventes a chuté, provoquant un déficit relatif de devises sur le marché« .
Il y a peu de chances que le taux de change du dollar atteigne 150 roubles cette année, « à moins que quelque chose de complètement catastrophique ne se produise », a-t-il toutefois estimé, battant en brèche les prévisions les plus alarmistes.
De l’avis du courtier Alor Broker, le rouble continuera à dépasser les 90 à court terme, mais comme le taux de change est désormais déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande, la monnaie russe pourrait finalement bénéficier des entreprises exportatrices.
« Les exportateurs profiteront des conditions qui leur sont favorables et transféreront une partie de leurs réserves de change en roubles, notamment pour pouvoir acheter des obligations OFZ (obligations d’emprunt fédérales à coupon émises par le gouvernement russe) avant une hausse des taux directeurs qui semble inévitable« , a relevé l’entreprise dans une note.
La Banque de Russie associe l’affaiblissement actuel du rouble à l’état de la balance des paiements, soulignant toutefois que cette situation ne pose pas de risques pour la stabilité financière.
Avec MAP