Après une présidentielle tendue, le Kenya divisé

Le Kenya paraissait vendredi encore plus divisé que ces dernières semaines, au lendemain d’une présidentielle boycottée par l’opposition et endeuillée par la mort de plusieurs de ses partisans, des tensions qui ont entraîné le report du vote dans l’ouest et largement entamé la crédibilité du scrutin.

Les opérations de compilation des résultats se poursuivaient et vendredi matin, la Commission électorale (IEBC) avait reçu les résultats de plus de 36.000 des 40.883 bureaux de vote du pays, a annoncé sur son compte Twitter son chef Wafula Chebukati. Mais le résultat ne fait aucun doute: le sortant Uhuru Kenyatta – de l’ethnie majoritaire kikuyu – est assuré de l’emporter, son rival historique, l’opposant Raila Odinga (un Luo), ayant décidé de ne pas participer à ce qu’il a qualifié de « mascarade » électorale. Pays dynamique et première économie commerciale en Afrique de l’Est, le Kenya est plongé dans sa pire crise politique depuis 10 ans, depuis que la justice a annulé pour « irrégularités » – une première en Afrique – la présidentielle du 8 août, qui avait vu la réélection de M. Kenyatta.

La Cour suprême avait justifié cette décision par des irrégularités dans la transmission des résultats, faisant peser la responsabilité de ce scrutin « ni transparent, ni vérifiable » sur la Commission. Galvanisé par ce jugement, M. Odinga, 72 ans et déjà trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), a fait pression pour obtenir une réforme de cette Commission, qui a effectué certains changements, notamment dans la transmission des résultats, mais jugés insuffisants par l’opposition. Le président de l’IEBC avait lui-même émis des doutes sur la capacité de la Commission à garantir un scrutin crédible, confortant la décision de M. Odinga de boycotter l’élection. D’emblée, la crédibilité de la présidentielle était donc entamée, faisant courir le risque d’une période d’instabilité encore plus longue.

Malgré les appels à la retenue des deux camps, des affrontements violents ont eu lieu jeudi dans de nombreux bastions de l’opposition, où les frustrations et le sentiment de marginalisation ont été exacerbés depuis des années. Le Kenya a connu depuis l’indépendance (1963) trois présidents sur quatre issus de l’ethnie kikuyu, qui domine également l’économie du pays. Au moins quatre personnes ont été tuées par balle et des dizaines d’autres blessées dans les bidonvilles de Nairobi et l’ouest du pays dans des violences en marge du scrutin, selon des sources policière et hospitalière. Le pays était placé sous très haute sécurité, après des semaines de climat politique délétère. Au moins 44 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police.

Ces heurts ravivent les terribles souvenirs de la présidentielle de fin 2007 qui avait débouché sur les pires violences politico-ethniques depuis l’indépendance et fait au moins 1.100 morts. Dans quatre des 47 comtés du pays (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya), majoritairement peuplés par l’ethnie luo, l’élection a été reportée à samedi par la Commission électorale, le vote n’ayant pas pu se tenir dans des conditions acceptables (pour cause de troubles sécuritaires, bureaux de vote fermés, manifestants empêchant les opérations…). Mais le gouverneur de Kisumu, Anyang’ Nyong’o, une des figures de l’opposition, a répliqué dès jeudi qu’il n’y aurait aucun vote possible samedi dans son comté, où une semaine de deuil est organisée.

Dénonçant la « dictature » qui s’est abattue sur le Kenya, Raila Odinga avait appelé de ses vœux mercredi la création d’un « Mouvement national de résistance » contre « l’autorité illégitime du gouvernement« . Épuisés par les rebondissements de cette saga présidentielle, une nouvelle fois prolongée avec le report à samedi, les Kényans s’enfoncent dans la morosité et l’angoisse de voir ces divisions devenir de plus en plus irréconciliables. Uhuru Kenyatta, fils de Jomo Kenyatta, le père de l’indépendance, n’a semble-t-il pas atteint jeudi son objectif d’un plébiscite électoral. Il pourrait pâtir, selon les observateurs, d’une lassitude de plus en plus prégnante face aux turpitudes de l’élite politique et d’un ras-le-bol de la gestion de la crise électorale qui affecte durement l’économie.

Le quotidien The Standard synthétisait bien l’image d’un pays divisé après le scrutin de jeudi, titrant à la Une: « Un Kenya, deux visages« . « A l’issue de cette élection, le pays est plus fracturé et instable que jamais« , dénonçait vendredi de son côté en des termes forts le quotidien The Nation dans son éditorial, relevant aussi que le taux anticipé de faible participation pose un « grave problème de légitimité pour le vainqueur » Uhuru Kenyatta. MM. Kenyatta et Odinga « doivent comprendre (…) que leurs positions antagonistes ne sont plus tenables« , juge The Nation, exhortant les deux responsables à trouver une « solution politique à cette crise ».

AFP

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