Maroc-France : « Les médias français ont mis de l’huile sur le feu avec leurs dérapages »
Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue
La crise diplomatique entre le Maroc et la France est accentuée par les dérapages de certains médias français en plus d’un message maladroit du Président français Emmanuel Macron envers les Marocains. Aujourd’hui, la tension ne cesse de s’intensifier. Dans ce contexte, Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), apporte un éclairage sur les raisons de cette situation. Il analyse les conséquences de cette crise sur les relations diplomatiques entre le Maroc et la France. Dans cet entretien, il abordera également la décision du Maroc d’accepter l’aide proposée par cinq pays pour les secours aux victimes du séisme d’Al Haouz.
- Maroc diplomatique : Quelle analyse des messages de solidarité qui ont afflué de partout dans le monde : (Organisations internationales, États et personnalités de toutes obédiences) ? Y a-t-il un décryptage diplomatique à ce niveau ?
– Emmanuel Dupuy : La première chose à dire, c›est qu’effectivement le monde a été solidaire et a montré son empathie, sa profonde empathie envers le Royaume du Maroc touché en son cœur par rapport aux nombreuses victimes, les quelque 3000 morts et 5000 blessés qui se trouvent dans un état, pour certains, très graves. Donc, ils nécessitent une aide internationale. Cette aide internationale ne saurait non plus faire oublier l’aide nationale et le très grand effort, ainsi que le très grand élan de solidarité. Bien évidemment, en coordination avec la Fondation Mohammed VI pour la solidarité, de nombreux gestes de bonne volonté ont été faits, à commencer par le don de 100 millions d’euros de S.M. le roi Mohammed VI en faveur de l’aide d’urgence dont les victimes ont besoin.
Il est utile de rappeler que le Maroc peut s’appuyer sur un vaste réseau de résilience, comprenant les Forces armées, les forces de sécurité intérieures et les forces auxiliaires, ainsi que tous les autres moyens mis à disposition. Le Croissant rouge marocain, ainsi que les nombreuses ONG marocaines en lien avec les organisations internationales, offrent évidemment leur solidarité. Cette solidarité se manifeste également au niveau médiatique, avec des personnalités fortement attachées aux relations franco-marocaines, comme le chanteur Gad Elmaleh, l’humoriste Bouder ou encore Jamel Debbouze, qui ont exprimé leur profond lien avec le Royaume du Maroc en organisant des collectes de sang ou en contribuant financièrement au fonds de solidarité mis en place par les autorités marocaines. Il ne faut pas oublier que ce soutien dépasse les frontières de la France, car une soixantaine de pays ont proposé leur aide.
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- Quelle interprétation du choix des quatre pays choisis par le Maroc pour apporter des secours ?
– L’interprétation du choix des quatre pays choisis par le Maroc pour apporter des secours semble avoir plusieurs dimensions. Tout d’abord, ces pays sont des partenaires économiques importants pour le Maroc, comme c’est le cas avec l’Espagne. Deuxièmement, ce sont des partenaires diplomatiques, tels que les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Qatar et le Royaume-Uni. En outre, la Grande-Bretagne, avec son expertise en matière de sécurité civile, a été en mesure de déployer rapidement des ressources d’urgence.
Il est également important de noter que cette décision doit être analysée sur le plan diplomatique. Environ soixante pays ont exprimé leur solidarité, y compris des pays possédant une expertise en matière de séismes, comme le Japon et les États-Unis, et d’autres partenaires humanitaires traditionnels, comme certaines ONG françaises telles que le Secours populaire, ACTED et Médecins sans frontières. Des fondations et des entreprises du monde entier ont également proposé de financer la deuxième phase, qui consiste en la reconstruction nécessaire après le tremblement de terre dans la région d’Al Haouz.
Ce partenariat public-privé, essentiel pour la reconstruction du pays, est à saluer. Cependant, il faut également prendre en compte une interprétation diplomatique. Tout pays est souverain, et les déclarations du Président français, en exprimant sa volonté de s’adresser directement aux autorités marocaines de manière non protocolaire, sans tenir compte du discours tenu par S.M. le Roi du Maroc, ont profondément heurté le peuple marocain. Il est peu probable que cela contribue à apaiser les relations diplomatiques entre la France et le Maroc. D’autres pays, comme l’Italie et la Grèce, se sont également interrogés sur le manque de coordination ou ont proposé leur aide, compte tenu des impacts fréquents du changement climatique en Méditerranée, tels que les inondations, les incendies de forêt et les tremblements de terre.
Certains pays ont émis des réserves concernant ce manque de coordination, en partant du principe que les autorités marocaines justifiaient à juste titre une phase préliminaire d’observation pour évaluer les routes, notamment celles qui ne sont pas asphaltées dans ces zones enclavées. Avec près de 5000 douars dans des régions de haute altitude, atteignant 2000 à 4000 mètres avec le sommet de l’Atlas, il est nécessaire de vérifier si l’acheminement de l’aide ne sera pas entravé par des routes étroites ou des problèmes de sécurité, ce qui nécessiterait la mobilisation des forces de sécurité déjà nécessaires pour l’aide d’urgence.
- Que traduit la polémique qui s’est installée après la non-acceptation de l’aide proposée par la France ?
– Il y a eu une polémique et des hésitations après le refus d’accepter l’aide proposée par la France. Cependant, il est important de noter que ces réactions ne représentent pas l’ensemble de la classe politique, mais plutôt certains médias. Il semble qu’il y ait eu une mauvaise interprétation, voire un cynisme, dans le fait de ne pas se concentrer principalement sur l’aide en question, mais plutôt sur les tensions entre la France et le Maroc. Ces tensions existent depuis la crise des visas, l’absence de relations diplomatiques normales et l’absence de progrès dans le processus de réconciliation, qui pourraient être liés à des événements tels que l’affaire Pegasus en 2020 et « l’affaire Hammouchi » en 2018.
Il y a peut-être eu un discours condescendant de la part de la France, qui perçoit peut-être le Maroc comme un pays adolescent dépendant de la France, alors même que le Maroc a atteint un certain niveau d’autonomie stratégique. Le Président Macron lui-même a reconnu cette autonomie stratégique lors de son allocution adressée aux marocains. Cependant, il semble que le Président français se retrouve piégé dans une diplomatie qui a besoin d’actes concrets et de séquences diplomatiques, qui pour le moment n’ont pas été réalisées.
Il est important de noter que la position de la France quant à la question de la reconnaissance de la marocanité du Sahara est différente de celle de la plupart des autres pays européens, tels que l’Espagne et les États-Unis. La position française est de facto la position des autres pays, comme l’Italie, qui n’a pas évolué depuis l’approbation d’une résolution des Nations Unies en avril 2007 reconnaissant l’autonomie comme une forme d’autodétermination pouvant pacifiquement résoudre le conflit au Sahara.
Il est nécessaire de se concentrer sur la tragédie actuelle plutôt que sur la polémique. Il est important de souligner que cette tragédie ne va pas améliorer les relations entre la France et le Maroc, et ne fait que confirmer le fossé qui peut exister entre une certaine presse française et le Maroc, en ignorant les évolutions en termes de droits de l’Homme, de démocratie et de dévolution des pouvoirs dans le pays. Ce fossé provient peut-être d’une certaine mythologie ou mystification autour du processus révolutionnaire né de la décolonisation en Algérie, ainsi que d’un conservatisme institutionnel qui est souvent associé à la lente évolution démocratique du Maroc depuis le protectorat jusqu’à son indépendance en 1956.