Rachid Andaloussi : Par la volonté de Mohammed VI, le Maroc devient un chantier permanent d’architecture et d’arts
Par Hassan Alaoui
Le nom est une composition quasi sémantique : Rachid Benbrahim Andaloussi, elle résume toute la réponse qui est au Maroc ce que l’interpénétration culturelle avec l’Espagne ibérique a de riche et d’intense. Une coulée longue du temps, d’espace et une épopée sédimentée. Et qui conjugue mémoire et histoire.
La confluence civilisationnelle et le cosmopolitisme. Benbrahim est un patronyme et andaloussi un adjectif, cette distinction, à elle seule traduirait une sorte d’acronyme, ce qu’on appellerait aujourd’hui le branding…A l’Andalousie, Jacques Berque, professeur au Collège de France, maître des céans de l’orientalisme, islamologue, sociologue et anthropologue mais surtout poète, y avait consacré un texte subliminal. L’apport des Andalous, dont beaucoup, fuyant l’inquisition de la Reine Isabelle la Catholique et la terreur de Thomas Torquemada au XVème au Moyen Âge du siècle dernier pour s’installer au Maroc, à Fès notamment, n’est plus à démontrer.
Il est l’architecte des grands chantiers, notamment des dernières années. Sur l’une des étagères de sa bibliothèque, ornée de livres, est posé l’un des portraits de son idole, l’architecte et artiste américain Richard Meier, côtoyant celui de Ludwig Mies van der Rohe, allemand et naturalisé américain. Lui, c’est Rachid Andaloussi Benbrahim, l’un des architectes les plus connus de Casablanca et du Maroc , celui qui a osé et accompli l’œuvre de réhabilitation d’un secteur où , des années durant, l’amateurisme et la contrefaçon ont dominé la scène. Il est né, osera-t-on dire, dans la culture de l’art et de l’architecture, l’un et l’autre ne constituant nullement un pléonasme ; mais sont complémentaires, si imbriqués qu’ils forment le socle de l’architecte exceptionnel qu’il sera.
La maison familiale au cœur de la Médina casablancaise est un lieu mythique, un phalanstère de mémoire, d’une modernité aigue à l’extérieur et d’un patrimoine traditionnel à l’intérieur, avec ses hauts plafonds, ses vitraux, ses ombres et lumières, bref une sérénité non empruntée mais s’imposant dans, comme un totem, l’inaltérable souvenir d’une époque. Elle respire le passé glorieux mais inspire également le futur. Cette image croisée, quasi contradictoire est le fil conducteur de l’architecte Rachid Andaloussi. Il incarnait le diabolique mélange de cette époque radicale, être de Oulad Hriz et de Fès à la fois, une confluence ethnico-culturelle au parfum d’un mélange qui depuis sa tendre enfance, il cultive la dialectique créative, non de dilemme, mais de la contradiction heureuse et assumée. Très attaché, fou amoureux de sa ville – Casablanca la blanche -, il l’a vu évoluer, prospérer, s’agrandir, s’appauvrir et plonger même dans un maquis de bidonvilles dans les années quatre-vingts avant l’arrivée au pouvoir du Roi Mohammed VI en 1999 qui a renversé la vapeur et repris en main la politique des infrastructures, de l’habitat et de l’urbanisme.
Et c’est dans cette perspective royale que Rachid Andaloussi s’est inscrit, avec un héritage personnel, familial et professionnel enfin. Avec Driss Benhima, nommé Wali du grand Casablanca en 2001 , il s’est attaqué aux « dégradations et malveillances de la ville », menant campagne contre tout abus dans la construction, l’irrespect et les violations des normes urbanistiques. Il a créé l’Association Casamémoire pour la préservation et la défense du patrimoine de la ville, architectural notamment, culturel et humain. Si Casablanca constitue un champ privilégié des réalisations architecturales conduites sous sa direction, d’autres villes du Maroc portent aussi la marque de ses travaux. Rachid Andaloussi, dévoué, porte l’attachement à son pays comme un colifichet, fidèle à une tradition familiale, de patriotisme autant que de raison. « De Mohammed V, dit-il, Roi libérateur, à Mohammed VI, Roi modernisateur en passant par Hassan II, Roi réunificateur du Maroc, l’histoire du Royaume illustre une continuité sans faille, historique, organique même… ». Comme un fil d’Ariane l’histoire contemporaine du Maroc s’est constituée et consolidée à travers le principe sacré de la fidélité à notre mémoire, à notre histoire millénaire, diversifiée et riche.
