Sénégal : la classe politique dénonce un « coup d’état constitutionnel »
Le Sénégal, considéré comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, est confronté à une crise politique majeure. Le président Macky Sall, en violation de l’article 52 de la Constitution, a décidé de reporter sine-die l’élection présidentielle, prévue le 25 février 2024. Cette décision, aussi inattendue que contestée, met à mal les principes démocratiques et constitutionnels du pays. « ci-gît » la démocratie, écrit un opposant.
Macky Sall, en tant que président sortant, était plutôt attendu à organiser des élections transparentes et inclusives, se voit aujourd’hui acteur majeur d’une décision qui a basculé le landerneau politique sénégalais. D’acteur sur le départ, il s’est arrogé à rester au poste et ce pour une durée Le chef de l’État a justifié son geste par la volonté de « consolider la démocratie sénégalaise » et de garantir « une élection présidentielle transparente et apaisée ». Des arguments qui ne convainquent pas ses opposants, ni une partie de la société civile, qui y voient une tentative de se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat légal.
En effet, Macky Sall avait promis à plusieurs reprises de ne pas se présenter à un troisième mandat, jugé anticonstitutionnel. Il avait même initié une réforme constitutionnelle en 2016, qui limitait la durée du mandat présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois. Mais en abrogeant le décret fixant la date du scrutin, il a rompu son serment et déçu les attentes du peuple sénégalais, attaché à l’alternance démocratique.
L’article 52 de la Constitution sénégalaise dispose que « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le Président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut, après en avoir informé la Nation par un message, prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la Nation. Il ne peut, en vertu des pouvoirs exceptionnels, procéder à une révision constitutionnelle ».
Or, le report de l’élection présidentielle constitue une révision constitutionnelle de fait, qui remet en cause le calendrier électoral et le mandat du président. Cette mesure n’est pas justifiée par une situation de crise grave et immédiate, qui menacerait les institutions, l’indépendance, l’intégrité ou les engagements du Sénégal. Au contraire, elle crée une situation de crise, en fragilisant la légitimité du pouvoir et en suscitant la colère et la frustration des citoyens.
Le président Macky Sall a annoncé la tenue d’un dialogue national inclusif, pour discuter des modalités du report et des réformes électorales à entreprendre. Mais ce dialogue arrive trop tard, et ne peut pas servir de prétexte à une violation de la Constitution. Un tel dialogue aurait dû avoir lieu bien avant la fixation de la date du scrutin, dans le respect des règles et des procédures démocratiques.
La décision du président Macky Sall a provoqué une vive réaction de la part de l’opposition, de la société civile et de la communauté internationale. Le Parti démocratique sénégalais (Pds), qui avait obtenu une commission d’enquête parlementaire sur l’invalidation de son candidat Karim Wade, a exigé le report du scrutin, et a invoqué l’activation de l’article 52 de la Constitution. Depuis son indépendance, le Sénégal a toujours organisé ses élections présidentielles à date échue, et a connu quatre transitions pacifiques par les urnes, depuis 1960.
En s’accordant le droit de choisir le moment de son départ, et de priver le peuple de son droit de vote, Macky Sall sème le doute sur ses véritables intentions. Son ambition démesurée de prolonger son règne le rapproche dangereusement des régimes autoritaires que l’Afrique a tant combattus.
La CEDEAO attendu au tournant
En s’accordant le droit de choisir le moment de son départ, et de priver le peuple de son droit de vote, Macky Sall sème le doute sur ses véritables intentions. Son ambition démesurée de prolonger son règne le rapproche dangereusement des régimes autoritaires que l’Afrique a tant combattus.
La réaction de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est attendue avec impatience, car elle pourrait infliger des sanctions au Sénégal, comme elle l’a fait dans d’autres pays du Sahel, confrontés à des coups d’État. La CEDEAO a en effet adopté un protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui interdit toute modification ou révision des constitutions qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique.
Le Sénégal, qui jouit d’une réputation de démocratie stable et exemplaire en Afrique de l’Ouest, risque de perdre son prestige et sa crédibilité, si le président Macky Sall persiste dans sa décision. L’influente Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal a également mis en garde contre les dangers de cette décision, et a appelé le président Sall à respecter la Constitution et à éviter de provoquer l’instabilité.
Un président en contradiction avec ses principes
La décision de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle est d’autant plus surprenante qu’il avait été, par le passé, à l’avant-poste des sanctions de la CEDEAO à l’encontre du Mali, du Niger et du Burkina Faso, pays secoués par des coups d’État militaires. À cette époque, tous les chefs d’État de la CEDEAO avaient exigé le retour à l’ordre constitutionnel dans ces pays, et avaient imposé des mesures coercitives, telles que la fermeture des frontières, l’embargo économique et l’interdiction de voyager.
En réponse, le président du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahima Traoré, avait retorqué que tous ces chefs d’État qui portaient des sanctions à l’encontre de son pays étaient presque tous auteurs de coup d’État constitutionnel, en faisant référence aux modifications ou aux violations des constitutions pour se maintenir au pouvoir3. Ainsi, la CEDEAO, pour rester en cohérence avec elle-même, devrait nécessairement prononcer des sanctions contre le Sénégal, qui se trouve dans la même situation.
Mieux, cette décision de Macky Sall peut aussi être interprétée comme une peur de céder le pouvoir au vu des scandales économiques, du népotisme et de la corruption qui ont gangrené sa gouvernance pendant 12 ans.
Le plus scandaleux dans la gouvernance de Macky Sall concerne les droits humains, où durant les manifestations depuis 2021, plus de dizaines de jeunes Sénégalais ont été tués et aucune enquête n’a été faite pour élucider les tueries. Selon Human Rights Watch, au moins 16 personnes ont été tuées, dont 14 par des tirs à balles réelles des forces de sécurité, lors des manifestations de mars 2021, qui ont éclaté après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko pour une affaire de viol présumé, et qui a finalement fini en eau de boudin. En juin 2021, deux autres personnes ont été tuées lors des manifestations qui ont suivi la condamnation de Sonko à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse ». Un an après, les familles des victimes attendent toujours que justice soit rendue.
Par peur de représailles d’un legs lourd de conséquences, le président Macky Sall fuit de quitter le pouvoir selon des termes démocratiques. Comme disait l’ancien directeur Walfajri, l’un des grands médias du Sénégal, le défunt Sidi Lamine Niass, Macky Sall ne quittera pas le pouvoir de manière démocratique.