Lettre ouverte au Président de la République française
Par Michel Vialatte (*)
Monsieur le Président,
X-Twitter, 7:59 PM · 12 sept. 2023, sur votre compte Emmanuel Macron : Vous avez fait publier une vidéo d’1:42, enregistrée depuis le Palais de l’Elysée, solennelle.
Celle-ci comporte tout d’abord une curiosité : Vos propos sont sous-titrés en arabe, témoignant d’une volonté manifeste de viser d’abord un auditoire autre que celui des Françaises et des Français.
Vos premiers mots nous en donnent la confirmation : « Je voulais m’adresser directement aux Marocaines et aux Marocains ».
Et là, Monsieur le Président, sauf le respect que comme tout citoyen français je dois au chef de l’État, votre boussole diplomatique s’est affolée. Eussiez-vous dit « Je voulais m’adresser à sa Majesté le Roi et à travers sa personne aux Marocaines et aux Marocains dans la douleur », tout eût été différent. Mais là, vous avez soudain donné d’emblée le sentiment au peuple marocain, profondément attaché à son monarque et à la monarchie chérifienne, de vouloir défier l’autorité royale, de vouloir instaurer un dialogue direct entre un peuple qui n’est pas le vôtre et vous-même. Cela a été ressenti comme un déni de souveraineté, comme un affront. Alors même que votre prise de parole – et toute prise de parole présidentielle ne peut être que rare et pesée -, se voulait destinée à mettre un terme aux polémiques entretenues dans une certaine presse française (« J’ai vu beaucoup de polémiques ces derniers jours qui n’ont pas lieu d’être »), celle-ci bien au contraire a déchaîné le Maroc tout entier.
Imaginez-vous Monsieur le Président, le président Joe Biden, ou Recep Erdogan ou tout autre de vos homologues, s’adressant directement au peuple français, si un événement tragique venait à frapper notre pays, sans vous citer d’emblée, sans faire référence à votre personne et à votre légitimité de chef d’État à incarner votre Nation dans le respect des usages immémoriaux de la diplomatie mondiale, qui a ses codes et son histoire ? Quelle serait votre réaction ? Souffrez donc que le peuple marocain ait ressenti douloureusement une telle entrée en matière.
Certes vous avez rappelé (mais à la 48ème seconde seulement de votre très brève intervention), que « C’est à sa Majesté le Roi et au gouvernement du Maroc, de manière pleinement souveraine, d’organiser l’aide internationale et donc nous sommes à disposition de leur choix souverain. ». Oui, mais le terme « pleinement » était non seulement superflu, mais évidemment sujet à interprétation ; en diplomatie, chaque mot se pèse au trébuchet. L’exercice du pouvoir monarchique de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, issu d’une lignée de sultans alaouites qui règnent sur le Maroc depuis le XVIIème siècle, ne se qualifie pas : il est Le souverain, point. « Pleinement » a été lu désagréablement à Rabat.
Enfin, au terme de votre propos, vous déclarez que « nous serons là dans la durée (…), dans tous les domaines où le peuple marocain et ses autorités considéreront que nous sommes utiles. ». Le « peuple marocain et ses autorités » ! Eussiez-vous dit « Sa Majesté le Roi et votre grand peuple » que la perception, là aussi, de vos interlocuteurs eût été différente.
Dans le long cours des relations d’État à État et de peuple à peuple aussi liés que le Maroc et la France, le peuple français, avec ses deux millions de Marocains ou de binationaux vivant en France et le peuple marocain, qui reçoit avec hospitalité et générosité, chaque année, 4 millions de touristes français, rien n’est ni ne sera jamais irrémédiable. Mais de grâce, Monsieur le Président, désormais, pensez aux 50 000 de vos concitoyens qui vivent au Maroc et sont placés dans la situation impossible d’avoir à défendre une ligne diplomatique de leur pays qui n’est plus défendable vis-à-vis d’un Royaume où la France était aimée, choyée, reconnue comme une Nation sœur. Je vous le dis avec déférence. Mais je vous le dis.
(*) Expert-consultant international