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L’accession au Trône de Mohammed VI en juillet 1999, outre la consolidation institutionnelle, participe de cette continuité qui touche tous les domaines de la vie publique du Maroc. Et Rachid Andaloussi le souligne encore : « Le Maroc est devenu, dit-il, un chantier permanent en termes d’infrastructures et de réalisations diverses. Ce qui est en train d’être réalisé, notamment dans la première décennie du règne de Mohammed VI, a très largement dépassé les 30 ans de celui de feu Hassan II ». L’architecte, célébré comme un grand maître, imprégné des influences de son époque qu’il a, par ailleurs contribué à mettre en valeur, est un témoin privilégié, un acteur aussi qui a participé à l’édification d’infrastructures importantes, inscrites dirions-nous dans le règne du Roi Mohammed VI.
Gravé dans le marbre du magistère, emblématique aussi, il refuse les honneurs, non point blasé, cultivant – c’est de tradition chez la famille – la pudeur qui sied à la fois à l’éthique de la famille et aux codes l’époque, Rachid Andaloussi est au cœur de son siècle, là où baigne avant l’heure le nationalisme aigü qui côtoie une exigence d’ouverture sur la modernité. L’architecte est resté fidèle à l’image de sa famille, baigné dans le patriotisme et l’amour de son pays, de sa culture et de ses valeurs. Porteur de la mémoire familiale, il n’abandonne nullement les idéaux de sa jeunesse militante, exigeante et parfois sacrifiant à un radicalisme esthétique. Une double exigence en fait, la fidélité au patrimoine et l’impératif de l’ouverture qui ne démentirait guère un Le Corbusier par exemple.
La réalisation de la Bibliothèque générale du Royaume à Rabat, mise en œuvre sur instruction du Roi Mohammed VI est l’exemple typique de la continuité organique du concept de ce dernier architecte : « Un dehors est toujours un dedans ». L’espace, ici, est à l’image des ambitions royales qui traduit le souci majeur de s’intégrer dans son époque, recourant certes aux matériaux modernes, mais esquissant pour nos sens quelques réminiscences du passé. S’il n’aime pas parler de lui-même , Rachid Andaloussi ne peut nier sa présence réelle – quasi physique – dans une œuvre globale atypique : sa contribution à la réalisation du célèbre projet de la Cité des arts d’Essaouira-Mogador illustre en effet un tel trait. Avec son confrère Fikri Ben Abdallah, architecte également de renom, il a réalisé l’œuvre dessinée autrefois avant sa mort en 2012 par Oscar Niemeyer, architecte brésilien de réputation mondiale et qui représente une mouette tout à fait adaptée à Essaouira. Ceux qui connaissent Niemeyer savent aussi que le même motif architectural a été dessiné sur la longue et mythique corniche de Copa Cabana à Rio de Janeiro, portant l’estampille de ce créateur, élève pour ainsi dire, de Le Corbusier. Qu’il ait été coopté dans cette belle aventure de créativité et d’art, nous dit combien Rachid Andalousie cultive le goût des plongées cosmopolites. Le chef d’œuvre du théâtre de Casablanca est un exemple de cette quête quasi obsessionnelle de l’inédit créatif.
Rachid Andaloussi est avant tout un esthète, un peu fin et subtil eu égard au standard normatif. Il se situe dans la vague des « intellectuels engagés et enragés », de ceux qui ont quelque chose à dire et le penchant pour l’inédit, l’original voire le provocateur est affirmé dès la fin de ses études. Or, frotté par la réalité, le devoir de fondre dans les règles du marché le poussent à relever le défi, devenant œuvre après œuvre l’incontournable architecte qui côtoie le Roi dans les inaugurations, tenu prudemment et pudiquement, à ses côtés sans jamais s’en inventer. Il est le défenseur du modèle urbanistique inauguré par le Roi auquel il n’a de cesse de rendre hommage et qu’il qualifie du néo-bâtisseur. Pour lui, l’architecture est une manière d’écriture, l’acte fondateur de la terre et de l’humanité, auquel feu Hassan II nous conviait avec le ton de sagesse ancestrale que les derniers moments de vie lui imposaient. On pourrait transposer aussi cet apophtegme de Roland Barthes qui avait le sens épistémologique de l’écriture et qui disait ou prédisait que « l’écriture est le premier et le dernier mot de la vie »…C’est aussi, à n’en pas douter, par l’architecture que l’Homme a construit et bâti sa vie.